France-Otan : la fin de l’ambiguïté constructive ?
La France réintégrera-t-elle l’ensemble des structures militaires de l’Otan ? Amorcera-t-elle une mutation de ses politiques étrangère et de défense au point de déchirer le voile gaullien qui avait recouvert jusqu’à nos jours la posture doctrinale du pays vis-à-vis de l’Alliance ? Le Sommet des 60 ans de l’Otan du printemps 2009 à Strasbourg-Kehl constituera-t-il l’aboutissement ou le point de départ d’une réflexion sur le devenir des rapports entre la France et ses alliés ? Surtout, le Quai d’Orsay disposera-t-il de suffisamment d’énergie diplomatique pour tout à la fois relever l’Europe après le "non" irlandais et préparer la rénovation du relationnel transatlantique ?
Deux mots d’ordre s’imposent avant toute chose : prudence et mesure ! Prudence, tout d’abord, car nous manquons du recul nécessaire pour une analyse dépassionnée du Livre blanc publié ce mardi 17 juin et dont les grandes lignes ont été présentées solennellement par le président Nicolas Sarkozy. Mesure, ensuite, parce qu’il convient de prendre en compte le « sel particulier » du relationnel franco-otanien dans toute démarche d’examen de la posture française vis-à-vis des instances transatlantiques.
Les mises en garde étant dès à présent posées, il nous faut néanmoins aborder les conséquences possibles de l’exercice réflexif conduit par la France quant à l’avenir de sa défense et, par effet d’implication, de sa politique étrangère vis-à-vis de ses alliés, en particulier les Etats-Unis. Et de nous interroger : la ligne politique adoptée par le président Nicolas Sarkozy et par les termes du Livre blanc est-elle de nature à générer une rupture de la politique étrangère et de défense de la France ?
Les ambivalences des discours
Apprécier la portée du discours politique actuel de la France implique un rappel rapide de l’évolution de la posture française tant vis-à-vis de l’Alliance que des Etats-Unis ; posture non dénuée « d’ambiguïtés constructives » - elles-mêmes porteuses de symboliques fortes – et marquée par les « contrevérités » et autres « abus de langage »[1].
Une première ambivalence concerne la nature des dissensions entre Paris et l’Alliance. Oui, la fondation de l’Alliance atlantique a procédé d’une demande, en partie, française au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ensuite, non : la France n’a jamais quitté l’Otan. Le retrait, opéré en 1966, reposait sur le départ du seul commandement militaire intégré, structure constituée au lendemain de la guerre de Corée et dont le fondement politico-juridique apparaît, au demeurant, flou au regard du Traité de Washington, acte fondateur de l’Alliance. La France et l’Otan ont, cependant, instrumentalisé cette contre-vérité afin, pour la première, de graver dans le marbre de la conscience collective du pays le concept de « politique d’indépendance nationale » et, pour la seconde, de caractériser le comportement d’un pays membre qui avait souhaité faire « cavalier seul ».
Une seconde ambivalence porte sur ce que furent les suites données à la coopération de la France avec les structures de défense collective atlantiques. Si Paris a maintenu le principe d’une non-intégration des dispositifs institutionnels de l’Otan, elle a néanmoins prouvé qu’elle constituait un allié parfaitement inséré dans la solidarité transatlantique. Ainsi, la France est actuellement le 5e contributeur en nombre d’hommes ; elle participe aux deux opérations majeures de stabilisation et de maintien de la paix conduites par l’Otan (KFOR et ISAF) sous l’égide des Nations unies. En Afghanistan, la France est actuellement présente avec un contingent total de 2 000 hommes. L’implication de la France au sein de l’Otan se traduit également en termes financiers puisqu’elle représente le 3e contributeur au budget civil de l’Otan et le 5e contributeur pour le volet militaire du budget global de l’organisation.
Soulignons encore que les coopérations technologiques militaires (programmes de contrôle aérien ACCS, de lance-roquettes guidées GMLRS, etc.) entre la France, l’Otan et/ou les Etats-Unis existent qui attestent de l’usage des programmes d’armement comme autant de leviers de participations modulaires destinés à concilier les orientations capacitaires transatlantiques (interopérabilité oblige)[2] avec la préservation d’une singularité française dans l’expression de sa stratégie des moyens.
En attendant Strasbourg-Kehl
Ce sont ces mêmes ambivalences et contrevérités qui semblent, aujourd’hui, qualifier le débat transatlantique sur le « retour » de la France au sein de l’Alliance et de l’Otan. Précisons, d’emblée, qu’une première forme de rapprochement des autorités politico-militaires françaises avait été opérée entre 1996 et 1997 (à l’époque des déploiements de forces françaises en Bosnie-Herzégovine sous bannière Otan et de l’arrivée de Jacques Chirac à la présidence de la République). Ce processus s’était traduit alors par le retour du chef d’état-major des armées au Comité militaire.
Parler, aujourd’hui, d’un retour de la France au sein du commandement militaire intégré de l’Otan est « aller un peu vite en besogne ». Plusieurs interrogations demeurent en suspens. Tout d’abord, que devons-nous réellement entendre par une « rénovation du lien de la France avec l’Otan » ? Surtout les conditions d’une telle rénovation, présentée dans le Livre blanc sous le qualificatif d’un « rapprochement », bornent la marge de manœuvre diplomatique française en soumettant ce processus au respect de (1) la liberté d’appréciation des autorités politiques françaises, de (2) l’indépendance nucléaire (pas de participation française au sein du groupe sur les plans nucléaires) et de (3) la liberté de décision d’engagement des forces[3].
Ensuite, le Sommet de Strasbourg-Kehl – que l’on imagine pour le printemps 2009 – sera-t-il l’occasion de la conclusion de ce processus ou le point de départ d’une réflexion sur l’avenir de la place de la France au sein de l’Organisation transatlantique ? La France, qui aborde à partir du 1er juillet la présidence tournante de l’Union européenne, ne verra-t-elle pas son énergie diplomatique pour l’essentiel mobilisée autour de la relance d’une dynamique de construction européenne déjà fragile et un peu plus mise à mal par la non-ratification irlandaise du Traité de Lisbonne ?
Un positionnement en cours de définition
Loin de représenter une décision aboutie, le « rapprochement » de la France avec les structures atlantiques apparaît comme une opération politico-militaire soumise à de nombreuses variables dont Paris ne saurait, par définition, maîtriser l’ensemble des évolutions. Seule certitude, ce « retour », s’il a lieu, répondra inévitablement à un critère de modularité (indépendance de la dissuasion nucléaire nationale oblige) qui n’altère en rien la formulation d’un discours symboliquement porteur en termes de rupture.
Pour le reste, les incertitudes sont réelles. Si la France estime pouvoir reprendre « toute sa place » dans le dispositif allié, force est de constater que Paris demeure réservé quant à ses prétentions en termes de responsabilités de commandement. Non pas en raison de l’absence de prétentions françaises, mais afin de ne pas commettre les erreurs de communication commises en 1997. Il reste, enfin, à connaître les bénéfices qui pourraient être retirés d’une participation plus étroite. Quel serait, en effet, l’avantage en termes politiques, doctrinaux et opérationnels d’une telle démarche, si elle se confirme ? Ou, pour paraphraser André Dumoulin : quelle part d’influence la France parviendrait-elle à acquérir par l’échange d’une part de souveraineté ?
[1] Hervé Coutau-Bégarie, « La politique de défense de la France », Stratégique, 1991, p. 18.
[2] Encore que les règles de standardisation de l’Otan (les STANAGS) s’avèrent davantage respectées par les Européens que par les Etats-Unis.
[3] Défense et Sécurité nationale : Le Livre blanc, Paris, Odile Jacob & La Documentation française, juin 2008, p. 110.
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