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Jérôme Monod, l’ombre de Jacques Chirac

« La politique m’a pris sans que je la cherche. »

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L’ancien proche du Président Jacques Chirac et haut fonctionnaire Jérôme Monod est mort il y a un an, le 18 août 2016, pas loin de ses 86 ans (né le 7 septembre 1930). Sans avoir vraiment été un acteur de la vie politique sauf pendant trois ans, il a été l’éminence grise de l’un de ceux qui ont dominé la vie politique de la Ve République, et à ce titre, un témoin privilégié des praticiens de la politique.

Jacques Monod faisait partie d’une grande et ancienne famille protestante. Il fut un cousin éloigné du biologiste Jacques Monod (1910-1976), ancien résistant, Prix Nobel de Médecine 1965 et auteur du célèbre essai "Le Hasard ou la Nécessité" (1970), et de l’explorateur humaniste Théodore Monod (1902-2000), spécialiste des déserts et membre de l’Académie des sciences, ainsi que le cousin germain du cinéaste Jean-Luc Godard. À 33 ans, il a épousé la petite-fille de l’ancien Président du Conseil Henri Queuille, élu de la Corrèze, le futur département de Jacques Chirac (dont il présida plus tard le conseil général). Sa famille éloignée a été également liée à Albert Schweitzer, Jean-Paul Sartre et Jean-Marcel Jeanneney.

Après de brillantes études au lycée Henri-IV à Paris et à l’iEP Paris, il fut admis en 1955 à l’ENA après avoir poursuivi une année d’étude aux États-Unis et bien classé à la sortie, il a choisi la Cour des Comptes comme Jacques Chirac (qui intégra l’ENA deux ans plus tard). Il était de la même promotion que Pierre Verbrugghe, Édouard Balladur, Jacques Calvet et Jean Dromer.

Après son service militaire en Algérie, il fut conseiller technique dans le cabinet de Michel Debré à Matignon, de 1959 à 1962, puis directeur adjoint de cabinet du ministre Maurice Schumann de 1962 à 1963. Michel Debré a dit plus tard (dans les années 1980) tout le bien qu’il pensait de lui (témoignage de Michèle Cotta) : « Michel Debré m’a dit un jour que parmi tous les hauts fonctionnaires dont il admirait, alors qu’ils étaient encore jeunes, le discernement et le sens de l’État, il retenait deux noms : ceux [de Jean-Yves] Haberer et de Jérôme Monod. » (11 avril 1989).

En 1963, il travailla pour Olivier Guichard à la DATAR (aménagement du territoire) dont il est devenu le délégué adjoint en 1966, puis le délégué de 1968 à 1975. Il y a appris la nécessité de décentraliser les implantations industrielles sur tout le territoire national. Il a favorisé par exemple l’installation, annoncée le 26 août 1970, d’une usine Ford à Bordeaux, celle où travaille Philippe Poutou).

Jacques Monod était probablement plus intéressé par l’économie que par la politique. Proche de Jacques Chirac, il entra complètement dans la vie politique car nommé directeur de cabinet du Premier Ministre Jacques Chirac d’août 1975 à août 1976. Après la démission fracassante de Matignon de Jacques Chirac, il conseilla ce dernier lors de la fondation du RPR le 5 décembre 1976. S’exposant publiquement, il fut le premier secrétaire général du RPR (présidé par Jacques Chirac) de décembre 1976 à janvier 1979. « Comment résister à un tigre ? » expliquait Jérôme Monod à ses visiteurs pour justifier son engagement auprès de Jacques Chirac.

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Dans ses "Cahiers secrets", le 2 juin 1977, Michèle Cotta évoqua Jérôme Monod, « cet homme au parler sec, sans fioriture et sans sourire » dans sa fonction de secrétaire général du RPR, une « fonction purement politique qui ne lui va pas comme un gant ». Le 1er juin 2009, un autre journaliste François d’Orcival a noté : « protestant discret et austère, dur au travail, implacable et même rosse à ses heures ». Le 20 août 2016, Béatrice Gurrey l’a décrit ainsi : « Un petit homme sec, au regard bleu glaçant, qui maniait l’ironie comme une lame, son visage aquilin alors éclairé d’un mince sourire. Souvent drôle, mais la plupart du temps, incisif, autoritaire, doué d’une capacité d’organisation et de travail hors normes, il respectait ces deux qualités chez ses adversaires. » ("Le Monde").

Cette incursion dans la vie politique fut de courte durée. L’omniprésence de Marie-France Garaud et de Pierre Juillet auprès de Jacques Chirac l’a conduit à se retirer et à prendre les commandes d’une grande entreprise publique.

En octobre 1979, Jérôme Monod a en effet rejoint la Lyonnaise des Eaux et fut désigné président-directeur général de cette entreprise importante (très implantée sur tout le territoire et en lien direct avec les élus locaux) de 1980 à 1997. Parmi ses réalisations, il a internationalisé le groupe et l’acquisition de Dumez puis la fusion dans le groupe Suez (en 1997) en ont fait un groupe de dimension mondiale dont il présida le conseil de surveillance de 1997 à 2000.

Durant la présidence de la Lyonnaise des Eaux, Jérôme Monod fut confronté au scandale de l’affaire Alain Carignon en 1994 sur une accusation de corruption entre le maire RPR de Grenoble et le groupe industriel pour obtenir le marché municipal de l’eau. Jérôme Monod aurait en effet participé à un déjeuner le 3 octobre 1987 avec Alain Carignon (qui était également président du conseil général de l’Isère et ministre) qui aurait "formalisé" ce "pacte" illégal.

Néanmoins, Jérôme Monod ne fut jamais mis personnellement en cause par le juge Philippe Courroye et a compris que son groupe devait vite s’adapter pour éviter tout soupçon provenant de comportements politiques inadéquats. Il a fait adopter dès octobre 1994 au sein de son entreprise une charte d’éthique pour refuser tout financement politique, devançant la loi Balladur (loi n°95-65 du 19 janvier 1995 relative au financement de la vie politique) et cela en pleine préparation des élections municipales de juin 1995, Le gouvernement d’Édouard Balladur avait été très touché en 1994 par les "affaires politico-financières" qui ont conduit trois ministres à donner leur démission avant leur mise en examen.

Pendant cette période entrepreneuriale, Jérôme Monod est toujours resté proche de Jacques Chirac. À partir de début janvier 1994, alors que la plupart des leaders du RPR faisaient acte d’allégeance auprès d’Édouard Balladur, Jérôme Monod faisait partie du cercle très restreint des chiraquiens fidèles, aux côtés de Maurice Ulrich, Jean-Louis Debré, Alain Juppé, Jacques Toubon, François Baroin (ainsi que Philippe Séguin, Alain Madelin, Hervé de Charette et Charles Million), dans la perspective de l’élection présidentielle de 1995.

Dans la salle des Pas-Perdus, au Palais-Bourbon, le 12 novembre 1996, alors que le Premier Ministre Alain Juppé était très impopulaire et qu’on imaginait un nouveau Premier Ministre en janvier 1997 (les élections législatives étaient alors prévues pour mars 1998), Michèle Cotta testa le nom de Jérôme Monod auprès de Bernard Pons (alors ministre) qui lui répondit : « Ce serait bien, s’il n’avait pas, en ce moment, les casseroles de la Lyonnaise des Eaux. ».

Pour sa "retraite", Jérôme Monod a rejoint Jacques Chirac à l’Élysée, comme conseiller politique, de 2000 à 2007 (dans le prestigieux bureau où Napoléon Ier abdiqua et Félix Faure perdit sa "connaissance"), avec, pour mission, la préparation de l’élection présidentielle de 2002 et la fondation de l’UMP (fusion du RPR et de l’UDF). Le conseil qu’il a donné à Jacques Chirac à propos de l’UMP : « Ne donne jamais l’UMP à Sarkozy ! ».



L’une des dernières missions de Jérôme Monod, confiée en 2002 par le Secrétaire Général de l’ONU Kofi Annan, sur proposition du Président Jacques Chirac, fut de contribuer à mettre en place un "pacte mondial" auquel les entreprises du monde entier pourraient volontairement adhérer sous réserve de s’engager sur dix principes essentiels concernant l’éthique d’entreprise (notamment pour agir contre la corruption sous toutes ses formes). En 2008, près de 6 000 entreprises dans 120 pays ont adhéré à ce pacte.

Par ailleurs, Jérôme Monod a créé le 14 avril 2004 la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), initialement proche de l’UMP (jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy présidât l’UMP), se revendiquant libérale, progressiste et européenne et ayant pour mission de participer à la réflexion politique et de prévoir les évolutions du monde de demain, dans quatre domaines en particulier : l’écologie, les valeurs, le numérique et surtout, la croissance économique.

Jérôme Monod en fut le premier président du conseil de surveillance jusqu’au 13 octobre 2004, laissant la place à Francis Mer. Depuis le 23 janvier 2009, l’actuel président est Nicolas Bazire, ancien directeur de cabinet du Premier Ministre Édouard Balladur, associé-gérant de la banque Rothschild & Cie et directeur général du Groupe Arnault. Son directeur général est le politologue Dominique Reynié depuis 2008. Laurence Parisot préside le conseil scientifique, dont sont membres notamment Alain-Gérard Slama, Stéphane Courtois, Pascal Perrineau, Emmanuel Goldstein, etc. Laure Darcos et Pierre Giacometti font notamment partie du conseil de surveillance. Parmi les anciens dirigeants ou membres du conseil de surveillance, on peut citer Jean-Claude Paye, Charles Beigbeder, Karl Lamers, Bronislaw Geremek, Jean de Boishue, etc.

Favorable à la construction européenne, Jérôme Monod a publié le 23 octobre 1999, en collaboration avec le psychanalyste Ali Lagoudi, un "Manifeste pour une Europe souveraine ou Comment les nations européennes retrouveront ensemble leur liberté" (éd. Odile Jacob). Quant à ses souvenirs sur la vie politique qu’il a pu observer pendant une cinquantaine d’années, il les a rassemblés le 29 avril 2009 dans ce livre "Les Vagues du temps" (éd. Fayard).

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Il y a brossé quelques portraits politiques savoureux. J’en cite quelques-uns. Alain Juppé : « Normalien, inspecteur des finances, très doué pour l’écriture, d’une intelligence qui lui faisait saisir la complexité des problèmes en un instant, intelligence beaucoup plus humaine et riche que l’ordinateur auquel certains le comparaient. Il cultivait l’humour, y compris à son endroit. Il supportait mal les échecs, mais savait rebondir. ». François Bayrou : « Il percevait clairement sa mission et son destin, les difficultés qu’il rencontrerait. Il pensait correspondre plus que les autres leaders aux besoins du pays tel qu’il le sentait. Il irait jusqu’au bout, même seul. ». Marielle de Sarnez : « D’une élégance fausse jeune, désinvolte et négligée, elle était chaussée de tongs, vêtue d’un blue-jeans et d’un tee-shirt fripé. Elle me surprit plus qu’elle ne me fit impression. ». Jean-François Copé : « Un homme de qualité, parfois déroutant, et irritant aux yeux de plus d’un. Mais quelle capacité de travail, quelle intelligence et quelle ambition ! ». Xavier Bertrand : « C’est un bourreau de travail. Il a beaucoup d’ambition, dont il modère l’expression extérieure. Il est compétent, fiable, fidèle à ses amis personnels, et de relation agréable. Il progresse méthodiquement, sans états d’âme, soucieux de dépasser peu à peu ses compagnons de route dans la marche vers le sommet. ». Enfin, Nathalie Kosciusko-Morizet, une valeure sûre : « Un peu narcissique, ambitieuse, sûre d’elle-même, brillante, politique avec une tendance marquée à l’opportunisme, bonne camarade pour qui fait partie de son clan, elle représente la compétence même, ce qui est agaçant pour les autres, mais précieux pour le pays. ».

Et puisqu’il parlait de concurrence entre responsables politiques, terminons avec sa définition très crûe de la politique : « La politique, c’est tout de même se frayer un chemin à coups de machette dans la jungle. »


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (18 août 2017)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Jérôme Monod.
Jacques Chirac.
Michel Debré.
Maurice Schumann.
Olivier Guichard.
Les animaux politiques.

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2 réactions à cet article    


  • zygzornifle zygzornifle 19 août 2017 10:40

    il lui suffisait de se baisser pour ramasser les billets .....


    • zygzornifle zygzornifle 19 août 2017 10:41

      La politique m’a pris sans que je la cherche..... comme un viol 

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