L’anti-Sarko
Hollande n'a pas mis KO son adversaire mais il remporte le débat aux points. Ce que nous étions nombreux à attendre est arrivé : un Sarkozy acculé, vaincu, fatigué. La force tranquille a eu raison de la fébrilité rageuse du Président sortant. Une victoire morale, et déjà un acte politique fort de la part de Hollande.
Il nous a bien surpris... Sarkozy croyait ne faire qu'une bouchée du Flamby. Elle a dû lui rester en travers de la gorge.
Les commentateurs ont décrit le débat comme "âpre, rugueux". Les mots sont justes. On n'avait pas vu un débat si tendu depuis longtemps. A côté, l'affrontement Chirac/Mitterrand de 1988 était détendu, et le débat Chirac/Jospin de 1995 était une rigolade. En deça-même de son discours, Hollande, par son attitude sereine, dégagée mais concentrée, par sa posture, il n'a cessé de signifier à son adversaire que ce débat, comme l'a dit Moscovici, était une "passation de pouvoir".
Pendant trois heures, Sarkozy a souffert. Hollande n'a pas infligé de KO à son adversaire, mais il a gagné aux points. Dès le début, Sarkozy a essayé de le traiter de menteur, mais l'insulte a été désamorcée par Hollande. Le candidat lisse a fait glisser les coups sur lui. Rond, il n'a pas offert de prise à son rival. On le croyait placide, un peu ahuri joyeux, il a été à sa façon impitoyable, sans en avoir l'air. Il l'a coupé, poliment mais fermement ; il est resté factuel, il ne s'est jamais laissé démonter. Il a été de bout en bout "au taquet". Hollande a tiré avec un silencieux : on n'a rien entendu, mais Sarkozy a été touché.
Par exemple, je ne sais pas si Mélenchon aurait fait mieux à sa place. Il aurait été rentre-dedans, passionné, et dans ce registre, Sarkozy l'aurait déstabilisé. Il y avait au contraire chez Hollande quelque chose de la "force tranquille". J'ai cru que ce n'était que sur son affiche, mais non, c'était aussi incarné dans le personnage.
Sarkozy a marqué indéniablement quelques points mais ils n'ont pas été assez mis en avant, par exemple sur l'embauche dans la fonction publique : Hollande veut plus de postes dans l'éducation nationale, mais s'il veut garder un effectif global fixe, où va t-il en enlever ? Sarko réplique également : "Mais vous ne les engagez pas pour 5 ans !" L'objection se perd dans le flot du débat. Le sortant n'arrive plus à pousser son avantage et les échecs rhétoriques de Hollande sont cachés derrière ses indéniables réussites.
Après dix ans d'arrivisme, de méchanceté, de cruauté, de fric, de mensonges, de trahisons, de haine, de peur, d'agitation fébrile, Sarkozy est à bout de forces. En comptant ses cinq ans place Beauveau, il est au pouvoir depuis dix ans. Presque un mandat présidentiel et demi, si on tient compte de son importance dès sa nomination à l'Intérieur. Pour la première fois, il est tombé sur plus fort que lui. Dans les duels précédents entre les deux hommes, Sarkozy était déjà pugnace, tête rentrée dans les épaules, regard d'en-dessous, molosse prêt à bondir, face à un Hollande énarque, rondouillard, spirituel, ironique. Et si l'un est resté dans le même registre d'agressivité rentrée, l'autre, pour la première fois, a effacé tout sourire.
On ne le reconnaissait plus, Hollande. C'était lui, vraiment, le sympathique secrétaire du PS, le mitterandien bon teint, moqué par les Aubry, Lang, Valls ? Il y avait quelque chose d'un peu effrayant, dans ce visage de Hollande, d'habitude si rassurant, si bonhomme. Cette fois, il avait ce visage blanc et lunaire de la femme au centre du Tricheur à l'as de carreau de De la Tour. Avec Sarkozy dans le rôle du tricheur qui, cette fois, n'a plus de cartes dans la ceinture.
Ceux qui vont probablement être les ministres du gouvernement socialiste se disaient peut-être qu'ils allaient s'installer tranquillement dans leurs bureaux, établir leurs petites baronnies, indépendants d'un président trop faible... Bien sûr, Hollande a dit qu'il refuserait de tout diriger mais je serais à la place des ministres, je me méfierais quand même... Hollande a le teint rose, frais, mais le regard aiguisé. Autant dans les meetings, il doit forcer sa voix, forcer ses gestes, bien au-dessus de son registre (au contraire de Mélenchon, parfaitement à l'aise devant une assemblée de dizaines de milliers de gens), autant en face à face, Hollande s'est révélé être un tueur doux. Le moment fort a été le mini-discours dans le discours, les seize implacables "Moi, président" qui ont défini son personnage de président anti-sarkoyste. Le passage est déjà remixé sur la musique de Daft Punk. Je ne sais pas si c'était bien nécessaire, il était déjà assez rythmé comme ça. C'était la lente mise à mort d'un président, d'une mentalité, d'un système, absolument odieux, une belle punition administrée par un président qui se veut le défenseur de la justice sous tous ses aspects. De ce point de vue, cinq ans après la tentative ratée de Ségolène Royal, les chose sont enfin rentrées dans "l'ordre juste".
Hollande a donné le meilleur qu'on pouvait attendre de lui et même au-delà. A vrai dire, m'apprêtant à voter pour lui, c'était tout ce que je lui demandais : sortir le sortant (sympathisant du Front de Gauche, je n'espère pas grand'chose de sa politique à proprement parler, mais plutôt qu'il assainisse l'atmosphère au-niveau de l'État -qu'il nous débarrasse de toute la clique sinistre des flingueurs Hortefeux, Guéant, Lefebvre, de l'insipide Rama Yade, du grotesque Borloo...) Je demandais juste à Hollande, comme beaucoup de gens finalement, de faire déchoir Sarkozy, que ce dernier se prenne en pleine figure enfin la violence qu'il a fait subir aux gens, enfin -après dix ans au pouvoir et une misérable carrière d'arriviste au service d'une "politique" strictement clientéliste - du 92 de Pasqua et du TF1 de Bouygues à la collecte de fonds du Bristol. Il faut quand même bien, au bout d'un moment, que la bêtise rende gorge face à la saine raison ! Je ne croyais pas le favori de l'élection capable d'y réussir de façon si paisible et si implacable.
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