L’éternel procès de la Ve République
Laurent Fabius a qualifié la Ve République de « monarchie présidentielle » pour discréditer ses institutions. Laurent Joffrin a parlé de « monarchie élective ». Montebourg, ardent défenseur d’une VIe république, d’une « dérive monarchique ». Un sénateur communiste va même plus loin, fustigeant la « démocrature ». Lequel a raison ? Lequel pense aller le plus loin ? Tous, et aucun à la fois.
C’est l’heure du Général, « le plus illustre des Français ». Comme Bonaparte et Clémenceau en leur temps, il est l’homme providentiel, l’homme de la nation. Dès 1958 pourtant, celui qui veut instaurer une « monarchie populaire » pour régler « un problème vieux de cent soixante-neuf ans » est vu comme un dictateur ou un fasciste (les communistes, Mitterrand...). Ainsi donc, les Montebourg, Joffrin et Fabius n’ont rien inventé.
L’histoire semble se répéter, à juste titre. Avec la fin des Trente glorieuses et les alternances à répétition à partir de 1981, le pouvoir présidentiel se délite. Celui-ci est tantôt ombragé par un Premier ministre fort d’une majorité parlementaire qui ne coïncide plus avec la majorité présidentielle (trois cohabitations entre 1986 et 2002) et tantôt dilué par la globalisation financière (FMI, banque mondiale...) et par l’Acte unique européen (libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux). Chaque candidat à la présidentielle fait alors des promesses dont il sait qu’il ne pourra les tenir toutes.
Durant plusieurs années, la Ve république connaît une inflexion parlementaire. Une inflexion corrigée par le tandem Chirac-Jospin en 2000. Le quinquennat annihile presque toute possibilité de cohabitation et, par des effets mécaniques, octroie au président nouvellement élu une majorité nette pour cinq ans. La primauté du président de la république était de fait restaurée.
Ni Pompidou ni Giscard d’Estaing ne viendront rompre la tradition gaulliste : ils donneront des rôles subalternes au Premier ministre (Chaban-Delmas, Chirac...). Mitterrand, l’auteur du coup d’État permanent, a-t-il changé la nature des institutions une fois au pouvoir ? Celui qui fustigeait le pouvoir personnel du Général finira par déclarer sitôt élu : « Les institutions n’étaient pas faites à mon intention. Mais elles sont bien faites pour moi ». Mitterrand, absorbé au final par l’ivresse présidentielle, ne sera pas moins gaulliste que de Gaulle dans sa façon de gouverner. Il déclarera lui-même : « Le Premier ministre et les ministres doivent exécuter la politique définie par le président de la République ».
Chirac, « l’homme qui ne s’aimait pas », sera incapable de suivre ses prédécesseurs dans cette dérive monarchique. D’abord parce qu’il ne pèsera jamais plus de 20% au premier tour d’une présidentielle. Ensuite parce qu’il n’en a pas le caractère. Vainqueur logique en 1995 d’une gauche en reconstruction, il sera élu par défaut en 2002. Ses faibles scores au premier tour, combinés à une abstention souvent élevée, ne lui offrent pas la légitimité et la marge de manœuvre de candidats rassemblant auparavant plus d’un tiers des suffrages dès le premier tour.
La rupture sarkozienne ne sera finalement qu’un retour en arrière. Et si Bayrou et les socialistes se déclarent vent debout contre « l’hyperprésident » Sarkozy, ils se trompent d’adversaire, voire d’époque. Le pouvoir politique classique du pays est effectivement rogné par Sarkozy, mais ce pouvoir est lui-même envahi par d’autres sphères de pouvoir (économique, européenne). En résumé, Sarkozy prend de plus en de place dans une bulle de plus en plus en plus petite. C’est un hypoprésident car dans un contexte de crise mondiale, d’endettement massif et de délégation de prérogatives françaises à l’Union européenne, il est probablement le président le plus faible de la Ve République.
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