A présent que la candidate socialiste a été désignée par les militants du PS, on peut raisonnablement se poser la question de sa capacité à réaliser son programme et, surtout, se demander avec quels alliés.
Le problème de
l’alternance, telle que nous la vivons depuis vingt-cinq ans, c’est
l’impression qu’elle donne aux citoyens que la politique ne change pas
réellement d’un gouvernement à l’autre. Finalement, les marges de manœuvre de
nos politiques semblent si étroites que tous les gouvernements finissent par se
ressembler. Cette perception des choses est cependant dangereuse, parce qu’elle laisse une
insatisfaction grandissante s’installer dans le pays, et ouvre la porte à
toutes les dérives extrêmes.
La tentation de l’extrême
droite d’abord, personnifiée par Le Pen pendant plus de trente ans, avec le
succès que l’on sait. Dans son dernier baroud d’honneur, celui-ci engrangera
peut-être sa dernière grande victoire électorale, avant de se retirer
définitivement sur ses terres. Quelle que soit la personnalité qui lui
succédera - vraisemblablement sa fille Marine, pour partie au moins - les
idées que celui-ci aura introduites dans le débat politique poursuivront leur
parcours dans l’opinion publique pendant de nombreuses années encore. Les
thèmes du "ras-le-bol", du "tous pourris" et des solutions
à l’emporte-pièce pour satisfaire aux demandes des laissés-pour-compte de la
croissance seront largement repris par de nombreux hommes politiques de droite
(de Villiers en tête), voire de gauche (Ségolène Royal ?).
L’extrême gauche ensuite,
qui a connu son heure de gloire médiatique à l’occasion de la lutte pour le non au projet de constitution européenne, ne parvient pas pour
l’instant à mutualiser ses efforts pour présenter un candidat unique qui
défende ses idées. Dans certains cas, les vieux combats idéologiques qui
perdurent depuis quatre-vingt-dix ans au moins prennent le pas sur toute autre considération
et rendent toute alliance impossible. Là aussi, l’ancienne passionaria, Arlette Laguillier, vit certainement son dernier
combat majeur avant une retraite définitive. José Bové, Olivier Besancenot,
Clémentine Autain et bien d’autres tentent de capter l’héritage d’un parti
communiste moribond et exsangue. Marie-Georges Buffet, prête à s’allier au vieux
frère ennemi socialiste, devra sa survie au score qu’elle réalisera. Selon ce
résultat, le PC disparaîtra peut-être pour laisser la place à une nouvelle
organisation de l’extrême gauche. Toutefois, elle peut encore compter sur ses
nombreux élus locaux et sur son implantation profonde dans certaines régions.
Le mouvement de l’histoire plaiderait pour une liquidation définitive de ces
structures anciennes, pour une refondation d’un projet à nouveau
révolutionnaire. Les solutions que présente ce camp sont largement diffusées
par les médias, grâce aux combats acharnés des altermondialistes de tout poil.
Leur espoir, et les promesses électorales qui en découlent, est de parvenir à
mettre en place un Lula ou un Chavez français, qui romprait avec cinquante années
de politique socialo-libérale. Même si le risque de dérapage vers un système
totalitaire, de type chinois ou soviétique, semble éloigné, on peut se demander
dans quelles conditions et sous quelle forme un gouvernement de ce type
pourrait bien se former et diriger le pays, compte tenu des engagements
internationaux et de la place de la France sur l’échiquier mondial.
Et c’est ici que se pose
le grand problème de la candidate socialiste. Pourra-t-elle renouer des
alliances solides avec ses partenaires extrêmes, dont les Verts ? L’union
de la gauche, puis la gauche plurielle, ont laissé des cicatrices qui tardent à
se refermer. Dans un système politique tel que le nôtre, au scrutin majoritaire
favorisant les grandes formations politiques, le poids électoral du PS pèsera
lourdement sur les décisions des uns et des autres. Si nous étions dans un
système proportionnel, il y a bien longtemps que le parti aurait explosé en
différents mouvements. La tendance le plus à gauche, incarnée par Emmanuelli et
des élus plus radicaux comme Mélenchon, peine à cohabiter avec les réformateurs
sociaux-démocrates, dont Rocard, et héritiers de Mendès France. Qu’y a-t-il de commun entre tous ces héritiers du mitterrandisme des années 1980,
sinon le désir de se partager le gâteau électoral ? Fabius a oublié son
célèbre : "Lui, c’est lui, et moi, c’est moi". Jospin a connu son heure
de gloire et ne paraît pas en mesure d’incarner un nouveau rassemblement des
forces de gauche. Hollande, trop habile pour prendre le risque de se brûler,
gère le parti comme un bon père de famille, sans imagination ni projet.
Montebourg a grillé toutes ses cartouches les unes après les autres, jusqu’à sa
soumission à Ségolène Royal.
La candidate socialiste, à
n’en pas douter, se reposera sur le programme électoral du parti, mais
celui-ci, né d’un compromis ardu entre les trois grandes tendances du parti,
est bien terne et limité à des vœux raisonnables, sans commune mesure avec les
attentes des Français. Pour proposer de nouvelles solutions, il faudrait qu’elle
engage le pays dans une réelle rupture avec les institutions et les structures
actuelles. Les promesses de "démocratie participative" risquent de
désespérer encore un peu plus notre pays. Face aux réalités du pouvoir, il est
à peu près certain que Ségolène Royal serait obligée de centrer son
action et de mener la politique proposée par Strauss-Kahn (avec
Strauss-Kahn ?). Elle qui incarne, pour l’instant, par la grâce des
sondages, cette demande de réforme et de rupture, semble bien incapable de réunir
la gauche au premier tour. Pour peu que l’extrême-gauche et les Verts
parviennent à une candidature unique, ils pourraient réunir près de 20% des
voix, soit plus que Jospin en 2002. N’oublions pas que, lui aussi, il était le
favori des sondages jusqu’aux tout derniers jours de la campagne.
Le système est moribond et
ne génère plus que de la douleur. Comme tout système, il s’est
progressivement sclérosé et n’est plus qu’une machine à fabriquer des décrets
ou des lois, loin des réalités sociales du pays. Plus personne ne doute de la
capacité des socialistes à administrer le pays. Mais ce que le pays attend
d’eux, c’est de le diriger vers un réel changement. Dans notre goût pour la
royauté et notre admiration pour les hommes providentiels, nous attendons notre
nouveau messie, qui nous délivrera de nous-mêmes. Cet homme, ou cette femme,
providentiel(le) qui donnera un nouvel élan au pays, en rétablissant la justice
sociale, en prenant aux riches pour donner aux pauvres, en protégeant tous nos
acquis, sans nous demander aucun effort... Vaste utopie collective.
Pourtant, les prochains
gouvernements pourraient bien bénéficier de conditions économiques largement
favorables, ouvrant la porte à de réelles mutations sociales. Le passage à la
retraite de toute la population des baby-boomers, créant la nouvelle génération
des papy-boomers, laissera le champ libre aux plus jeunes, réduisant
automatiquement le chômage à néant. Progressivement, le plein-emploi succédera
à la longue crise que nous avons vécue depuis trente ans. Bien entendu, la
question du financement des retraites se posera, mais si la croissance se
maintient grâce à la consommation, on trouvera certainement des mécanismes
permettant de financer indirectement cette charge nouvelle. On peut également supposer
que les mentalités évolueront et qu’un certain nombre de retraités reprendront
un travail, cotisant à nouveau au système social. La tendance généralisée à
l’automatisation et l’orientation de notre industrie vers des secteurs de
pointe, difficilement délocalisables, génèreront de nouveaux revenus, taxables
sous forme de CSG par exemple. Alors que certains veulent réindustrialiser la
France, l’objectif des socialistes devrait, au contraire, revenir à ce principe
fondamental du parti, et du marxisme en général, qui est de libérer le
prolétaire de la contrainte de travail. La réduction constante du temps de
travail s’est accompagnée d’une productivité toujours plus grande de chaque
ouvrier. Dans les vingt prochaines années, les mutations technologiques devraient
permettre de libérer encore plus les travailleurs, et aux activités économiques
de se tourner davantage vers les services.
Dans ce contexte, tous les
éléments devraient être réunis pour permettre à un gouvernement de gauche
d’enfin réaliser quelques-uns de ses projets. La période de transition risque
cependant d’être rude, surtout si les compromis politiques ne parviennent pas à
dégager des majorités stables. On voit bien, dans la gestion de la ville de
Paris par exemple, toutes les difficultés que rencontre le Parti socialiste
pour concilier les demandes extrémistes de son aile verte avec les réalités
économiques et sociales. Comment pourrait-il, dans ces conditions, diriger le
pays en étant allié avec un parti d’extrême gauche ? Seul le Parti communiste,
amer mais réaliste, semble prêt au compromis. Pour l’instant, une seule voie
n’a jamais été tentée. Elle a été suggérée et initiée par François Bayrou cet
été. Ce serait une alliance des sociaux-démocrates avec les sociaux-chrétiens
de l’UDF. Loin de la ligne ultralibérable de certains membres de l’entourage
de Sarkozy, la droite peut aussi se recomposer en force de proposition autour
du projet de Bayrou. Tout dépendra de la dynamique de l’élection
présidentielle, et surtout des élections législatives qui suivront.
Entre-temps, il faudra que la candidate socialiste réfléchisse longuement aux
propositions qu’elle soumettra aux Français, et aux alliances qu’elle devra
consentir pour parvenir au pouvoir.