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La « parapolitique » : la politique selon Alvaro Uribe

Depuis plus d’un an, la Colombie est secouée par le scandale de la parapolitique qui révèle les liens entre les paramilitaires, de nombreux personnages politiques, les forces de sécurité et le narcotrafic. L’entourage du président Alvaro Uribe est également impliqué dans ce système, pourtant les « négociations » avec les paramilitaires en vue d’un désarmement complet se poursuivent tranquillement.

Origine

La Colombie, comme l’Amérique latine en général, sont encore très marquées par les relations clientélistes, qui s’épanouissent avec la décentralisation des institutions[1].Les grands propriétaires terriens, les notables, et jusqu’aux gros narcotrafiquants, peuvent s’appuyer sur des réseaux allant des plus hautes strates de la société jusqu’aux paysans et ouvriers qu’ils exploitent. Mais aussi, nous l’avons constaté, sur des bandes armées, qu’on appelle paramilitaires, AUC (Autodéfenses Unies de Colombie) ou Convivir (mises en place par Uribe en 1994 quand il était gouverneur de l’Antioquia) selon les périodes. Les paramilitaires ont su utiliser ce clientélisme pour s’infiltrer dans la vie politique locale et régionale, puis au Congrès et au gouvernement, comme le montrent certaines arrestations récentes.

Seulement, il est tout à fait récent que ces relations soient étalées au grand jour, et surtout que les enquêtes judiciaires aboutissent. L’impunité a toujours été de mise, puisque la justice comme les pouvoirs publics en général, et la classe politique au pouvoir, étaient soit sous la coupe des paramilitaires, soit collaboraient avec. Les opposants étant systématiquement éliminés ou contraints à l’exil, la contestation s’avérait, et s’avère toujours, particulièrement risquée.

Les exemples de parents ayant reçu des menaces après avoir porté plainte suite à la disparition d’un proche ne manquent pas, les exemples d’enquêtes n’ayant pas abouti ou de juges assassinés non plus.

Les élections législatives et municipales de 2006 ont été le point de départ de ce qui s’est vite transformé en scandale : la révélation publique des liens entre les paramilitaires et des politiciens du parti libéral (celui d’Uribe), dans le Nord de la Colombie.

Mais dès la présidentielle de 1994, Andrés Pastrana (conservateur, il a perdu au profit du candidat libéral Ernesto Samper) envoie au président César Gaviria des enregistrements compromettants pour son rival libéral [2] : des membres du Cartel de Cali évoquaient le financement de la campagne de Samper. Aucune enquête judiciaire n’a été entamée à ce sujet, bien que par la suite, des perquisitions menées dans des entreprises appartenant aux frères Orejuela aient permis d’établir qu’ils avaient réalisé au moins 6 400 opérations financières pour assurer la campagne (financement de parlementaires, d’officiers, policiers, etc., mais aussi achat du procureur général de la nation[3] et d’autres fonctionnaires de la justice). L’enquête de la Fiscalia appellée « proceso 8 000 » a très vite mis à jour plus de 40 000 transactions via des sociétés écran, avant de déboucher sur de nombreuses autres investigations parallèles mettant en cause neuf congressistes libéraux, des juges et de hauts membres du Cartel de Cali. Les élections de 2002 ont aussi amené leur lot de déclarations fracassantes, comme celle de Salvatore Mancuso (un leader des AUC) se félicitant que 35 % du Congrès était allié aux paramilitaires.

En novembre 2006, le sénateur libéral Miguel de la Espriella déclare que lui et une quarantaine d’autres politiciens (dont certains présents dans le gouvernement Uribe) ont conclu en juillet 2001 un pacte - le pacte de Ralito - avec les paramilitaires en vue de créer un mouvement politique qui devait s’appeler Movimiento Nacional Comunitario (Mouvement national communautaire). Ces politiciens auraient selon de la Espriella été instamment priés par les paramilitaires d’assister à cette réunion, à laquelle Carlos Castano (créateur des AUC et paramilitaire depuis toujours) et Mancuso auraient été présents.

En novembre, la Cour suprême fait arrêter trois parlementaires, Álvaro Garcia Romero, Jairo Merlano et Erik Morris Taboada, en raison de liens présumés avec les paramilitaires, puis six autres parlementaires doivent répondre du même type d’accusations. Alvaro Garcia est fortement soupçonné d’avoir ordonné aux paramilitaires le massacre d’une quinzaine de personnes en 2000[4]. Eric Morris aurait en outre menacé un témoin-clé, lui disant de revenir sur sa déposition et d’accuser un autre parlementaire.

D’autres ont démissionné ou n’ont pas pris leurs fonctions d’élus, comme Jairo Enrique Merlano qui a préféré se retirer quelques jours après avoir été mis en cause par la Cour pénale pour des crimes aggravés ; le représentant conservateur du Magdalena, Alfonso Campo Escobar, emprisonné depuis février, ou le sénateur Álvaro Araújo Castro accusé par la Cour pénale de Corte de crimes aggravés, de séquestration, et d’avoir des liens avec « Jorge 40 » (membre important des AUC et gros narcotrafiquant réclamé par les États-Unis, démobilisé). Il a été arrêté en février. Celui-ci a avoué avoir assisté à la réunion du pacte de Ralito et avoir eu un « contact marginal » avec Jorge 40[5]. La sœur d’Alvaro Araújo, la ministre des Affaires étrangères Maria Consuelo Araújo, a dû démissionner suite à ces accusations ainsi que celles, identiques, portées contre leur père.

Après la révélation d’écoutes illégales de membres de l’opposition, début mai, Uribe a été obligé de demander leur démission au chef de la police, le général Jorge Daniel Castro, et au général Guillermo Chavez, son subordonné à la tête des services secrets. Ce mois-là, une cinquantaine d’élus, locaux et nationaux, font l’objet d’enquêtes du procureur général de Colombie en raison de liens avec les paramilitaires. Parmi eux, une douzaine sont aussi accusés de crimes. Cerise sur le gâteau, Mancuso menace de révéler les noms de politiciens et fonctionnaires toujours en exercice avec lesquels il a été en rapport.

palomascirculoyvelaMais le coup de théâtre est survenu avec la saisie début 2006 de l’ordinateur portable de Jorge 40, que son assistant avait avec lui. Car finalement ce n’est pas le processus de démobilisation des AUC qui a permis de lever le voile sur les liens entre la classe politique et les paramilitaires, mais la lecture du disque dur d’un ordinateur récupéré par hasard. Cet ordinateur est devenu la principale source d’information pour la justice et a permis à la Fiscalia d’établir que les paramilitaires soutenaient bien certains parlementaires, du moins dans le nord du pays. Dedans, il y avait la liste de 558 personnes assassinées par les paramilitaires - depuis le cessez-le-feu de 2002 jusque début 2006, dans une seule région. Ces assassinats sont répertoriés par date, lieu, motif. Parmi les victimes, on retrouve le nom du professeur de sociologie Alfredo Correa, assassiné en septembre 2004 en pleine nuit par des sicarios (tueurs à gage) en moto. Il y a aussi les noms de syndicalistes, défenseurs des droits de l’homme et autres subversifs accusés d’être avec les FARC, des noms de commerçants ou de vendeurs ambulants, mais on retrouve également, dans le cadre du « nettoyage social  », des noms de prostituées et délinquants. Le bureau du procureur a ainsi établi l’existence de « listes de cibles », à savoir des syndicalistes et des opposants politiques d’Uribe. Ces listes ont été mises au point par de hauts responsables des services de renseignements, et remises aux AUC pour qu’ils menacent et/ou assassinent les personnes désignées. Ceux qui figuraient sur une de ces listes, transmise à Jorge 40 par Noguera (le chef du DAS) sont aujourd’hui exilés ou ont été assassinés.

L’ordinateur contenait aussi des éléments sur la manière sont les AUC soutiraient 10 % de tous les contrats, sur les fraudes réalisées lors du processus de démobilisation, mais encore les noms de ceux avec qui ils font le trafic de cocaïne, les noms des fonctionnaires qui collaborent avec eux, et les noms des politiciens de la côte (le secteur du Bloque Norte, dirigé par Jorge 40) qui sont leurs alliés. Parmi les noms cités, celui d’Alvaro Araújo ou celui de la sénatrice Zulema Jatin qui a reçu de l’argent des AUC pour financer sa campagne. Le gouverneur du Magdalena, Trino Luna, aurait rencontré l’assistant de Jorge 40 pour un contrat de traitement des ordures. Mais d’autres députés, sénateurs et représentants de l’État sont mentionnés sur le disque dur. La Fiscalia a cité également Héctor Julio Alfonso López et Lidio García Turbay, représentants à la Chambre, Vicente Blel, ex-sénateur libéral et Luis Daniel Vargas, ex-gouverneur de Bolívar, comme ayant bénéficié de l’appui des paramilitaires pendant leur campagne. Au moins une cinquantaine d’élus sont dans la ligne de mire de la Fiscalia à ce jour, une cinquantaine d’autres devant suivre.

Les noms de fonctionnaires de la Fiscalia (dont des juges), du DAS et de l’armée sur lesquels les paramilitaires pouvaient compter apparaissent également.

Le procureur général de la nation a décidé de créer une section spéciale pour enquêter sur les cas de collusion entre des employés de la fonction publique et les paramilitaires.

Lors d’une interview début mai au quotidien El Tiempo, Mancuso a prévenu que ses déclarations allaient impliquer au moins 70 membres du Congrès, des membres de l’Église catholique, des transnationales ainsi que les banques qui lui avaient permis de blanchir l’argent du narcotrafic. Il aurait aussi déclaré, selon l’agence Prensa latina, que les feuilles de coca destinées au trafic étaient transportées dans des hélicoptères pilotés par des officiers de police qui travaillaient pour les paramilitaires en dehors de leurs heures de service.

En juin, le même Mancuso a avoué lors d’une comparution devant la justice avoir eu plusieurs entretiens avec le vice-président de la République (et ancien rédacteur en chef du quotidien El Tiempo), Francisco Santos. Ledit Santos lui aurait alors proposé de mettre en place un front militaire à Bogota pour contrer les guérillas. Mancuso affirme que cette proposition n’a pas été faite qu’à lui. Il dit aussi avoir rencontré celui qui est aujourd’hui ministre de la Défense, Juan Manuel Santos, pour les mêmes raisons en 1997.

Le scandale de la « parapolitique » dévoile les liens inextricables entre la classe politique et les organisations paramilitaires. Les révélations se succèdent, et touchent des personnes de plus en plus haut placés dans les appareils d’État. Rafaël Garcia, directeur informatique du DAS (Département administratif de sécurité, sous les ordres de la présidence) jusqu’en 2004 et aujourd’hui en prison pour avoir fourni des informations aux paramilitaires, passe à table. Il affirme que Jorge Noguera, chef du DAS, a rencontré des leaders paramilitaires (dont Rodrigo Tovar, alias « Jorge 40 ») et des opposants vénézuéliens dans le cadre d’un plan de déstabilisation d’Hugo Chavez[6]. La famille Noguera est par ailleurs connue pour ses liens avec les narcos, qui lui ont permis de conserver un bon statut social, schéma qui ressemble à celui qu’a connu la famille Uribe.

La Fiscalia (le bureau du procureur), qui mène les enquêtes pénales, travaille sur l’infiltration de paramilitaires au sein du DAS, ainsi que sur la participation de membres du DAS à l’assassinat de syndicalistes et professeurs d’université de la côte Atlantique.[7] Noguera a aussi été accusé d’avoir fait disparaître des informations compromettantes pour des narcotrafiquants extradables vers les États-Unis et des paramilitaires. Uribe a dû le rappeler de son poste d’ambassadeur à Milan pour qu’il réponde à la justice. Les accusations de Garcia ont été déterminantes pour entamer deux poursuites pénales et une disciplinaire contre Noguera, et le faire « incarcérer »[8]. Celui-ci a par ailleurs été le directeur de campagne d’Uribe dans le Magdalena pour les présidentielles de 2002, et aurait contribué à y détourner des voix en sa faveur. Salvatore Mancuso, le remplaçant de Castano à la tête des AUC, s’est félicité en public du fait que les AUC contrôlaient 35 % du Congrès après les législatives de 2002, et a reconnu lors d’une audience au tribunal le soutien des AUC à Alvaro Uribe.

Au procès de Jorge 40, plus de 300 victimes ont témoigné. Il n’a avoué « que » la responsabilité du massacre de 45 habitants d’un village de pêcheurs, Nueva Valencia (mais, selon lui, il s’agissait, bien sûr, de militants de l’ELN, l’une des guérillas de gauche), et la disparition de sept enquêteurs de la Fiscalia, ces deux faits remontant à 2000.

En août, le député Alfonso Campo a avoué devant la Fiscalia (le procureur) avoir eu des réunions avec les AUC dans le but de commettre des crimes, d’avoir exercé des contraintes sur les électeurs, et la modification des résultats du vote. C’est le premier à parler parmi les trente députés sous le coup d’enquêtes actuellement. Il aurait vu Jorge 40 pour parler de « sujets politiques ». Des généraux et de hauts responsables de la police ont été dénoncés par Mancuso ou d’autres chefs paramilitaires. Parmi les noms cités, le général Serrano, aujourd’hui ambassadeur en Australie, serait ainsi intervenu au milieu des années 90 pour que Mancuso et Jorge 40 n’aillent pas en prison. Mancuso a également dénoncé - entre autres - Rito Alejo del Río, Iván Ramírez et Martín Orlando Carreño, trois généraux de l’armée avec lesquels il aurait collaboré. Les hommes de Mancuso auraient ainsi effectué des patrouilles avec les soldats de la 17e brigade. Ramirez, de la 11e brigade, est ensuite devenu chef du renseignement de l’armée, malgré les nombreuses plaintes de ses victimes auprès de la justice.

2. La démobilisation

Les discussions entre le gouvernement et les paramilitaires commencent dès l’élection d’Uribe en 2002. Le président cherche donc à « négocier » pour amener les AUC à se démobiliser, comme il l’a répété durant sa campagne. Les paramilitaires, eux, veulent l’immunité. Qu’à cela ne tienne, le 22 janvier 2003, Uribe sort un décret qui prévoit l’amnistie pour ceux qui ne sont pas poursuivis pour les exactions les plus graves (c’est-à-dire des massacres répétés). Il est à noter que la Commission internationale des juristes a déclaré que « La réalité des investigations judiciaires menées en Colombie sur les crimes commis par les paramilitaires démontre que l’immense majorité de ces crimes n’a pas été éclaircie et n’a pas connu d’investigations conséquentes ; que quand il y a investigation, les auteurs de ces crimes sont rarement identifiés, et que quand ils le sont, la majorité ne sont pas poursuivis et conservent le statut de suspects »[9].

En août 2004 vient un autre décret présidentiel (décret 2767) qui prévoit l’impunité, mais aussi des aides financières pour les démobilisés qui fourniraient des informations ou « désireraient développer des activités de coopération avec les forces publiques ».

Le meilleur vient avec la fameuse loi de « Justice et paix », approuvée le 21 juin 2005, qui poursuit le processus de démobilisation. Selon ce plan, les paramilitaires sont considérés comme des « délinquants politiques », et non des criminels de droit commun. Cela leur évite une extradition vers les États-Unis qui réclament les plus gros narcotrafiquants, et leur peine est fixée à huit ans au maximum (dont quatre peuvent se faire en liberté conditionnelle). Mais pas dans une prison normale. En effet, actuellement 80 chefs paramilitaires sont en résidence surveillée dans un ancien complexe touristique de luxe. Malgré cela, les paramilitaires sont coupables de fraudes massives dans le cadre dudit processus.

L’ordinateur de Jorge 40 a fourni des éléments montrant que dans le nord de la Colombie, les AUC ont recruté des paysans sans travail qu’ils ont fait passer pour des paramilitaires lors de la démobilisation devant la justice. Par exemple, le premier groupe à être démobilisé le 25 novembre 2005 est le Bloque Cacique Nutibara, de Medellin. Sur plus de 2 000 hommes, 860 rendent les armes à ce moment, mais un gros doute est demeuré sur l’identité des hommes qui se sont présentés devant la justice. Le haut commissaire à la paix a noté que deux jours avant la démobilisation, les paras ont recruté de jeunes délinquants qu’ils ont intégrés au groupe d’hommes démobilisés.

Depuis 2005, c’est-à-dire depuis le début de la « démobilisation », les exactions des paramilitaires ont fortement augmenté : cette année-là, il y a deux fois plus d’attaques que durant les deux années précédentes et ce, malgré la démobilisation - qui toutefois reste théorique - de 15 à 20 000 paramilitaires.

Uribe compte transformer ces « délinquants politiques », coupables de massacres et de trafic de drogue à grande échelle, en « auxiliaires civils » de la police. Cela implique donc qu’ils auront à faire des patrouilles dans le pays, et seront chargés du maintien de l’ordre.

De plus, en ce qui concerne le désarmement, il semble que ce soit un échec[10] puisque seulement 65 % des paramilitaires démobilisés ont remis une arme en état de fonctionner.

031006_p8En août, sur la côte Atlantique, la justice a procédé à une centaine d’arrestations, dont des policiers et inspecteurs du DAS, membres d’un certains groupe appelé « Los 40 ». Ce groupe serait apparu peu après la démobilisation de Jorge 40 et de son Bloque Norte, la division paramilitaire qui régnait sur le secteur[11]. La tête du groupe serait un ancien policier qui a remplacé Jorge 40, Miguel Villareal Archilla, alias « Salomon » ou « El Viejo », arrêté le 23 avril de cette année, et sous le coup d’une demande d’extradition des États-Unis pour narcotrafic. « Salomon » s’occupait spécialement de tout ce qui était lié au narcotrafic dans le Bloque Norte, et s’appuyait sur des bandes locales de petits délinquants pour commettre différentes exactions. Dans ce groupe émergeant présent sur trois départements et calqué sur la structure paramilitaire, on retrouve des délinquants de droit commun, des paramilitaires non démobilisés et même certains démobilisés qui sont revenus à la criminalité[12] . C’était le cas pour « Salomon », démobilisé du Bloque Norte, qui au départ a dirigé la bande émergeante depuis le Venezuela. En s’appuyant sur différents narcotrafiquants comme Wilber Varela ou Juan Carlos Ramirez, il a réussi à supplanter une autre bande émergeante (« Los Paisas »).

Les premiers groupes armés émergeants seraient ainsi apparus en avril 2005 dans le centre du pays sous le nom « Aguilas Rojas » (Aigles rouges).

Le 11 mars 2006, la Fiscalia a arrêté à Baranquilla le bras droit de Jorge 40, Edgar Fierro Florez, alias « Don Antonio », un ex-officier de l’armée. L’enquête a permis de mettre la main sur tout un système de communications et de retrouver la tête de l’organisation qui n’était autre que Jorge 40 (démobilisé avec 2 000 hommes du Bloque Norte), pilotant tout cela depuis sa prison dite « de haute sécurité » dans l’Antioquia. Manifestement, celui-ci était en contact avec les principaux chefs de bandes criminelles (dont faisait partie « Salomon ») de la côte Atlantique, mais aussi avec le DAS, la police, l’armée et la Fiscalia. La bande émergeante pilotée par Jorge 40 via « Salomon » avait donc toujours des liens avec différentes institutions, y compris la justice et la police. Il semble que les fonctionnaires impliqués étaient très actifs dans la lutte contre le narcotrafic et les exactions sur la côte Atlantique[13]. Ainsi, pour donner un exemple, la Fiscalia a établi qu’Ernesto Escorcia Niebles, policier sur la côte Atlantique, démis de ses fonctions pour des « problèmes psychiatriques », était chargé à temps complet de fournir des informations confidentielles à « Los 40 ».

Même Le Monde publiait cet été un article intitulé « Des paramilitaires colombiens se reconvertissent dans le crime organisé »[14] et indique que « Sur 1 452 membres de ces bandes (les bandes armées émergeantes) arrêtés ou tués par les forces de sécurité, 245 étaient des ex-paramilitaires ».

Grâce au « processus de paix », Mancuso (le remplaçant de Castano) ne risque pas plus de huit ans de prison s’il avoue quelques crimes et/ou accointances avec des politiciens, militaires ou policiers morts ou déjà condamnés (ce sont les termes de l’accord passé entre les AUC et le gouvernement) et/ou s’il dévoile l’emplacement de quelques fosses communes, situées presque uniquement dans les zones d’influence des AUC, dans lesquelles on a jusqu’à présent retrouvé près de 11 000 corps souvent inidentifiables.

Il a donc avoué - entre autres - avoir organisé le massacre d’El Aro le 25 octobre 1996 : en plein village, un « commando » paramilitaire a torturé et assassiné 15 personnes. Mancuso a précisé que ce massacre a été mis au point dans le bureau du commandant de la 4e brigade de l’armée, et qu’il a été réalisé avec l’appui logistique de ladite brigade et de son général, aujourd’hui décédé. Pour un autre massacre de 51 personnes au couteau à Mapiripan, il aurait, toujours selon ses propres aveux, reçu l’aide des forces aériennes. Au final, il avoue avoir assassiné ou fait assassiner 336 personnes...

3. Bilan

Les paramilitaires sont en position de force par rapport au gouvernement. En effet, ceux-ci, à l’instar de Jorge 40 ou Mancuso, menacent de déballer publiquement et/ ou devant les tribunaux leurs accointances avec une certaine classe politique actuellement au pouvoir. Cela signifie donc expliquer comment certains personnages politique - à tous les niveaux - sont liés aux paramilitaires, qui eux-mêmes sont liés à de nombreuses exactions ainsi qu’au trafic de drogue. Cela fait désordre, l’État cherche donc à ne pas trop froisser les paramilitaires. On évite donc d’extrader les leaders qui forcément sont poursuivis pour trafic de drogue aux États-Unis car s’ils risquent d’être punis, ils ne se démobiliseront pas[15].

On pourrait évoquer longuement le cas du président Alvaro Uribe, dont le père et le frère ont été très proches des narcotrafiquants de Medellin, la ville d’Uribe. Lui-même est fortement soupçonné, y compris par les services secrets américains, d’avoir été ami avec Escobar, quand il était maire de Medellin notemment. Pour l’instant, il n’a été cité que comme témoin, mais force est de constater que son entourage devient clairsemé du fait des poursuites judiciaires intentées dans la cadre de la parapolitique.

De plus, les paramilitaires menacent l’État de se retourner contre lui en cas de sanctions trop importantes. En avril 2007, au moins 22 « groupes armés émergeants » fortement liés au narcotrafic opéraient dans la moitié des 32 départements du pays[16]. La Commissariat aux réfugiés de l’ONU déclarait en septembre 2006 que malgré la démobilisation, les paramilitaires avaient maintenu leurs structures politiques et économiques.

Depuis le début du processus de démobilisation, l’État cherche une sortie honorable pour tout le monde, quitte à amnistier les paramilitaires et à financer leur "réinsertion". On commence à comprendre, depuis le début du scandale de la parapolitique, pourquoi l’impunité est à ce point le maître mot dans les discussions relatives à la démobilisation.

 


[1] cf. Miriam Álvaro in Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Número 7 - 2007 La parapolitica : la infiltracion paramilitar en la clase politica colombiana

[2] cf. Fausto Cattaneo, commissaire suisse spécialisé dans la lutte anti-drogue Comment j’ai infiltré les cartels de la drogue, Albin Michel, Paris, 2001.

[3] Institution qui contrôle les fonctionnaires et mène les enquêtes pour faute disciplinaire.

[4] Cf. El Tiempo du 14/07/07

[5] Semana 22/08/07

[6] Interview de Rafael Garcia par Semana

[7] Sur les enquête de la Fiscalia : El Colombiano, “Fiscalía ordenó la detención de Jorge Noguera, ex-director del DAS” El Colombiano , et Semana, 22/11/06, « Llaman a indagatoria a Jorge Noguera” Semana

[8] Dans un ancien complexe hôtelier de vacances, avec une soixantaine d’autres AUC ou pseudo AUC

[9] cf. Commission Internationale des Juristes in “Sacavando el estado de derecho y consolidando la impunidad”, 2005.

[10] cf. Constanza Vieira pour IPS

[11] cf. « Los 40 principales » in. Semana du 8 septembre 2007

[12] cf. « Jorge 40 recargado » in. Semana du 18 juillet 2007

[13] cf. « El reciclaje de Jorge 40 », in El Espectador du 22 septembre 2007

[14] cf. Paulo A. Paranagua «  Des paramilitaires colombiens se reconvertissent dans le crime organisé » in Le Monde du 18 août 2007

[15] Selon les propos de Luis Carlos Restrepo, représentant de l’Etat pour les négociations sur la démobilisation, rapportés par Semana de la dernière semaine de novembre 2005

[16] cf. Markus Schultze-Kraft “El lado oscuro de la desmovilización paramilitar" in El Tiempo, 30 avril 2007.


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8 réactions à cet article    


  • Yves Rosenbaum Yves Rosenbaum 9 octobre 2007 17:40

    Bonjour CERI, merci pour cet article très complet sur la parapolitique. Un peu plus court et c’aurait été parfait... smiley

    On insistera je pense jamais assez sur l’importance des montants qu’engendrent la production et le trafic de cocaïne en Colombie, qui a permis aux milices paramilitaires de prendre l’importance qu’on leur connaît, au point d’en devenir pratiquement un état dans l’état.

    une très bonne analyse de la situation en Colombie concernant la production de la cocaïne est disponible ici :

    http://risal.collectifs.net/spip.php?article2296

    et un autre qui vient justement de paraître sur la parapolitique (je ne l’ai pas encore lu) :

    http://risal.collectifs.net/IMG/pdf/COL97.pdf


    • Matéo34 Matéo34 10 octobre 2007 00:06

      @ l’auteur.

      Bonsoir,

      merci pour ce long article. Sans défendre les FARC, cela change de l’ambiance générale : Uribe est gentil, ils sont méchants...

      Toujours utile de participer à l’esprit critique.

      Merci

      Mathieu


      • Ceri Ceri 10 octobre 2007 13:29

        oui c vrai qu’en ce moment il y a beaucoup de propagande sur la Colombie. Après quand je vois Sarko qui veut libérere Bettancourt, je me dis qu’il ne sait pas dans quel panier de crabes il va se mettre... Ca promet encore bien des péripéties, aussi ratées que celles qu’il avait déjà tentées en envoyant le RAID il y a 2 ou 3 ans...


        • tonio tonio 21 octobre 2007 01:22

          Excellent article , long mais avec un sujet pareil c’est nécessaire. Par contre je ne peux pas m’empêcher de venir titiller un peu. Juste pour dire, les convivir et les paramilitaires sont deux chose différentes, et ce n’est pas une question d’époque il y a effectivement des cas où les paramilitaire ont investit les Convivir mais ce n’est pas le cas tout le temps et surtout les paramilitaire sont illégaux, les convivir non. Uribe en autorise un certain nombre dans la région d’Antioqua mais ce n’est pas une politique qu’il invente... elle vient du gouvernement national de l’époque.

          Ensuite sur la démobilisation, bien que je partage ton avis, je crois qu’il ne faut pas oublier que le gouvernement n’était pas en position de force pour négocier avec les paras... non seulement ceux-ci gère 40% du congrès mais en plus militairement leur force va en grandissant. Il faut parfois le prendre en compte quand on analyse les peines négociées. Je ne dis pas ça parce que que je crois qu’elle sont suffisante mais simplement si on imagine une éventuelle négociation avec les FARC ce n’est pas vraiment sûr que l’on puisse imaginer des peines aussi « lourde » pour eux que pour les paras ... et ça risque bien de poser des problèmes.

          Financer la reinsertion des paras est quelque chose de normal, tout d’abord parce que tous les paras sont loin d’être riche, seul les chefs sont plein de thune, les autres touchaient des salaires de misère. Mais aussi parce qu’il faut leur apprendre à faire autre chose que de couper des têtes... et c’est un travail vraiment pas évident. Surtout lorsque tu es confronté à des jeunes qui n’ont fait que ça de leur vie !


          • Ceri Ceri 22 octobre 2007 01:24

            Oui j’ai fait un petit raccourci en disant que convivir et paras c’est la même chose. Mais quand on reprend l’histoire du paramilitairisme, on observe une très très forte imbrication entre les groupes payés par les narcos ou les grands propriétaires terriens pour se protéger des FARC, et les groupes de citoyens armés par l’Etat et travaillant avec l’armée.

            Les paras ont été légaux dans les Convivir, mais ce sont les mêmes, quand la loi a été déclarée inconstitutionnelle, qui ont rejoint les AUC. Je remets le début de l’article (eh oui il est long mais en + j’ai mis que la fin, c’est dire ce que je vous ai épargné smiley

            Les paramilitaires

            En 1965 le gouvernement sort un décret[3] pour lutter contre les guérillas, qui commencent à se structurer militairement et financièrement. Ce décret prévoit l’armement de groupes de civils pour assurer la défense nationale[4], et devient une loi en 1968 (loi 48). En 1969 un règlement militaire[5] prévoit la constitution de groupes de civils armés pour lutter contre les guérillas, sous l’autorité de l’armée.

            En 1991, une ordonnance du ministre de la Défense met en place des réseaux de renseignement, avec des retraités de l’armée, réseaux dans lesquels les instructions devaient être données uniquement oralement. L’un de ces groupes a été mis en cause par une enquête concernant le meurtre d’une centaine de civils, dont des syndicalistes et militants des droits de l’homme, dans le département de Santander.

            La loi de 1969 a été déclarée inconstitutionnelle trente ans plus tard, mais les paramilitaires sont restés, et se sont retrouvés avec les citoyens armés dans les « Convivir » qui ont pris leur essor autour de Medellin (crées en 1994, ils sont déclarés inconstitutionnels en 1997, les paramilitaires se dirigeant alors vers les AUC). Uribe a beaucoup travaillé à leur création quand il était gouverneur de l’Antioquia, à tel point que Carlos Castano, le chef des AUC a dit de lui : « C’est l’homme le plus proche de notre philosophie ».

            Aujourd’hui, des entreprises comme Chiquita (ex United Fruits), l’exploitant minier américain Drummond[6] ou Coca Cola pour ne citer que ces cas-là payent aussi ces troupes paramilitaires pour intimider ou liquider les syndicalistes, ou pour faire fuir les populations des zones convoitées (notamment les indigènes, puisque la Constitution de 1991 empêche l’exploitation à outrance des terres accordées aux populations indiennes). Amnesty a publié récemment dans son rapport “Killings, arbitrary detentions and death threats - the reality of trade unionism in Colombia”, qu’ « une stratégie coordonnée militaro-paramilitaire visant à saper le travail des syndicalistes tant en les éliminant qu’en tentant de discréditer la légitimité de leurs activités syndicales continue d’être appliquée »

            Les déplacements forcés de population du fait de massacres, menaces et autres exactions, ou du fait des fumigations liées au Plan Colombie ont mis plus de trois millions de personnes sur les routes, essentiellement dans les régions visées par les multinationales. Un exemple parmi tant d’autres : les 5 000 derniers membres du peuple indigène U’wa vivent dans un parc naturel situé sur une zone où Occidental Petroleum peut extraire les quantités qu’elle veut. Cette zone est par conséquent fortement militarisée et paramilitarisée afin de protéger les infrastructures des attaques des FARC et de terroriser la population pour qu’elle ne soutienne pas les guérillas.

            Paramilitaires et narcotrafiquants

            Les narcotrafiquants des Cartels, comme Escobar à Medellin, se sont progressivement investis en politique, devenant conseillers municipaux, maires puis députés au Parlement (en 1982 pour Escobar). A côté de cela, sa fortune permettait de mener des actions sociales -construction de routes, d’hôpitaux, de maisons : le programme « Medellin sin tugurios » (« Medellin sans bidonvilles »), construction de terrains de football, d’un zoo gratuit- de manière à s’assurer un appui populaire. Tout cela, il faut le préciser, s’est passé également lorsque Uribe était maire de Medellin. Mais très vite, afin d’assurer ses arrières tant au niveau politique qu’au niveau du trafic, Escobar passe à l’assassinat de personnalités politiques et des mouvements syndicaux et sociaux. En 1989, il a par exemple fait assassiner trois candidats à la présidentielle. La même année le magazine Forbes le classe 7è fortune de la planète. 2. Chiquita_ColombieDonc, nous avons la constitution de groupes de citoyens armés par le gouvernement pour lutter contre les guérillas marxistes ; mais il y a aussi les armées privées des grands propriétaires terriens et des gros narcotrafiquants qui subissaient les attaques des FARC. Ces groupes de paysans armés pour défendre les grandes propriétés et les intérêts particuliers existent également depuis les années 60, mais se sont fortement développés dans les années 80, quand les cartels ont permis aux paramilitaires d’obte,ir de gros revenus avec le trafic de drogue. Les FARC se constituent en 1964 afin de structurer les groupes de paysans communistes qui tentaient de préserver les villages autonomes créés dans les années 50, après la « Violencia » (guerre civile de 1948 à 1953, déclenchée après l’assassinat du leader progressiste Jorge Eliecer Gaitan). A peu près à cette période naissent aussi l’ELN (plus guévariste que marxiste), l’EPL (armée populaire de libération, maoïste), le M-19 ou encore la branche armée du PC colombien... De leur côté, dès les années 50, les propriétaires terriens et les multinationales entretiennent des armées privées (comme United Fruit Company ancêtre de Chiquita).

            Dans un style moins violent, les frères Rodriguez Orejuela du cartel de Cali ont préféré investir l’argent du trafic dans des entreprises légales (au moins une centaine), ne se sont pas engagés personnellement en politique et se sont contentés de financer les campagnes de certains candidats, de manière à avoir au moins un tiers du Congrès à leur botte. Avec leurs largesses envers les politiciens locaux et nationaux ainsi qu’envers les entreprises légales, ils se sont assuré de nombreux soutiens, et leurs enfants et petits enfants ont étudié en Europe ou aux Etats Unis et sont insérés dans la bonne société, parfois jusqu’à occuper des postes officiels.

            Ces cartels contrôlaient tout le processus du trafic, depuis la production jusqu’aux filières de vente aux Etats-Unis. L’argent était souvent blanchi par le rachat de terres, les narcos se retrouvant alors parmi les grands propriétaires terriens. A partir des années 80, ils commencent à financer des milices officiellement pour se protéger eux (les guérillas faisaient quelques assassinats et enlèvements ciblés de pontes du narco trafic et d’entrepreneurs, ou de leurs proches) et leurs terres des guérillas. En réalité le but était d’expulser les paysans, et/ou de terroriser les leaders syndicaux et les militants de gauche qui luttaient contre l’accaparement des terres ou pour les droits de l’homme.

            En 1982, les narcos mettent sur pied le MAS (Muerte A los Secuestradores, mort aux ravisseurs), un groupe de 223 chefs mafieux qui se donnent pour mission de tuer les membres d’une guérilla (le M-19) qui ont enlevé la sœur de membres du cartel de Medellin. Mais rapidement, le MAS s’occupe aussi de « nettoyage social » : élimination des délinquants, prostituées, indigents ; ainsi que de l’élimination des opposants politiques et leaders syndicaux... Le MAS a été la structure de base du « nouveau » paramilitarisme (ou « narco paramilitairisme) travaillant main dans la main avec l’armée et organisé par les narcos, certains bataillons de l’armée formant des paramilitaires dans le but de lancer la contre insurrection et éradiquer les guérillas.

            Le MAS, d’après une enquête du procureur général colombien, a été constitué en août 1982 en application d’un accord entre des membres de l’armée et des éleveurs de bétail. Les premières actions (atteintes aux droits humains etc.) de civils armés agissant en coordination avec l’armée se sont faites sous le sigle du MAS, dans le Magdalena Medio d’abord, puis dans tout le pays. Une autre enquête du procureur général en 1983 a établi que 59 membres actifs de l’armée et de la police, dont un commandant et son second appartenant au bataillon qui a initié le « nouveau » MAS, ont participé à ce type d’actions. Tous ont été innocentés par la justice militaire.

            3. Paramilitaires et politique

            L’anéantissement de l’Union patriotique (UP) montre à quel point la présence paramilitaire a pris de l’importance au cours des années 80, et comment elle a servi les intérêts d’une certaine classe politique. Certains observateurs parlent de « génocide politique » du fait d’une volonté politique évidente d’éliminer les membres et sympathisants de ce parti d’opposition.

            Après les accords de La Uribe de mars 1984 entre les FARC et le gouvernement, les FARC doivent « s’organiser politiquement, économiquement et socialement ». En mai 1985, l’Union Patriotique est constituée en tant que parti censé regrouper les différentes revendications de l’opposition de gauche, dans un pays dominé par les conservateurs et les libéraux depuis toujours...

            Les accords de La Uribe sont vite transgressés, les FARC retournent dans la clandestinité et l’UP reste sur la placewebCOLOMBIA publique. Dès 1985 commencent les assassinats de ses représentants et de ses candidats aux différentes élections y compris la présidentielle, puis des massacres, comme par exemple celui du 11 novembre 1988 où quarante militants sont assassinés sur la placa major de la commune de Segovia dans l’Antioquia (le département duquel viennent 40% des 32 000 paramilitaires démobilisés). Des militants, des centaines de maires, des parlementaires ont été assassinés pendant plus de dix ans, mais seulement quatre cas ont été suivis de condamnations par la justice avant 1993. Finalement, l’UP a été interdite car ne réunissant pas assez de voix (il est à noter cependant que les paramilitaires ont fait pression sur la population afin qu’elle n’élise pas les candidats de l’UP). Aujourd’hui, les survivants ont prouvé l’existence d’au moins cinq plans mis au point par l’Etat, destinés à éradiquer l’UP au niveau national et régional[7]. Au moins 3 000 militants ou sympathisants de l’UP ont été assassinés en une dizaine d’années, dans un pays de 44 millions d’habitants.

            En 1994, les frères Castano, des paramilitaires dont l’un, Carlos, a été formé aux techniques de combat et au managment de contre insurrection en Israël, entreprennent de regrouper différentes factions du Nord Ouest de la Colombie à partir de leur milice. Celle-ci a été mise sur pied avec la contribution des éleveurs, des producteurs de bananes du secteur et du cartel de Medellin, et fonctionnait avec la 17è brigade de l’armée. En 1997, les AUC sont constituées, réunissant la plupart des factions paramilitaires du pays sous les ordres de Carlos Castano. La même année, l’Observatoire géopolitique des drogues de Paris déclarait que plus de 80% de la cocaïne arrivant dans les ports européens provenait des zones contrôlées par les paramilitaires (essentiellement les zones côtières et le nord du pays).

            Les paramilitaires sont également fortement impliqués dans le narco trafic, comme l’a explicitement dit Castano, qui possédait lui-même un grand nombre de laboratoires « clandestins » dans le pays. Dans les années 90 un rapport « secret » du DAS (les renseignements colombiens) mentionne dans le chapitre intitulé « Contamination des groupes d’autodéfense par le narco trafic » que « La crise économique à laquelle étaient confrontés les groupes d’autodéfense en 1985 a pu être résolue via une alliance avec le narcotrafic ».

            A ce moment, les guérillas marxistes taxaient les cultivateurs de coca ou le transport dans les zones qu’elles contrôlaient, mais les paramilitaires contrôlaient la fabrication, le transport, l’exportation et la vente, en plus de taxer eux aussi les producteurs qui ne travaillaient pas directement pour eux.

            A Medellin, la ville d’Alvaro Uribe, les paramilitaires ont la mainmise sur le commerce légal, comme les boulangeries, les casions les entrepôts d’achat et de vente en gros, les jeux d’argent, le change et les centres commerciaux, ainsi que sur le commerce illégal notamment la prostitution y compris celle des enfants, les réseaux de stupéfiants, le marché noir d’objets volés, les prêts, les armes, les extorsions... Grâce à l’intimidation et à la violence, ils ont réussi à s’installer dans les conseils municipaux, les associations de quartier, les institutions sociales, pour ensuite obliger les gens à voter pour les partis libéraux et conservateurs.

            On pourrait parler longuement des accaparements de terres par les paramilitaires qui représenteraient entre 1 et 6 millions d’hectares selon les sources, officielles ou indépendantes. Il fallait donc spolier les paysans et indigènes qui y vivaient, et ensuite « protéger » ces terres des guérillas. On pourrait aussi parler des circuits de livraisons d’armes et de matériel militaire, et des formateurs américains, britanniques et israéliens envoyés en Colombie par les Etats-Unis pour entraîner et armer les paramilitaires dans le but officiel, selon le fameux Plan Colombie, de « lutter contre le narco trafic », puis finalement aussi lutter contre les guérillas. Les exemples vérifiés sont nombreux.

            Et oui le gouvernement n’était pas en position de force, mais en grande partie parce qu’il est mouillé jusqu’au cou dans le paramilitarisme et ses exactions (la plupart des atteintes graves aux droits de l’homme sont le fait des paras et de l’armée, pas des FARC et autres guérillas cf. amnesty, HCR etc)donc au final c’est la population qui va devoir supporter que ces tortionnaires reprennent la vie civile, malgré les massacres et autres crimes.

            Financer la réinsertion du para lambda qui s’est fait embarquer et n’avait pas forcément le choix, OK, mais pas les leaders ni ceux qui ont reconnus coupables de massacres, je pense qu’il faut arreter la mascarade à un moment...


          • tonio tonio 23 octobre 2007 00:04

            effectivement c’est plus long ... mais tu aurais pu dans ce cas le publier en deux ou trois articles différents ...

            Et je ne remets pas en question ton analyse, je suis entièrement d’accord, autant sur les liens avec les narco, qu’avec le gouvernement, qu’avec les entreprise, les violation des DDH etc etc ...

            « je pense qu’il faut arrêter la mascarade à un moment... »

            tu veux faire quoi avec tous ces tortionnaires ??? ... les mettre en taule à vie reviendrait a re-créer tous les groupe paras... qui sont déjà en train de se réarmer ... Les exemples de justice transitionnel du Chili, d’Argentine, du Pérou ou du Salvador nous montre que c’est pas aussi simple...


            • Ceri Ceri 23 octobre 2007 10:31

              Je pense que certains devraient rester en taule un bon moment. Après, pour le troufion de base effectivement il faut penser réinsertion, pour ceux qui n’ont pas commis de masacres à répétition.

              Tu palres des lois d’amnistie ou réconciliation nationale dans les autres pays de la région, mais il s’agissait de dictatures, et les atteintes aux droits de l’homme étaient carrément monopole d’Etat, en Colombie les paras n’ont plus d’xistence légale. En +, ailleurs l’amnistie ne s’est pas faite immédiatement après la chute des disctatures, il a fallu attentre une dizaine d’années en Argentine, et + ailleurs. Là, en Colombie, c’est tout frais, et même au nom de la concorde nationale, on peut se demander si c’est acceptable d’amnistier tous les paras et de les réinsérer avec l’argent public, avant qu’ils aient purgé une peine.

              8 ans maximum pour Mancuso ou Jorge 40 c’eest quand même vraiment peu au regard de leur parcours, enfin je trouve. Et ce qui me gène beaucoup avec ce « processus de paix », c’est qu’il est mené par un gouvernement compromis jusqu’à la moelle avec les paras et autres narcos... Donc je ne sais pas ce qui est mieux, en fait.


            • tonio tonio 24 octobre 2007 21:51

              Pour moi (bien que je suis personne pour le dire) je me dis que le mieux c’est d’accepter ça pour l’instant, en tout cas tant que les massacres continuent à diminuer et d’attendre juste ce qu’il faut pour que se soit plus « coûteux » pour ces connards de reprendre les armes, pour faire entrer en jeu la justice international ou que la justice colombienne reprenne le cas... le problème est que c’est pas vraiment facile de savoir quand est-ce que les réseaux de paracos sont vraiment attaquable. Un truc qu’il faut admettre, à mon avis, est que cette loi de justice et paix permet certes en grande partie la légalisation des paras mais en même temps elle les fragilise...

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