La rigueur à l’épreuve du réalisme politique et de ses errements
Corrompus ? le mot est fort, mais il est exact en certains cas et confirmé régulièrement par les tribunaux, pour les affaires qui apparaissent sur la place publique. Ce n’est pas pour autant une généralité et il faut parler le plus souvent de mauvaises et détestables habitudes contractées par l’ivresse du pouvoir. Cela s’applique non seulement à des politiques nationaux mais également à certains élus locaux.
La décentralisation, dans ses premières années, aura à cet égard été marquée par des dérives de la part d’élus locaux qui ont vécu sur un grand pied, organisant des garden parties, construisant des hôtels départementaux et Régionaux parfois coûteux, s’entourant parfois de cabinets pléthoriques, se laissant aller sur l’utilisation des véhicules de fonction et régalant les « partenaires » autour d’une table bien garnie. Depuis quelques années ces pratiques ont toutefois tendance à diminuer.
Ces dérives du fait d’élus qui s’éloignent de plus en plus des citoyens sont d’autant plus inacceptables que ce sont les mêmes qui aujourd’hui nous demandent de faire des efforts et de nous serrer la ceinture.
Le rabot
Ce sont donc ces élus, nationaux ou locaux – mais ce sont parfois les mêmes, cumul des mandats oblige – qui vont prendre en mains ce fabuleux outil qu’est le rabot, mis à toutes les sauces depuis quelques temps.
On va donc raboter les dépenses de fonctionnement de l’Etat et les ministres seront désormais priés de payer eux-mêmes leurs cigares. On va aussi raboter les niches fiscales, sans doute avec une mansuétude particulière pour ceux qui votent bien. On va raboter le parc de véhicules de fonction des ministères, mais aussi celui des collectivités locales, mais remarquez bien que l’on va « tailler » dans les effectifs des fonctionnaires. La nuance est importante, l’action de raboter n’étant destinée seulement qu’à enlever une couche superficielle.
C’est bien là que le bât blesse, le rabotage ne remettant absolument pas en cause telle ou telle politique, ou telle ou telle subvention, on se contente d’en diminuer faiblement l’épaisseur en espérant que toutes les couches ainsi rabotées constitueront ainsi une épaisseur suffisante d’économies afin de passer le cap de la crise.
La connivence
Nos chers élus, de droite comme de gauche répugnent donc à supprimer des politiques, des niches fiscales ou des subventions pourtant devenues obsolètes, mais qui plaisent tant à ceux qui en bénéficient qui se transforment en autant d’obligés pour les élections. C’est peu de dire qu’il y a parfois des projets d’investissements (équipements publics, déviations, ronds points,...) ou des subventions dont l’utilité n’est pas forcement avérée mais qui assureront le prestige et la réélection de petits notables.
Tout notre système électif repose sur ce genre de connivence qui permet également aux partis politiques de s’implanter et de croitre en influence, oubliant souvent les attentes citoyennes.
Un autre aspect du système consiste à toujours satisfaire le « monde économique », autrement dit, le plus souvent, les lobbies qui se sont organisés pour détruire ou maîtriser la concurrence et « faire » ainsi les prix dans les marchés publics ou les délégations de service des collectivités locales en particulier. Les exigences des laboratoires lors de l’épisode calamiteux de gestion de la grippe A illustrent bien le poids des lobbies au niveau national également.
Inutile aujourd’hui de demander à une entreprise (de transport, par exemple) de justifier le prix demandé en le décomposant entre les différents postes de dépenses (salaire, amortissement, gazole, frais de structure,...). Cela ne se fait plus : il y a un prix à prendre ou à laisser, qui a été élaboré, non pas en fonction d’un coût de prestation auquel s’ajoute une marge, mais en fonction du profit (à 2 chiffres, bien entendu) attendu par les actionnaires.
A de rares exceptions, donc, la commande publique de l’Etat et des collectivités locales est prise au piège de cette « loi du marché » qui consiste à engranger de juteux bénéfices sur le dos du contribuable.
Devant le « danger » que représente la réforme des collectivités locales, dont la mesure la plus visible consiste à diminuer le nombre d’élus, les patrons des exécutifs locaux (souvent de gauche), nous assènent que 75% de l’investissement public en France est le fait des collectivités locales. Il y a là matière à réflexion : on pourrait certainement faire plus avec le même argent, si l’on se donnait la peine d’examiner la mécanique de formation des prix des entreprises.
Les bonnes et les mauvaises dépenses
Au travers de ce qui précède, inutile de redéfinir les « bonnes dépenses ». Cela coule de source : ce sont celle qui permettent la « croissance ». Les mauvaises dépenses quant à elles sont les dépenses d’administration pures au premier rang desquelles figurent celles de personnel. C’est pourquoi on ne rabote pas mais que l’on taille, en particulier dans les fonctions publiques d’Etat et hospitalière. Le résultat, on le connaît, consiste à basculer sur le secteur marchand des missions jusqu’à présent exercées par le secteur public. La crise fonctionne en ce domaine comme un véritable accélérateur pour les chantres du libéralisme qui voient se profiler à l’horizon de nouveaux profits dans des domaines tels que la médecine (et les assurances privées), l’éducation, les services de sécurité, etc, etc,...
Nous n’en sommes pas encore arrivés à tailler dans les effectifs des collectivités locales, mais on y vient tout doucement. Cela ne se fera pas sous la forme d’annonces brutales (le non remplacement d’un fonctionnaire sur 2 partant en retraite), mais sous couvert de « réorganisations de services », liées à des fusions d’intercommunalités par exemple.
Il faut dire que dans ce domaine, nos élus locaux, toutes tendances confondues, ont accompagné la création des intercommunalités, de créations d’administrations : il fallait bien assurer le prestige des présidences avec cet élément incontournable : un général sans troupes ne sert à rien.
Aujourd’hui donc, compte tenu de la dispersion des collectivités locales et des organismes de coopération intercommunale et des liens (financiers et politiques) tissés entre ces différents niveaux, les dossiers sont examinés à trois ou quatre reprises par des fonctionnaires territoriaux qui défendent chacun leur boutique. On attend des élus locaux qu’ils sortent de ce système par le haut, c’est à dire en ne faisant pas payer le prix de leurs erreurs à ces fonctionnaires, mais en réfléchissant à la reprise de la gestion de politiques en régie directe (transport, eau, restauration collective,...) afin de réaliser des économies budgétaires et limiter la croissance des impôts.
Ni bonnes, ni mauvaises...
...mais coûteuses quand même, sont les subventions aux associations, autre élément indispensable pour assurer la pérennité d’une majorité locale.
Elles vont donc passer également sous la lame du rabot, réglée plus ou moins profond selon l’activité exercée. Gageons, malgré les mauvais résultats de l’équipe de France que la coupe sera plus légère pour les clubs de foot que pour les autres sports, tant cette activité est de nature à relayer avec efficacité l’image des élus locaux.
Gageons également que le passage de la lame sera plus profond pour toutes les activités culturelles qui sont habituellement les premières à souffrir en cas de crise.
Dans le secteur associatif, il y aura donc certainement, à terme, des disparitions d’emplois par contrats non renouvelés, mais dont on entendra peu parler. Les choix politiques sont clairs : on cherche à éviter l’impact négatif de la fermeture des entreprises, mais on supprime silencieusement des emplois associatifs.
Encore faut-il s’entendre sur ce qu’on appelle association : certaines d’entre-elles sont de véritables entreprises, dans le secteur social par exemple, et constituent de véritables lobbies vis à vis des élus locaux. Là également le poids politique de ces associations déterminera l’épaisseur du copeau qui sortira du rabot, plus surement que l’examen attentif de l’utilisation des subventions publiques.
Au final, et on ne sera pas surpris, la culture du contrôle de gestion qui devrait conduire à la suppression pure et simple de politiques devenues inutiles n’est pas très présente dans les collectivités publiques. Elle a cédé le pas à ce qu’on appelle pudiquement « l’évaluation des politiques publiques » dont on sait que les conclusions aboutissent généralement à ne prendre aucune disposition susceptible de porter ombrage au monde économique et d’une manière générale à ceux qui peuvent peser sur les élections.
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