Le libéralisme compassionnel ou la France de M. Sarkozy
La France a besoin d’une nouvelle équipe pour le XXIè siècle qui commence et non plus d’un président resté au XXè siècle.
Comme l’écrit Jean-Francis Pécresse dans son Editorial du quotidien Les Echos, « si, comme Jacques Chirac en 2005, Nicolas Sarkozy a choisi de dialoguer sans filtre avec de « vrais gens », c’est qu’il est convaincu que les médias contribuent à creuser, entre lui et la société, un fossé que parviennent mal à combler ses déplacements en province, nombreux mais encadrés. »[1]
Dans les enquêtes effectuées avant l’émission télévisée du lundi 25 janvier 2010, poursuit-il, les Français semblaient lui donner raison, attendant du Président qu’il leur parle du chômage, des retraites et du pouvoir d’achat. Nicolas Sarkozy s’y était sérieusement préparé, trop peut-être, au point de paraître parfois réciter des fiches et des chiffres à ses intervieweurs d’un soir. Tout à son objectif de renouer ce lien particulier avec les Français qui l’ont élu, le chef de l’Etat pensait mieux que quiconque pouvoir faire la pédagogie de son action.
Mais malheureusement la mayonnaise n’a pas pris, et ce pour une raison très simple qui tient au fait que les discours n’ont plus de prise sur la réalité des faits, quand bien même dût-on les tenir en passant du lounge bar au rade de quartier.
Le constat est en effet très simple : le moteur a calé.
Il s’est arrêté parce que non seulement la carburation était trop pauvre, mais surtout parce que face à la pente à gravir il s’est révélé incapable de développer la puissance requise. Le modèle économique ne répond plus. C’est bien ce qu’ont montré avec leur simplicité et leur sincérité les interlocuteurs du Président qui n’ont pas obtenu de réponses constructives à ce qui préoccupe la population active ou au chômage, celle « qui se lève tôt », celle qui « avant de gagner plus » aimerait tout simplement travailler, celle qui a parfaitement perçu qu’au regard de la crise actuelle et de l’inégale répartition des souffrances et des inquiétudes qui en découlent, il va bien falloir enfin faire quelque chose de concret et de rapide.
Car le fond du problème réside désormais dans la question de savoir s’il faut continuer d’amuser la galerie en donnant de vains espoirs aux gens sur « le chômage qui est en train de se retourner » ou s’il ne faut pas plutôt jouer franc-jeu en annonçant clairement que les pans entier d’industrie qui ont disparu ne reviendront pas, ou en tout cas ne seront plus comme avant, et que l’employabilité est à redéfinir et à reconstruire en commençant par mettre un terme définitif aux errements des rémunérations scandaleuses d’une modèle économique qu’il faut lui aussi repenser et reconstruire. Un vrai débat, en quelque sorte…
Professeur de droit et membre de l’Institut Universitaire de France, Alain Supiot, est l’auteur d’un ouvrage magistral qui vient de paraître, intitulé "L’esprit de Philadelphie".[2]
Que dit-il ? Hé bien, en substance - je cite - que « les propagandes visant à faire passer le cours pris par la globalisation économique pour un fait de nature, s’imposant sans discussion possible à l’humanité entière, semblent avoir recouvert jusqu’au souvenir des leçons sociales qui avaient été tirées de l’expérience des deux guerres mondiales. »
Que « la foi dans l’infaillibilité des marchés a remplacé la volonté de faire régner un peu de justice dans la production et la répartition des richesses à l’échelle du monde, condamnant à la paupérisation, la migration, l’exclusion ou la violence la foule immense des perdants du nouvel ordre économique mondial.’
Que « la faillite actuelle de ce système incite à remettre à jour l’œuvre normative de la fin de la guerre, que la dogmatique ultralibérale s’est employée à faire disparaître. »
En invitant ses lecteurs à renouer avec l’esprit de
Ce qui me conduit à penser que si j’étais à la place du Président, je m’efforcerais d’organiser très vite un autre entretien avec d’autres interlocuteurs tels que Paul Jorion, Michel Aglietta, Philippa Aghion, André Orléan, Jacques Sapir, Raymond Torrès, Hughes de Jouvenel – ma liste est à sa disposition – brillants acteurs d’une pensée politique, économique et sociale profonde, riche d’intelligence, de solutions concrètes et de perspectives efficaces, en contact avec le réel, et surtout loin des aphorismes en papier doré et du libéralisme compassionnel qui ne résoudra rien.
C’est qu’en effet, comme l’explique Hughes de Jouvenel, [4]« dire que l’on ne sortira pas de la crise dans le même état que lorsque nous y sommes entrés, implique sans doute d’abord que l’on s’entende sur la nature réelle de la crise, ensuite que l’on prenne conscience de la fondamentale transformation qui s’impose dans notre système productif et que l’on se dote en l’espèce d’une véritable stratégie de développement économique et sociale qui, aujourd’hui, ne me paraît ni très claire, ni nécessairement en phase avec les défis du futur. »
C’est le moins qu’on puisse dire…
Nul doute que la jeune étudiante « Bac + 5 » à laquelle s’adressait le Président eût aimé s’entendre dire comment s’en sortir dans les jours à venir plutôt que d’écouter des considérations sur la réforme des universités, question qu’elle devait certainement connaître. Alors, nouvelle stratégie ? Certes, mais certainement plus avec les animateurs politiques et économiques passés et actuels que nous connaissons, qui ont tous fait leur temps, et qui doivent débarrasser le paysage politique.
Il faut une nouvelle équipe pour le XXIè siècle qui commence et non plus un président resté au XXè siècle.
Sources et références :
Jean-Francis Pécresse, : L’écran du président, Editorial,les Echos, 28/01/2010
Sur la population active :
Sur les avenirs possibles pour
Sur les instruments internationaux des droits de l’homme :Mouloud Boumghar, La déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail : des conventions fondamentales aux principes. http://www.droits-fondamentaux.org/article.php3?id_article=48
Alain Supiot, "L’esprit de Philadelphie", Le Seuil, 2010
http://www.aidh.org/Biblio/Trait_internat/Drt_trav_02.htm
[1] Jean-Francis Pécresse, : L’écran du président, Editorial,les Echos, 28/01/2010
[2] Alain Supiot, "L’esprit de Philadelphie", Le Seuil, 2010
[3] Sur
Cette déclaration, adoptée à l’unanimité le 10 mai 1944 par les représentants (délégués des gouvernements, des employeurs et des salariés) lors de
-Le travail n’est pas une marchandise,
-La liberté d’expression et d’association est une condition indispensable d’un progrès continu,
-La pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous : tous les êtres humains, quels que soient leur race, leur croyance ou leur sexe, ont le droit de poursuivre leur progrès matériel et leur développement spirituel dans la liberté et la dignité, dans la sécurité économique et avec des chances égales.
[4] Nathalie Kosciusko-Morizet et Hugues de Jouvenel débattent des avenirs possibles pour
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