Le ’peuple de droite’
A quoi a-t-il pensé en se rasant ce matin ? L’élection de Nicolas Sarkozy est bien entendu un événement historique pour la France. J’ai l’impression que cela fait deux ans qu’on ne parle que de ça : que, depuis que j’ai ouvert ce blog en août 2005, il n’a été question que de la présidentielle. La tentation de faire de ce 6 mai 2007 la fin d’une aventure est grande.
Oui, c’est la fin d’une aventure. Mais cette aventure-là - le choix d’un homme et de son projet - importe moins que l’aventure qui commence - ses choix, son action, ses résultats. Et il importe aussi de dépassionner le débat : non, tout ne dépendait pas de cette élection présidentielle. Si cette échéance politique est la plus importante de celles sur lesquelles nous pouvons agir, on aurait tort, même si on en est tenté, de la rendre responsable de l’air que nous respirons.
J’ai pour ma part trop hésité pour encenser ou condamner Nicolas Sarkozy aujourd’hui. J’ai voté Royal tout en ne souhaitant pas sa victoire (c’est grave, docteur ?), au nom d’une certaine conception de l’égalitarisme, des institutions et de l’environnement.
Parce que le projet de Sarkozy est potentiellement générateur d’inégalités à l’heure où il me semble que la France a besoin de solidarité pour tenir debout (et même si comme le montre Le Monde samedi, les inégalités en France ne cessent de reculer).
Parce que celui de Ségolène Royal me semblait davantage porteur de renouveau démocratique - décentraliser le pouvoir plutôt que de prétendre à l’omnipotence, à l’heure où, comme le dit Thierry Crouzet, le XXIe siècle sera "bottom-up" ou ne sera pas.
Parce qu’enfin je ne porte pas une grande confiance à Sarkozy en matière environnementale. J’ai voté Royal, malgré mes craintes en matière budgétaire, malgré mes craintes en matière de consistance ou de compétence, parce qu’on finit par voter pour un camp putôt qu’une personne, et en me disant que la gauche était revenue de son angélisme.
Son discours de 20h02 aura été à la fois surprenant et dans la droite lignée de la campagne. Elle est très belle, incroyablement souriante, on a l’impression qu’elle est soulagée. Et puis elle ne dit rien. Elle parle, mais elle ne dit rien. Et elle voudrait nous faire croire qu’un bel élan s’est créé autour de sa personne.
Son score (46,94%) est pourtant inférieur à celui de Jospin en 1995, si j’ai bien compris. Pour la première fois depuis plus de vingt ans, le pouvoir en place ne se fait pas foutre dehors à grands coups de pied au cul lors d’une élection majeure. Eric Besson le disait dans "Qui connaît Madame Royal ?", le PS a depuis le début fait le pari de l’alternance "automatique", considérant la victoire comme acquise d’avance.
A cet égard, la défaite de Ségolène Royal est d’une ampleur inadmissible pour le parti d’opposition. Et elle devrait d’autant plus en rendre compte qu’elle a personnalisé sa campagne au maximum, allant contre l’appareil socialiste à de très nombreuses reprises.
J’en viens encore à regretter que les militants socialistes l’aient choisie elle, sur la foi des sondages et des couvertures de presse, là où je reste persuadé que DSK aurait été un challenger de poids pour Sarkozy, bien plus fort à la fois sur la forme et sur le fond.
Sarkozy, justement. Rien à redire sur son premier discours. Il y place d’ailleurs l’enjeu du réchauffement climatique à sa juste valeur. Maintenant qu’il est là, et dans les conditions où il a été élu, il faut qu’il puisse faire son boulot proprement. C’est la volonté du peuple et elle a été très claire.
Je ne me placerai pas dans le camp de ceux qui résistent par principe. Encore une fois, je ne me sentais pas beaucoup plus éloigné de lui que d’elle. Encore une fois, je ne le voyais pas plus en conservateur qu’elle en réformiste. Chaque camp voit son champion en réformateur et l’adversaire en conservateur. Un ami sarkoziste avant-hier : "elle, c’est Chirac".
Je ne souhaite d’ailleurs qu’une chose, c’est que son action réussisse : à remettre de la cohésion sociale (s’il réussit son pari sur la valeur travail, c’est possible), à rendre sa place internationale à la France pour peser positivement sur les grands enjeux internationaux, à préparer l’avenir de nos enfants.
Quand j’écoute ses partisans, ils ne veulent pas autre chose : plus de justice, plus de modernité, plus d’humanisme, une France qui s’appuie sur ses beaux acquis tout en se modernisant. Leur vision est la même, c’est la méthode qui diffère. En dehors de débats idéologiques (mariage homo, régularisations...), il n’est d’ailleurs pas permis de penser à coup sûr qu’une politique de gauche produise de meilleurs effets économiques et sociaux qu’une politique de droite, ou vice-versa. Donc on verra bien, il est inutile de crier à la catastrophe et idiot de crier au fascisme.
La victoire de Sarkozy est aisée et d’autant plus impressionnante qu’elle vient de loin. Il a couru comme le lièvre en partant aussi tôt que la tortue. Quand on sait à quel point l’exercice est casse-gueule et qu’il est préférable d’être bon sprinter que bon marathonien, cela confirme que son projet répond à des aspirations extrêmement profondes. Celles du peuple de droite.
J’ai entendu cette expression de "peuple de droite" hier dans les commentaires TV de la fête place de la Concorde. Je ne crois pas l’avoir entendue précédemment. Peuple de gauche, oui, peuple de droite non. Je l’ai fait remarquer à mon voisin de canapé (sarkozyste), qui m’a répondu : "normalement c’est le peuple de gauche et les fachos de droite".
C’est sans doute le premier changement important induit par l’avènement de Sarkozy : le peuple de droite, désomais, s’assume. C’est ce que fait remarquer Guillermo de Radical-Chic dans son billet "Lidéologie a déjà gagné", écrit samedi : "Pendant longtemps il était quelque peu malvenu de se dire de droite, c’était une maladie honteuse, que l’on confessait tant bien que mal à l’abri de figures indiscutables comme de Gaulle". Plus maintenant. Koz a fait des petits (et hop, exceptionnellement, un smiley :-))
Je n’irai pas comme Guillermo jusqu’à y voir une inversion de la pensée unique : non il n’est pas, et ne sera pas, difficile de se dire de gauche. Mais la droite est décomplexée et en soi il n’y avait pas de raison qu’elle ne puisse pas s’assumer comme telle.
Puisse-t-elle "valider ce décomplexe" à l’aune de son action et pas seulement de son élection.
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