Libre-échange et socialisme
Il y a des choses qu'un ultra-libéral peut accepter, mais qu'un socialiste ne peut accepter. Les effets actuels du libre-échange sur la France font peut-être partie de ces choses. Conçu comme un projet politique visant à permettre à la partie la moins riche d'une société capitaliste, d'éviter le sombre destin qui lui est promis par Marx, c'est à dire l'oppression et la pauvreté, le socialisme est en effet attaqué dans ses points les plus essentiels, par le libre-échange.
Le libre-échange rend impuissants les dirigeants politiques, et par là les citoyens qu'ils représentent, à agir sur l'économie de leur pays. Impuissants face au chômage, ou face à la nécessité, fatale dans un contexte de libre-échange, de réduire les charges sociales, et par là les dépenses de l'État, et de réduire les lois de protection du travail, pour rendre les travailleurs moins couteux et plus « flexibles ».
Le libre-échange rend impuissants les militants syndicaux, en exerçant une pression poussant l'État à « flexibiliser », et donc à fragiliser les salariés, mais aussi en faisant bien comprendre aux salariés que toute revendication conduit si elle est satisfaite, à une hausse du cout du travail, ou à une « rigidification » du travail, préjudiciable à la survie de l'entreprise, ou au maintien de son activité en France plutôt que dans un pays émergent.
Le libre-échange rend même bien difficile la création par des travailleurs, d'une entreprise coopérative qui leur appartiendrait à tous, tout au moins dans le cas où cette entreprise serait exposée à la concurrence des pays émergents, car alors elle aurait bien du mal à vendre ce qu'elle produit.
Le libre-échange attaque donc le socialisme dans les trois formes d'émancipation qui lui sont chères : la citoyenneté, le militantisme syndical, et la création et la direction collectives d'entreprises coopératives.
L'attaque est suffisamment virulente, pour empêcher au socialisme d'atteindre son autre fin importante, avec l'émancipation, qui est la disparition de la pauvreté.
Une première forme de pauvreté qu'il contribue à provoquer en France, est le chômage de masse, qui est aujourd'hui entre 9,6% et 16,4%, selon la définition plus ou moins restrictive du chômage que l'on adopte. Pour survivre une entreprise de France a besoin comme celles des autres pays, de vendre ses produits, et pour que ses possesseurs, parfois soumis à une pression de ses créanciers, choisissent de maintenir son activité en France, il faut qu'ils ne tirent pas de profit d'une délocalisation de cette activité dans les pays émergents. Ces deux choses sont beaucoup plus sûrement garanties par du protectionnisme que dans un contexte de libre-échange.
Une seconde forme de pauvreté, provoquée en importante partie par le libre-échange, est la « modération » des salaires, clairement indiquée par l'évolution au cours des 30 dernières années, du partage de la valeur ajoutée des sociétés non financières (entreprises plus grandes que des entreprises individuelles, et n'appartenant pas à la branche des activités financières). En 1981, la part de la rémunération des salariés représentait 75% de la valeur ajoutée des sociétés non financières, et elle n'en représente plus que 67% depuis 1988. La réduction de la protection du travail par l'État, et la dégradation en défaveur des militants syndicaux et des salariés qu'ils représentent, du rapport de force entre eux et les possesseurs et créanciers des entreprises, sont favorisées par le libre-échange, et favorisent cette « modération » des salaires.
On doit aussi, au moins en partie au libre-échange, cette troisième forme de pauvreté qu'est la précarité, revers du point de vue des salariés, de ce que les ultra-libéraux appellent la « flexibilité ».
Enfin, le libre-échange favorise une quatrième forme de pauvreté des habitants d'un pays, qui est le manque de moyens de leur État, en exerçant une pression à la baisse sur les charges sociales.
En France aujourd'hui, émancipation et disparition de la pauvreté, sont donc fortement compromises par le libre-échange. Quelle conception du socialisme lui est donc compatible dans ce contexte ?
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