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Accueil du site > Actualités > Politique > Maurice Lévy : « Profitons-en pour repenser l’Etat »

Maurice Lévy : « Profitons-en pour repenser l’Etat »

Dans les pages Débats du Monde, en date du 17 janvier 2012, Maurice Lévy, président de Publicis, nous propose de repenser l’Etat : « Puisque le tabou du triple A est brisé, profitons-en pour repenser l’Etat ».

Ce rapprochement entre un épiphénomène - la perte du triple A - et le dessein considérable auquel nous sommes conviés - repenser l’Etat - est troublant.

Lorsque Maurice Lévy écrit « nous sentons tous (que) la perte du triple A emporte la perte d’un statut (… et) se joue tant sur le plan économique que symbolique », il va un peu vite en besogne : ce n’est pas parce que ce « sentiment » est surmédiatisé qu’il est unanime. La même page du Monde comporte d’ailleurs un article de Catherine Gerst, ex-directrice générale de Moody’s France, qui nous rappelle que le double A, auquel seul Standard and Poor’s nous a réduit à ce jour, n’a rien d’infamant et invite plus généralement à une « cure de désintoxication massive » de notre addiction aux notations.

A lire la suite de l’article de Maurice Lévy, on comprend vite que la question de la notation n’est ici qu’une mise en bouche et qu’il faut s’intéresser plutôt au chantier auquel elle sert d’entrée en matière : « profitons-en pour repenser l’Etat ». Là est le fond de l’affaire et le « profitons-en » est lourd de signification : l’Etat a un genou à terre ; l’occasion est belle de le faire ployer encore.

On sent dans tout cela comme une jubilation et l’on ne peut s’empêcher de penser au célèbre mot de Talleyrand : « et maintenant, nous allons faire une immense fortune ».

Le thème majeur de l’article est le déficit budgétaire et « l’aggiornamento » (comprendre « réduction ») de la dépense publique qui en serait le seul remède.

Cette approche monomaniaque des temps difficiles que nous traversons est dans le droit fil de la vulgate ultralibérale : l’Etat est un mal nécessaire, qui doit être réduit à sa plus simple expression. En France, la perte du triple A et le bruit que l’on fait autour donnent une occasion (en or) de sonner la charge. Alors on ne s’en prive pas.

Qu’il faille veiller à toujours mieux contrôler la dépense publique est une évidence, et les rapports de nos Cours des comptes ne manquent pas de rappels à l’ordre, mais on recevrait mieux cette exhortation à la vertu budgétaire si l’auteur ne réservait pas ses flèches aux seuls pouvoirs publics.

A aucun moment n’est évoquée la responsabilité du secteur financier dans l’émergence des crises qui secouent le monde avec une violence croissante. Pas un mot sur les excès spéculatifs, ni sur la dérégulation à outrance qui les a rendus possibles. Rien non plus sur l’impact de ces crises sur les finances publiques : coûts sociaux, perte de recettes fiscales et sociales du fait du contrecoup économique. Rien sur la croissance des inégalités ni sur l’évasion fiscale qui font toutes deux cortège à un système économique qui s’est révélé à la fois inefficace et injuste.

On en perdrait presque de vue que la dépense publique n’est pas réductible à une charge financière. Elle contribue à la redistribution des revenus et donc au dynamisme de la consommation, à la réalisation de projets et de chantiers, à l’exercice de fonctions régaliennes qui soutiennent des pans entiers de l’économie. Plus généralement et plus fondamentalement, elle contribue à l’édification et au maintien d’un modèle de société et d’un art de vivre ensemble. C’est à l’impact de tout ce dispositif qu’il faut s’intéresser et non à la seule réduction des dépenses.

Pour s’en tenir aux aspects économiques, on peut penser que les entreprises adhérentes à l’AFEP (Association française des entreprises privées), que préside aussi Maurice Lévy, n’ont rien contre la dépense publique lorsqu’il s’agit de concourir à des marchés publics ou de bénéficier d’aides et de subsides.

Au surplus, cela fait un moment que le chantier de réduction de la dépense est à l’œuvre dans les services de l’Etat. Depuis 2007, la RGPP (Révision générale des politiques publiques), inspirée par le rapport « Pébereau » sur la dette publique (2005), bouleverse sans grand débat ni publicité les administrations et services publics. Ce devait être un vaste chantier d’amélioration de l’efficacité des administrations et du service au public mais, dans le contexte présent de pénurie et d’urgence budgétaires (lui-même largement alimenté par l’incidence des crises et les cadeaux fiscaux de ces dernières années), ce n’est plus de la réforme, c’est de l’arithmétique : il faut réduire les effectifs et les dépenses, alors on tranche, on sabre, on démembre, on regroupe ... On affaiblit ainsi, et parfois on détruit, des organisations certainement perfectibles mais qui avaient fait leurs preuves. Cela aussi a un coût et nous pouvons nous préparer à des lendemains qui déchantent.

Les Etats et autres collectivités publiques, ont par ailleurs engagé un vaste programme de cession d’actifs qui, pour le seul Etat, a représenté 80 milliards d’euros en 20 ans. Le rythme de ces cessions est appelé à s’accélérer si l’on en croit l’article 61 de la loi de finances pour 2011 (loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010) qui évoque la contribution de ces opérations au désendettement de l'État : « Cette contribution, qui s'établit aujourd'hui à 15%, verra son taux porté à 20% en 2012, 25% en 2013 et 30% en 2014. »

Mais il faut croire que ce n’est pas assez : il y a encore à ronger et Maurice Lévy nous exhorte à nettoyer l’os.

Dans son souci de préserver la rigueur de gestion des deniers publics et de ne pas « hypothéquer l’avenir de nos enfants », pourquoi n’appelle-t-il pas aussi notre attention sur les dégâts présents et à venir des partenariats public-privé ?

Les ravages de ces désormais trop célèbres PPP, viennent d’être évoqués par le journal Le Monde (24 janvier 2012) sous le titre : « Les collectivités ne peuvent plus se passer des PPP - Les 18 milliards de partenariats public-privé conclus depuis 2006 risquent d’asphyxier, à l’avenir, les budgets publics ».

Le domaine d’application de ces « partenariats », conçus à l’origine pour des cas d’urgence exceptionnelle, a été étendu et ils ont pu se développer pendant 5 ans dans un contexte de parfaite opacité budgétaire (il n’y a obligation d’inscrire les loyers à venir dans les bilans publics que depuis 2011 pour les collectivités locales et 2012 pour l’Etat).

Les PPP constituent une redoutable machine à transférer des activités publiques au secteur privé. Sans surprise, ils nous viennent du Royaume-Uni, qui les ont lancés en 1992. Les dégâts sont tels que le comité parlementaire au Trésor britannique, peu suspect de déviationnisme gauchisant, a pu écrire : « Le coût moyen du capital (d’un PPP) est de 8 %, le double des emprunts de l’Etat ». Quant à notre Cour des comptes, elle a conclu en octobre 2011 que « A périmètre comparable, la gestion publique semble moins onéreuse » et s’inquiète de la « soutenabilité budgétaire » de ces dispositifs.

Le louable souci du président de l’AFEP de préserver les finances publiques ne va pas jusqu’à dénoncer cette gabegie, qui est pourtant au cœur du processus actuel de désengagement du secteur public au profit du privé.

Pour, peut-être, éclairer cette grosse parenthèse dans l’ardeur combative de Maurice Lévy, il faut rappeler que l’AFEP, créée fin 1982, après l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, rassemble les patrons des plus grandes entreprises françaises (1.200 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 5 millions de salariés au total) et que, toujours selon Le Monde, Vinci, Bouygues et Eiffage se sont, à ce jour, partagés 92 % des plus gros contrats de partenariats public-privé.

Dans sa conclusion, Maurice Lévy veut associer toutes les forces productives à son projet : « C’est au prix de cette action (repenser l’Etat et les dépenses publiques) que (le pays) retrouvera son excellence et que ses entreprises, grandes et petites, ses travailleurs, ses entrepreneurs pourront faire la toile de fond de leurs initiatives privées pour la création de richesse et la croissance pour le bien de tous ».

Les « travailleurs » qui liront l’article ne souscriront sans doute pas avec enthousiasme à cet enrôlement, dans la mesure où on leur promet par ailleurs une « réorganisation des prestations sociales », une « simplification des règlementations, en particulier du travail », un « abaissement du coût du travail » et une « révision de nos dispositifs sociaux ».

Alors, « pour le bien de tous » ? Vraiment ? 


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11 réactions à cet article    


  • communauthic communathic 30 janvier 2012 11:26

    L’os est encore bien garni avec les prélèvements les plus élevés de tout l’occident.

    La liberté recommande de laisser les marchés agir comme ils le souhaitent et assumer jusqu’au bout leur prises de risque. Et que voyons nous : des banquiers qui jouent très gros avec notre argent puisqu’il savent que l’Etat, donc nous, garantissons leur pertes....Il s’agit d’un libéralisme dévoyé dont le marché profite depuis bien trop longtemps.

    • scripta manent scripta manent 30 janvier 2012 11:44

      Oui, il y encore du gras. Le laxisme et le clientélisme de certains coûtent globalement cher à l’image du secteur public.
      Mais le secteur public n’a pas l’exclusivité du « gras ». C’est la focalisation contre ce seul acteur qui me fait réagir.
      Quant aux statistiques sur les « prélèvements les plus élevés de tout l’occident », il y a à boire et à manger.
      Je ne pense pas qu’il faille laisser les marchés « agir comme ils le souhaitent ». Un brin de régulation ne ferait pas de mal et vous le confirmez dans votre commentaire. 


    • paul 30 janvier 2012 15:05

      Maurice Lévy, un modèle pour l’ultralibéralisme français . Pour rappel, en plus d’être président de l’Afep, il est co-fondateur avec DSK du Cercle de l’Industrie, lobby patronal auprès des institutions européennes, membre du club Le Siècle, il a participé en 2011 à conférence du Biderberg . Sa fortune lui a permis de financer en 2008 un concert organisé à Paris pour le 60 ème anniversaire de la création de l’État d’Israel .
      Il s’est fait remarquer en 2011 par son offre, reprise de celle de Warren Buffet, d’une contribution fiscale exceptionnelle avec 15 autres patrons d’entreprises pour, « aider l’Etat ». Mais à la condition que celui-ci réduise drastiquement les dépenses publiques . Voyez un peu « le deal » !
      Une position qui en fait l’idiot ( très ) utile du sarkozisme ( Libé du 30/08/11) .

      Pour en revenir à la dépense publique, repenser l’État pour « ces gens là », chacun comprend ce que cela signifie , puisque ça « repense » déjà depuis quelques années ,avec le changement de statut des grandes entreprises publiques comme EDF ou la Poste, comme les réformes RGPP et le PPP, la super grande réforme de Sarko en 2007 : amenuiser autant que possible la fonction publique et introduire le partenariat privé au sein des fonctions économiques publiques comme les écoles et les hôpitaux .

      Le résultat ce sont les énormes dérives financières de la construction de Paris 7 ou celui de l’hôpital sud-francilien ( loyer pour Eiffage de 40 millions/an pendant 30 ans soit près de 3 fois le prix initial , l’établissement n’a pu être encore ouvert en raison de malfaçons ) .
      PPP, Partenariat Public-Privé, ce serait plutôt PPPP : Pertes Publiques Profits Privés !


      • Agor&Acri Agor&Acri 30 janvier 2012 17:25

        @ Paul,

        Merci de vos très appréciables précisions
        sans lesquelles l’article (bon par ailleurs) apparaît véritablement incomplet.

        Préciser les accointances de Maurice Levy (Cercle de l’Industrie, club Le Siècle, Bilderberg,...) ainsi que l’importance de sa fortune,
        permet de comprendre qu’il n’est animé ni par le sens de l’intérêt général, ni tout simplement par le bon sens
        mais qu’il s’inscrit purement dans le cadre d’une idéologie de caste, justement celle qui a conduit le monde dans la situation de crise actuelle.


      • scripta manent scripta manent 31 janvier 2012 00:04


        Que vient faire dans ce débat l’allusion à l’anniversaire de la création de l’Etat d’Israël ?
        Il y a un sous-entendu ?


      • molotov molotov 30 janvier 2012 21:29

        Le nom « Levy » un passe partout dans les medias et les affaires...

        Je devrais esseillé : Molotov Levy... ca passe tout de suite mieux,

        en tout les cas sa va me facilité dans mes entretiens.


        • scripta manent scripta manent 31 janvier 2012 00:13

          Et la xénophobie, cela passe comment dans les entretiens ?


        • communauthic communathic 30 janvier 2012 23:17

          Les PPP ont des atouts indéniables pour les contractants :

          • Ils éliminent la concurrence des artisans et TPE du bâtiment qui ne peuvent répondre sur l’entretien et le suivi des bâtiments
          • mais on peut tout à fait les exploiter au profit d’une entreprise générale
          • qui est souvent une des parties contractantes,
          • Ils évitent l’endettement de la collectivité locale pour laquelle l’investissement sera limitée à une ligne de loyers budgettés,
          Tout cela représente un coût certain pour le contribuable qui en supporte 2 ou 3 fois le prix réel.
          mais tout le monde est content : les majors s’en mettent plein les poches, les élus ne supportent que les 5 premières annuités d’un investissemnt de 30 ou 40 ans et les administrés bénéficient d’un beau bâtiment fonctionnel dont ils ne connaissent absolument pas le coût.

          La seule alternative crédible est de soumettre une décision d’investissement à la population concernée via les conseils de quartier et la démocratie directe.
          Liberté et démocratie directe sont les 2 piliers de la solidarité.


          • Francis, agnotologue JL1 31 janvier 2012 11:12

            Bonjour scripta manent,

            bravo pour cette belle concision tant il y a de choses à dire et bien dites.

            Vous écrivez : « Mais il faut croire que ce n’est pas assez : il y a encore à ronger et Maurice Lévy nous exhorte à nettoyer l’os. »

            De fait, là où passe la moissonneuse néolibérale, l’herbe ne repousse pas. Ce monstre hybride né du mariage de l’oligarchie au néolibéralisme ne laissera derrière lui que ruine et désolation si nous ne le tuons pas avant.

            Et ce monstre ne tombera que si la raison n’est plus dans son camp (*). Et pour cela, il n’y aura jamais assez de plume ou de paroles dans les médias qui font l’opinion : votre article aurait sa place dans Le Monde pour ne citer que ce support.

            Réf. Le golem, emeth, meth (lire aussi Philosophie magazine de février)


            • scripta manent scripta manent 31 janvier 2012 17:42

              Bonjour JL1,

              Merci pour vos encouragements !
              Faire mentir la fable (« la raison du plus fort est toujours la meilleure ») n’est pas une mince affaire, mais il ne faut pas renoncer à soumettre à la réflexion et à faire entendre sa propre musique, ni à se saisir de tous les moyens que la démocratie - fleur fragile - nous offre.

              Je crois me souvenir que vous aviez réagi positivement à ma proposition de création d’un prix Diafoirus. L’humour peut aussi être une arme de combat !
              Pour connaître la vocation du prix Diafoirus, et/ou proposer des candidats et/ou être membre du jury, merci de répondre à l’article : 
              http://www.citoyensunisdeurope.eu/viewtopic.php?f=17&t=105&sid=19dddbefff82c983b136aa5f202f8c00


            • pidgin 31 janvier 2012 17:53

              Le Conseil constitutionnel, dès l’origine, et la Cour des comptes, en 2008 et à nouveau en 2011, ont émis de très sérieuses réserves à l« égard des »PPP« (partenariats publics privés).
              Philippe Séguin a parlé de » coûteuses usines à gaz « et de »myopie budgétaire ".
              Mais il en aurait fallu plus pour arrêter le rouleau compresseur de la dérégulation et de la privatisation.
              L’addition sera lourde : la collectivité va subir une perte de contrôle sur des activités à forte vocation sociale, tout en supportant un coût sensiblement plus élevé.

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