Mort aux sondages !
Le site Internet Expression publique lance un sondage sur... la démocratie d’opinion et le rôle des sondages. Un sondage sur les sondages, assez original, et instructif...
Certes, il convient de souligner que le site Expression publique est un site
de sondage en ligne. Un même utilisateur pouvant répondre plusieurs fois à ce
type d’enquête (en changeant de PC, par exemple), il convient de prendre des
précautions face aux résultats. D’un autre côté, on pourrait répondre
qu’il est plus facile de prendre le temps de réfléchir au sens d’une question
derrière son PC qu’au téléphone... Mais on trouve, entre autres enquêtes
amusantes, un
sondage sur les sondages qui laisse perplexe...
Première question : la notion de "démocratie
d’opinion" évoque-t-elle pour vous quelque chose de plutôt positif, ou de
plutôt négatif ? Et là, un premier paradoxe : une majorité (relative,
toutefois, à 36%) des sondés trouvent la notion plutôt positive... alors que
la onzième question montre que la démocratie d’opinion est jugée par 47% des
internautes comme une démocratie où les gouvernants changent trop souvent
d’avis au gré des humeurs de leurs administrés... et que la dernière question
montre que 45% des internautes, contre 38%, considèrent que les sondages
d’opinion apportent une contribution plutôt négative à la démocratie !
Deuxième question : les sondages sont-ils utiles ? On
pourrait philosopher à l’envi pour savoir s’il est utile de répondre à un
sondage sur ce genre de question... En tout cas, c’est amusant, car les
sondés estimant les sondages utiles ou indispensables sont minoritaires par
rapport aux sondés les trouvant inutiles voire nuisibles. Les sondages de
popularité (président, premier ministre, leader de partis, candidats aux
élections...) sont jugés inutiles ou nuisibles à 51%, les sondages sur les
intentions de vote sont même jugés nuisibles à 30% ! Seule exception, les
sondages sur les projets de gouvernement sont jugés utiles à 50% et
indispensables à 16%, mais une majorité de Français (53%) considère, quelques
questions plus loin, qu’il n’est pas souhaitable que des partis politiques
tiennent compte des résultats des sondages pour élaborer leur projet de
gouvernement !
Encore que ce paradoxe apparent soit expliqué à la question
suivante : si des sondages ont lieu sur les projets de gouvernements, la
portée en semble assez limitée, voire très limitée pour la majorité des
internautes (52%). Les sondages les moins influents sont les sondages de cote
de popularité des présidents et premiers ministres (39% pour une influence
grande, voire très grande, 59% pour une influence limitée, voire très
limitée...), ce qui n’est guère surprenant, Jacques Chirac ne se souciant guère de
la popularité de ses premiers ministres (et aucun président n’ayant démissionné
à la suite d’un sondage...). Les sondages les plus influents concernent les
intentions de vote : 58% des internautes considèrent l’influence de ce type
de sondage comme grande, voire très grande. On ne leur donnerait pas tort, vu
l’attraction que suscite notamment la candidature de Ségolène Royal au PS... et
pourtant, une majorité d’internautes ne souhaiterait pas que les choix de
candidats reposent uniquement sur les sondages (54% contre dans le cadre des
législatives, 57% contre dans le cadre des présidentielles...).
Ils sont une très large majorité (68%) du reste à souhaiter que
le futur président de la République campe sur son programme plutôt que de
l’infléchir (26%) au gré des sondages... lesquels ne sont pas considérés comme
des moyens de pression efficaces, comparés aux grèves et aux manifestations. 59%
des internautes jugent du reste les sondages sans aucune portée, ne reflétant
rien de plus que les humeurs de leurs compatriotes ! Si la méthode est
plutôt jugé honnête à 43%, l’image reflétée est jugée fausse à 48%. 69% des
internautes jugent d’ailleurs que les sondages d’intentions de vote se plantent
dans leurs prédictions ! Les autres n’ont aucun souvenir des dernières
élections présidentielles ;-). On note d’ailleurs qu’une large majorité
des internautes n’a jamais été sondé dans le cadre d’une enquête menée par des
instituts...
Concernant Ségolène Royal, on note que son avance (pourtant large
par rapport à ses rivaux socialistes) n’est pas jugée comme significative à ce
stade de la compétition par 60% des internautes. Un souvenir des autres
campagnes présidentielles, sans doute. 16% des sondés considèrent que les
Français souhaitent réellement la voir candidate, 50% penchant plutôt pour
l’influence de l’engouement médiatique. Enfin, il convient d’être prudent, vu la
manière dont la question est formulée : on ne demande pas au sondé s’il
est lui-même sensible à cet engouement médiatique, mais si ses compatriotes le
sont... Bruno Gaccio aimait à rappeler qu’en 1995, plus de 70% des sondés
considéraient que Les Guignols (préférant Chirac à Balladur) influençaient les
intentions de vote, et 7% seulement des mêmes sondés considéraient que leur
propre vote avait été influencé par son émission...
Aucun président de la Ve République n’a été considéré comme prenant les sondages en compte, et surtout pas de Gaulle, jugé indifférent à
72%. Le plus sensible à leurs effets aurait été Valery Giscard d’Estaing, jugé indifférent à
54%. Il est vrai que VGE clame son hostilité personnelle à la peine de mort,
mais ne l’a pas abolie pour autant durant son mandat... Idem pour les récents
premiers ministres, parmi lesquels Juppé est considéré comme le plus hermétique à 75%. Dominique de Villepin n’est pas lui-même considéré
comme un homme influencé par les sondages, malgré le retrait du CPE.
Concernant l’influence des sondages sur le programme de divers
candidats aux présidentielles, on note surtout que les deux candidats qui
prennent le plus en compte les sondages sont... Nicolas Sarkozy et Ségolène
Royal ! Pas sûr qu’ils en soient gagnants, au prisme des autres réactions.
En effet, 64% des internautes considèrent qu’on ne doit pas remplacer un
premier ministre impopulaire, et 47% considèrent qu’on ne doit pas rejeter une
mesure impopulaire. Pas sûr que l’abandon du CPE ait été apprécié finalement par
les sondés, même s’il s’agit d’une courte majorité relative... Aussi courte que
celle qui considère que les adhérents d’un parti ont la prime sur les
sympathisants pour la désignation d’un candidat (46% contre 41%, 6% souhaitant
que la démocratie ne revienne qu’aux cadres...). Si 9% seulement des sondés
considèrent que le dirigeant d’un parti est le candidat légitime, 25%
considèrent que les sondages doivent influencer la désignation du candidat, 49%
donnant une prime à l’expérience...
On sent une dernière confusion dans la dernière question, à moins
que ce ne soit l’image que les partis donnent de la politique nationale, dans trois
concepts : la démocratie représentative (où les lois sont approuvées par
des candidats élus pour représenter leurs concitoyens), la démocratie des
partis (où seuls des candidats agréés par les partis peuvent se présenter et
diriger), et la démocratie d’opinion, où l’opinion des électeurs joue constamment
un rôle. Alors que le concept de démocratie participative est mis à toutes
les sauces par de nombreux candidats, moins d’un quart de sondés (21%) sont
vraiment enthousiasmés par un tel système, une large majorité (59%) préférant
la démocratie représentative, le système que l’on a, en théorie, en France.
Problème : les élections à la proportionnelle directe étant de moins en
moins nombreuses (sauf aux Européennes), les Français ont plutôt le sentiment
d’être dans un système de type démocratie des partis, à 49%, et de démocratie
d’opinion, à 24%.
L’enquête se conclut par donc la question sur les sondages...
jugés d’influence négative par 45% des sondés. Donc, selon un sondage, il ne
faudrait pas prendre en compte les sondages. Quel joli paradoxe que Condorcet
aurait apprécié ! En tout cas, le résultat de l’enquête est assez
amusant, même si on peut quand même se poser une question : si des
citoyens lambda considèrent que l’opinion de la majorité des concitoyens ne
doit pas être prise en compte, combien aimeraient que leur propre opinion puisse
être prise en compte ? Une nouvelle mise en lumière du conflit entre
l’intérêt général et les intérêts particuliers...
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