Travailler pour être pauvre
Si le président veut être fidèle à sa conception « entreprenariale » de l’Etat, il devrait licencier tous les membres de son gouvernement pour absence de résultats faute d’avoir été capable de voir venir la crise. Au lieu de cela, elle leur sert encore de prétexte pour accélérer les mesures de déréglementation du monde du travail et ne pas renoncer à son indéfectible attachement au « libéralisme capitalistique entreprenarial » dans lequel la réduction des coûts demeure la priorité pour s’ajuster à la pauvreté sociale de la compétition mondiale.
Pour l’instant, il surfe avec les instances de solidarité mises en place par la lutte des classes antérieures et il n’a pas encore les moyens de les privatiser, ce qui nous conduirait à passer d’un système de solidarité à un système d’assurance pour les plus riches et la charité pour les autres. Et c’est là mon propos, car de plus en plus de salariés et même d’artisans travaillent pour être pauvre.
En 1601, la reine d’Angleterre prend conscience que la pauvreté peut entraîner des troubles et lève un impôt spécifique pour ce faire. C’est la loi des pauvres (Old Poor Law), la loi distingue les impotents et orphelins des pauvres valides qu’elle réprime sévèrement s’ils répugnent à l’effort.
1795 : des magistrats réunis à Speenhamland, parce que l’économie anglaise se détériore, décident que pour les pauvres toutes hausses du pain doit s’accompagner d’une hausse des secours. On a là une indexation du minimum sur le coût de la vie, c’est le système Speenhamland attribué aux pauvres, ce secours versé par les paroisses incite les employeurs à ne pas rémunérer le travail à son « juste prix ».
Or, depuis trois siècles, les pays développés ont mis en place des mesures (surtout par la lutte des classes) pour qu’un travailleur puisse vivre de son travail.
Mais la remise en cause permanente de cet équilibre, par la destruction des emplois pour de nouveaux dont certains sont de moins en moins rémunérés, continue de générer un contingent de pauvres que les Etats cherchent essentiellement à masquer…
Le pauvre français a connu le RMI et va connaître le RSA. Ce RSA (Revenu de solidarité active) viendra en complément des revenus inférieurs au Smic, quelque part un Speenhamland moderne car les employeurs pourront profiter de l’aubaine pour ne pas augmenter les salaires qu’ils pourront ajuster à ceux des concurrents mondiaux et les maintenir en dehors des grilles salariales conventionnelles.
L’Insee estime à 13,2 % le nombre de citoyens qui vivent avec moins de 880 euros/mois (en 2004 11,7%) alors que le salaire médian de référence définissant le seuil de pauvreté est de 882 euros/mois.
Ces chiffres expliquent au moins que la baisse du chômage n’entraîne pas la diminution de la pauvreté, mais fabrique une autre classe de salariés actifs pauvres.
On les trouve essentiellement dans la grande distribution, l’hôtellerie, la restauration, les centres d’appels, l’agriculture, le bâtiment, mais aussi dans l’administration. Leur profil, majoritairement des femmes à temps partiel non choisi, intérimaire à la journée, CDD, contrats aidés et d’autres formes moins répandues. Selon J. Cotta (La Face cachée des temps modernes), 7 millions de salariés ont un salaire inférieur à 722 euros, au total plus de 12 millions ont moins de 843 euros.
Le comble, l’envolée spéculative dans l’immobilier oblige (avant même l’effet subprime), 3 sans-domicile fixe sur 10 ont un travail à temps complet ou partiel avec un revenu compris entre 900 et 1 300 euros/mois.
Autre comble, le surendettement est devenu une source de rapport. Des officines souvent filiales des grandes banques offrent des rachats de crédits et certaines refusent même le rachat si l’endettement est inférieur à 10 000 euros, pas rentable.
C’est ainsi qu’une nouvelle définition venant des Etats-Unis qualifie ce marché « in work poverty risks », risque de la pauvreté au travail, si bien que les coupons d’alimentations ont fait leur apparition et, en juillet 2008, 29 millions d’Américains en ont bénéficié.
A quand
Les associations humanitaires et les banques alimentaires en particulier observent une augmentation de 8 % des demandes, toutes les catégories sociales sont touchées, avec des demandes de salariés à temps plein, mais aussi des retraités
Enfin, la pauvreté fait que 4 Français sur 10 soit 39 % ont renoncé ou retardé un soin en raison de son coût.
Tout ceci n’est pas le produit de la crise financière des subprimes, mais la conséquence d’un marché qui ne rémunère plus le travail depuis que plus personne ne l’y oblige parce que les citoyens ont abandonné la réalité des classes (même si elles se sont recomposées) pour des miroirs aux alouettes communicantes.
La reine Elisabeth avait raison : l‘augmentation constante des pauvres engendrera des troubles un jour ou l’autre. Et d’après les mesures de ce gouvernement, les riches lui demandent de continuer d’en créer en mettant notre niveau social en concurrence sur le marché mondial.
Il manque à nos gouvernants le goût de la lutte émancipatrice des peuples. Sous la République attaquée de toutes parts, l’idée de « liberté » a fait émancipation malgré quelques accros, et l’on ne peut pas dire que nos gouvernants soient les défenseurs du modèle social français ; il est vrai que ce ne sont pas les possédants capitalistes qui l’ont mis en place.
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