• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Religions > Comment les religions passées et présentes ont-elles construit un (...)

Comment les religions passées et présentes ont-elles construit un palimpseste de traditions dans une haute vallée du nord Pakistan ?

 

Le Pakistan s'est récemment fâcheusement illustré par les stances de son premier ministre et de sa ministre des droits de l'homme contre la France. Il existe pourtant des communautés qui y pratiquent un islam non sunnite et non fondamentaliste. Ainsi, la vallée de Chapursan, entre les chaînes de l'Hindou Kouch, du Pamir et du Karakoram, est principalement habitée par les Wakhis, une minorité ethnique et religieuse vivant aussi en Chine et dans les Wakhan afghans ou tadjiks. Dans un article précédent : Les Wakhis, un petit peuple écartelé et cloisonné aux confins de la haute Asie Centrale nous avons présenté comment les frontières récentes (d'un point de vue historique) fragmentent cette population. Mais, nous observerons que l'ensemble des Wakhis partagent la même foi et les mêmes traditions religieuses enracinées dans un héritage commun centenaire si ce n'est millénaire.

Religions Chapursan Valley Ismaelisme Bernard Grua

 

1. Documentation disponible sur la religion du peuple Wakhi

Le Tadjik Odinamamadi Mirzo (OM) donne une présentation des religions du pays natal du peuple Wakhi, « Wakhan » (pages 105 à 114). Bien qu'il existe des contradictions évidentes entre ses dates ou ses sources, OM offre un aperçu historique intéressant. Si l'hindouisme, le manichéisme et le nestorianisme chrétien ont certainement traversé le corridor du Wakhan, ils ne sont pas détaillés par OM et ne seront pas présentés ici.

 

1.1. Zoroastrisme

La religion la plus ancienne documentée dans le Wakhan est le zoroastrisme dont les adeptes étaient les Atash-Paras (adorateurs du feu). Aussi appelés seapoosh kafir (infidèles à robe noire), ils avaient leurs temples. Cependant, ajouté à ses fonctions domestiques, l'âtre des maisons (dildung) était aussi un lieu de culte. Les adorateurs du feu, au 10e siècle après JC, constituaient encore la moitié de la population du Wakhan.

[Dr. D.A. Scott, dans le "Journal of the Royal Asiatic Society" (1984, №2., Pp. 217-228), a affirmé que les Zoroastriens ont survécu jusqu'en 1896 dans le Wakhan date à laquelle ils ont été écrasés par l'armée de l'émir de Kaboul, Abdur Rahman, ayant forcé ces Kafir (s) à embrasser la vraie foi. Scott a suggéré, cependant, que certains éléments zoroastriens auraient pu être maintenus, jusqu'à aujourd'hui, dans la région, en particulier dans certaines parties isolées, mais proches du Pakistan adjacent.]

 

1.2. Bouddhisme

La propagation du bouddhisme dans le Wakhan a commencé au 4ème siècle. Le couloir du Wakhan, que certains auteurs qualifient de « grande route bouddhiste », était un tronçon très actif de l'ancienne Route de la Soie. Le voyageur chinois Xuanzang (639–645 après JC) a observé que le zoroastrisme et, marginalement, le bouddhisme étaient tous deux pratiqués dans le Wakhan. Il s'est rendu en Inde et à Bamiyan (aujourd'hui Afghanistan). Au retour, il menait une caravane de 22 chevaux avec de nombreux livres bouddhistes, marquant (construisant ?) ainsi 10 temples bouddhistes dans le Wakhan (d'autres auteurs disent que Xuanzang a "converti" certains temples zoroastriens en temples bouddhistes). Aujourd'hui, il y existe encore de grands restes d'un temple bouddhiste dans le village de Vrang. Il pourrait être du 4ème ou 7e siècle après JC. Ici aussi, certains chercheurs suggèrent qu'avant de devenir un lieu de culte bouddhiste, il aurait pu s'agir d'un bâtiment zoroastrien. Les habitants du Wakhan ont pratiqué le bouddhisme jusqu'aux XIe-XIIe siècles.

Budhist stupa, Vrang, Wakhan Valley, Pamir, Tajikistan © Bernard Grua 2011
Stupa bouddhiste de Vrang, corrdor du Wakhan, Tadjikistan

 

1.3. Animisme

À cette époque, l'animisme restait présent dans la région. Bien que « idolâtrie » soit un mot trop global et méprisant pour qualifier la quête de Dieu exprimée par des personnes de religions ou de pratiques différentes, cette phrase d'Odinamamadi Mirzo doit être mentionnée.

« Cet héritage historique témoigne que l'idolâtrie était effectivement pratiquée dans le Wakhan. Des sanctuaires ont été construits dans les villages et les pâturages. Des cornes d'animaux et des pierres ont été placées dessus. Dans certains endroits, d'énormes vieux arbres sont vénérés et ces sanctuaires sont appelés oston."

Comme il est fréquent en Asie, le chamanisme aurait pu être intégré au bouddhisme. Ensuite, il a gardé sa place dans la religion ultérieure.

 

1.4. Ismaélisme

L'armée du calife al-Maʾmun (fils d'Hârûn ar-Rachîd) a vaincu le Wakhan vers 814–15. L'opposition entre les zoroastriens et les Arabes était très tendue. Après avoir perdu leurs châteaux (comme Qahqaha et Yamchun), les robes noires ont fui vers l'Inde (vers ce qui pourrait être, aujourd'hui, le Pakistan) mais sont revenus, de temps en temps, pour mener des raids contre les Arabes.

Gauche : Vestiges de la forteresse Qahqaha (Kaahka), censé être construite par l'empire Kouchan av. J.-C - Au delà du Panj, vue sur le Wakhan Afghan, | À droite : forteresse de Yamchun - Hindou Kouch afghan en arrière-plan

Aux Xe-XIe siècles, la foi ismaélienne de la branche chiite s'est répandue en Asie centrale. Vers 1040-1050, l'un de ses propagateurs les plus célèbres et les plus respectés dans le Wakhan était Nasir e Khosraw (Nazir Kusrav, Nasir Khusrow, Nāser Khosrow). De nombreuses traditions sont attachées à son nom. Dans le Wakhan Afghan, il est probablement allé jusqu'à Yimit (à quelques kilomètres de Khandud). On raconte également qu'il s'est rendu dans la vallée du Lot Kuh du district de Chitral (Gilgit-Baltistan, Pakistan).

« Le poète (Nasir Kusrav) a vécu ses 15 dernières années dans le Badakhshan (région historique située entre l'Afghanistan et le Tadjikistan actuels) en prêchant soigneusement les gens à l'islam, en particulier à l'ismaélisme et a accepté leurs anciennes traditions et coutumes ».

Notez la mention importante : « a accepté leurs anciennes traditions et coutumes ».

Marco Polo (1271) écrit que les habitants du Wakhan pratiquaient la branche chiite de l'islam. Il a observé que les districts voisins ne s'étaient pas encore convertis à l'islam.

 

2. Les sanctuaires de Wakhi témoignent de la permanence de l'ancienne spiritualité et de ses traditions.

Certains monuments ou constructions acquièrent un sens spécifique dans l'environnement pour lequel ils sont conçus, à travers le dialogue que ces créations spirituelles entretiennent avec leur cadre naturel.

Votive ribbons, shaman rocks, Baikal Siberia © Bernard Grua 2007
Rocher du chaman, île d'Olkhon, Lac Baïkal
ayant des points communs avec un oston Wakhi.

C’est ce qu'exprime le temple de Poséidon à la limite orientale de la Grèce continentale, les ovoos bouddhistes/chamanistes implantés au sommet des cols des montagnes sibériennes des Saian orientaux Sayan ou sur les rochers et les caps de l’île d’Olkhon (lac Baïkal).
Le Mont St Michel dans sa baie, l'Abbaye de St Mathieu face à l'océan, à la limite ouest du continent européen, la chapelle Ste Barbe au Faouët sont d'autres exemples que l'auteur peut trouver en Bretagne.

Dans ses montagnes et ses vallées, le peuple wakhi partageait cette préoccupation religieuse commune à l'ensemble de l'humanité. Les sanctuaires sont leur réponse locale à l'affirmation du sacré dans le paysage.

Pendant de nombreuses années, John Mock a mené une enquête sur les sanctuaires situés dans le Wakhan afghan. Son travail remarquable peut être téléchargé en PDF : « Shrine Traditions of Wakhan Afghanistan ». Dans sa publication relative au Wakhan afghan, il établit des comparaisons entre le Wakhan tadjik adjacent et le Hunza-Gojal du Pakistan, mettant en évidence une même communauté de traditions au sein du Pamir, voire dans un espace géographieque plus large. Voici, ci-dessous, une sélection de quelques éléments particulièrement intéressants en rapport avec Hunza / Gojal et la vallée de Chapursan. Sauf indication contraire, les citations sont de John Mock.

 

2.1. Un lieu affirmant le sacré dans le paysage :

« À chaque sanctuaire, on remarque un endroit précis où de l'huile ou du beurre clarifié est appliqué. S'il y a une dépression dans la roche, une mèche peut être placée dans l'huile/beurre de façon à éclairer le sanctuaire illuminé. Des lampes à huile ouvertes peuvent aussi y être disposées. Comme le note Iloliev, « les sanctuaires ont été construits par des croyants afin d'avoir un contact plus direct avec les pouvoirs surnaturels aux endroits où les saints ont été enterrés ou auraient accompli une sorte de miracle. . . et recevoir d'eux la bénédiction spirituelle (barakat) »(Iloliev 2008a, 46). De tels endroits où la relation avec le sacré pouvait être négociée faisaient probablement partie du système de croyance autochtone avant l'avènement de l'islam. Les sanctuaires sont le lieu d'intégration et d'assimilation des croyances autochtones dans le discours islamique et de réaffirmation et de mobilisation d'un sens partagé du sacré dans le paysage."

 

2.2. Il existe trois sortes de sanctuaires Wakhi :

  • « Ostons (Astan, emplacement), des arbres, souvent décorés de bandes de tissu colorées, ou une collection de pierres avec une forme, une couleur ou des marques uniques.
  • Les Qadamgohs (qadamgāh, lieu de passage) sont des endroits que des saints sont réputés avoir visités. Un rocher portant la marque d’une empreinte de pied ou la trace d’un bâton peut identifier ces emplacements. Un bosquet d’arbres ou une source peut aussi marquer le site de la visite d’un saint.
  • Mazars (mazār, tombeau) sont généralement des lieux de sépulture »

 

2.3. Un sanctuaire incorporant une construction religieuse bouddhiste faisant partie du complexe de la Jamat Khana à Khandut (Afghan Wakhan)

Aujourd'hui, Khandut (Khandud, Khandood) est le chef lieu du Wakhan afghan. Dans le passé, pendant de longues périodes, c'était déjà le principal établissement du royaume du Wakhan. Dans l'enceinte de sa jamat khana (maison où se rassemblent les communautés ismaéliennes pour prier, se réunir ou étudier), il est encore possible d'observer une structure historique témoignant de la permanence d'un même lieu pour différentes religions.

Jama‘t khana (congregational place for prayers) in Khandud | Wakhan corridor | Afghanistan  | © Bernard Grua
La Jamat Khana de Khandut (Wakhan afghan) 
Ismaelian shrine in Khandud, Afghanistan © Bernard Grua
Khandud, structure circulaire délabrée
au sein du complexe de la Jamat Khana

« L'oston reçoit de l'huile ou du beurre, comme l'indique l'aspect huilé des petites pierres. À cet égard, il est similaire à d'autres sanctuaires.
Cependant, une ouverture dans le mur mène à une structure circulaire délabrée faite de briques séchées au soleil, soigneusement agencées pour former un cercle de base plus grand avec un cercle supérieur plus petit. La forme de cette structure maintenant en ruine rappelle l'ancien vihara bouddhiste trouvé en Inde, et les briques séchées au soleil sont apparemment identiques aux briques utilisées dans la construction du fort de Kansir à Korkut, qui date du huitième ou neuvième siècle de notre ère.
Se pourrait-il que ce soient les restes du célèbre vihara de Khandut ? Sans étude archéologique supplémentaire et peut-être datation au radiocarbone, cela doit rester une spéculation. Cependant, nous pourrions supposer que le lieu a longtemps été lié au sacré et que l'oston est probablement antérieur à la jamat khana, démontrant une continuation de la pratique religieuse à cet endroit."

Un parallèle peut être dressé avec la transformation d'un sanctuaire bouddhiste dans la vallée moyenne de la Hunza.

« L'établissement d'un sanctuaire islamique à la place d'un sanctuaire bouddhiste est attesté à Thol dans le Nagar (vallée de Hunza, nord du Pakistan), sur l'ancienne route de Gilgit au Wakhan, via la vallée de la Hunza (Frembgen, 75 ; Stein 1907, 20) . »

Dans le fort d'Altit , le plus ancien château du mir de Hunza, la croix gammée hindouiste / bouddhiste est sculptée sur la mosquée. À côté d'Altit, des croix gammées peuvent également être observées sur l'une des anciennes mosquées de Ganish.

Hunza : mosquée du fort d'Altit Fort | Croix gammées sur la mosquée du fort d'Altit | Hunza : Swatiskas sur une mosquée de Ganish

 

2.4. Les deux sanctuaires de Panja Shah à Qala e Panja (Wakhan Afghan) et à l'entrée de la vallée de Chapursan (Pakistan), peuplée de Wakhi, sont très similaires.

Ils pourraient être antérieurs à l'introduction de l'islam. John Mock à propos de Panja Sha à Qala e Panja dit :

« L'oston (sanctuaire et pierre de panja) de Panja Shah à Qila-e Panja (Wakhan Afghan)… est décoré de quelques bandes de tissu coloré sur des bâtons et comporte une pierre avec un trou qui sert d'endroit où les offrandes sont placées.
La pierre de panja… a cinq rainures lisses et parallèles en forme de doigts… Dans l'islam chiite, le nombre cinq signifie les cinq personnes pures : le prophète Mohamed, Fatima, Ali, Hassan et Hussein. Dans le Pamir, les traditions chiites se sont mélangées avec le soufisme et les croyances ismaéliennes pour former une foi et une pratique spécifiques à l'ismaélisme pamiri appelé Panj-tani, « cinq corps » (Iloliev 2008a, 41), souvent symbolisées par une empreinte de main.
La pierre a la même signification pour la communauté d’aujourd’hui, mais, comme Zalmay (arrière petit-fils du dernier mir/roi du Wakhan) l’a déclaré à l’auteur, elle pourrait bien être antérieure à l’introduction de l’islam dans le Pamir. Sa taille et sa forme uniques peuvent avoir été importantes pour les croyances antérieures."

Pir Shah Ismaily (chef spirituel du Wakhan afghan) à propos de Panja Shah :

« Sur cette pierre, Hazrat ʿAli (gendre de Mohamed), roi des hommes, aurait offert des prières. Les signes de ses cinq doigts, de son tibia et de son bâton, ces signes existent toujours… Les cinq doigts de Shoh-e muborak (Shāh-e mobārak) y sont imprimés sur la pierre."

Wakhan afghan : Ancienne forteresse (Qala) du mir du Wakhan à Qala e Panja

L'oston de Panja Shah à l'entrée de la vallée wakhi de Chapursan (Pakistan), bien qu'il ne soit pas en plein air, se compare à celui de Qala e Panja (Wakhan afghan).

L'oston de Panja Sha à l'entrée de la vallée de Chapursan (Pakistan)

« Le sanctuaire Panja Shah dans la vallée de Chapursan, une zone de population Wakhi dans le nord du Pakistan, qui est reliée au Wakhan par un col, a une pierre avec cinq griffes ou marques de doigts, sur laquelle des libations de beurre clarifié sont offertes. Des sanctuaires rocheux similaires à Chapursan ont conduit Aurel Stein, qui a visité Chapursan en 1913, à remarquer leur ressemblance avec les sanctuaires rupestres bouddhistes comme « un cas de continuité du culte local remontant à l'époque pré-mohamédienne » (Stein 1981, 52 ; Mock 1998 , 308) ».

La pierre avec cinq griffes ou marques de doigts à l'intérieur de l'oston de Panja Shah, vallée de Chapursan (Pakistan)

 

2.5. La même histoire d'inondation, comme châtiment des péchés, dans les vallées du Wakhan et de Chapursan.

Nasir Kusrav (Nasir Khusrow, Nāser Khosrow) le principal missionnaire ismaélien, confronté à un refus d'hospitalité, et le déluge de Yimit (Wakhan Afghan).

« Dans le village de Yimit, dans le Wakhan, il y a aujourd'hui un sanctuaire à l'endroit où Nasir Kusrav (Nasir Khusrow, Nāser Khosrow) a démontré plusieurs miracles et a apporté son message au peuple. Yimit est situé à environ quatre kilomètres en aval de Khandut. Nāser arrive à Yimit habillé en mystique errant (malang, derviche) dans de vieux vêtements et portant un bâton en bois. Là, à Yimit, une fête de mariage a lieu, où il est repoussé et maltraité, et les hommes de la maison du mariage lui jettent des pierres et du sable. Une femme de la maison, cependant, lui montre du respect et le salue gentiment, et Nāser lui parle gentiment. Il part ensuite, se met en tenue royale et monte sur son cheval blanc. Il retourne à la maison de mariage et est accueilli avec honneur. Les hommes lui offrent de la nourriture, mais il la refuse. Il commande alors sa "sleeve" (manche ?) et son fouet pour manger la nourriture. La nourriture se transforme en pierre sur place. Une « pierre verte » que Nāser touche avec son fouet et elle se divise en deux. D'un côté, « cinq traces de doigts profondes », qui représentent « les qualités du panj-tani ». De l'autre côté se trouvent sept trous qui symbolisent le haft hodud-e din (lit. « sept niveaux de la religion », les sept niveaux de la hiérarchie ismailienne). Nāser réprimande alors les gens et, dans certaines versions, il fait ensuite tomber un déluge sur eux en guise de punition.
Sur le site, aujourd'hui, la nourriture que Nāser a transformée en pierre reste comme preuve du miracle et est le point focal de la vénération. Les objets en pierre sont exposés sous un grand saule à l'intérieur d'une construction entourée de murs bas".

Un vieux saint, confronté à un refus d'hospitalité et à l'inondation de Kampir Diyor (Vallée de Chapursan, Pakistan)

« Avec cette mention d’une inondation comme châtiment pour les péchés des villageois, le récit oral du Wakhan dépasse les contours de l’histoire du Safarnāma (récit de voyage) de Nāser et commence à prendre la structure d’un autre récit régional célèbre ; l’histoire de Kampir Diyor « le village de la vieille femme » dans la vallée de Chapursan (Pakistan). La forme générale de cette légende est qu'un vieil homme apparaît et se voit refuser l'hospitalité par tous sauf une vieille femme. Le saint à la barbe blanche bénit la vieille femme et lui ordonne de quitter sa maison pour se rendre sur un terrain élevé. Elle le fait et regarde en arrière pour voir le saint sur son cheval blanc, apportant une inondation dévastatrice sur le village qui le méprisait.
Son panier de vannerie est transformé en pierre et reste sur le toit de sa maison, maintenant détruite, en gage du pouvoir du saint. Des histoires suivant ce modèle sont connues dans la vallée de Raskam à l'est du Pamir de Shimshal , dans la vallée de Shigar du Baltistan et dans la vallée de Darel de l'Indus Kohistan (Mock 1998, 306)… Ce type d'histoire existe donc dans les zones de peuplement non-ismaéliennes. Toutes les vallées sont sujettes à des crues glaciaires catastrophiques, ce qui pourrait suggérer une corrélation entre le contexte géophysique et les constructions interprétatives du paysage ».

Il existe une histoire similaire à celle de Kampir Diyor sur une inondation dans l'ancien village de Yishkok, dans la vallée de Chapursan, entre le village de Zood Khun et le mazar de Baba Ghundi. Il implique le saint à l’origine de l’oston de Panja Sha. Vous pouvez en apprendre davantage en téléchargeant le document : "Mythes of Chapursan Valley".

Vallée de Chapursan entre Sost (Karakoram Highway) et le col d'Irshad (frontière afghane)

 

3. La permanence des traditions religieuses en tant que clé d'interprétation

Faisons le vœu, que quelqu'un procède, dans un futur proche, au même travail d'inventaire pour les sanctuaires de Chapursan que celui effectué par John Mock pour les sanctuaires du Wakhan. La vallée est riche de personnes instruites, parlant le wakhi et l'anglais, de photographes et de vidéastes talentueux, qui pourraient partager leurs découvertes et obtenir, de la part d'universitaires internationaux, un soutien ou des directives. En attendant, il est déjà possible de confirmer que les Wakhis de Chapursan partagent la même foi religieuse et des traditions très anciennes similaires à celles du Wakhan, bien qu'ils aient pu les ancrer dans leur paysage très local. Cela contribue à une vision sacrée et harmonieuse de la nature en plus de l'attention particulière consacrée aux traditions et aux ancêtres. Une telle permanence aidera à expliquer la conception des maisons de montagne wakhies qui sont restées remarquablement stables et communes aux autres Pamiris, depuis des temps immémoriaux. Voir l'article du même auteur, sur Medium : « Maisons montagnardes wakhies de Zoodkhun dans la vallée de Chapursan, nord du Pakistan »

 

Autres articles de Bernard Grua concernant cette région sur Agoravox

 Les Wakhis, un petit peuple écartelé et cloisonné aux confins de la haute Asie Centrale

 Le Grand Jeu : rencontre anglo-russe aux confins du Pamir, de l’Hindou Kouch et du Karakoram

 Chapursan, quand la nuit de Zoodkhun dévoile l’univers

 La Karakoram Highway, prototype du schéma colonial de la Nouvelle Route de la Soie dans un Etat en perte de légitimité ?

 

 

 

 

 

Où séjourner dans la Vallée de Chapursan ?

Les "Pamir Serai guest houses" sont les hébergements traditionnels pour les visiteurs de passage à Zoodkhun (Zuwud Khoon, dernier village de la vallé) et à Baba Ghundi (lieu du principal sanctuaire de la vallée) pour les visiteurs externes. Elles sont tenues par la famille d'Alam Jan Dario, un guide, poète et musicien de renommée internationale.

 

Remarques :

Vous avez aimé cet article ? Enregistrez-le sur Pinterest

Religions Chapursan Valley Ismaelisme Bernard Grua Pin


Moyenne des avis sur cet article :  3.5/5   (6 votes)




Réagissez à l'article

7 réactions à cet article    



    • Rantanplan Panoramix 10 décembre 2020 17:44

      @Panoramix

      Erreur de lien : nouvel essai.


    • Bernard Grua Bernard Grua 10 décembre 2020 17:55

      @Panoramix, excusez-moi, mais je ne comprends pas ces liens. Le premier conduit à cet article. Le second est innaccessible. 


    • velosolex velosolex 12 décembre 2020 12:01

      Bel artilce, mais difficile d’accés aux novices

      Ayant lu vos lignes sur la Bretagne, il m’est revenu la beauté du peuple kalash, dans la vallée de Chitral, malheureusement inquiété maintenant par la politique d’islamisation. Les toilettes des femmes, les ritualisations de leur costume, me rappelaient celles du coiffes et des costumes Bretons, quoique bien plus bigarrés et colorés. Afghanistan, Pakistan, indes, les populations se sont longtemps moquées de ces frontières. J’ai traversé ces pays dans les pays 70, assez de temps pour comprendre que je n’avais pas vu grand chose, tant il y a de langues de variétés. J’avais lu les livres d’anne marie schazenbach, de Bouvier, de Kessel. Finalement ce monde d’avant hier n’avait pas alors trop changé.

      C’était avant l’arrivée des soviétiques et des Talibans. De retour du Penjab, j’ai traversé plus tard le désert du baluchestan au sud, prenant ce train folklorique entre Quetta et Zahedan ou de temps en temps, des employés pelletaient le sable devant le train pour qu’il puisse avancer. Les Afghans planquaient leur tapis dans les cloisons, pour passer la frontière iranienne. Les bouddhas de Bamyan semblaient encore avoir des millénaires devant eux. 


      • Bernard Grua Bernard Grua 12 décembre 2020 20:10

        @velosolex 

        Merci pour votre commentaire et pour tout ce qu’il évoque. Je reconnais que mon texte est assez hermétique, quand on n’a pas la géographie de cette région en tête et que l’on ne peut pas en visualiser le cadre. Je suis néanmoins surpris de la vitesse à laquelle il a été approuvé.

        Il est vrai que je me suis « amusé » à indiquer la Bretagne, notamment Sainte-Barbe et la Pointe St Mathieu, qui me sont chers. Mais ce n’est pas seulement par souci de contre-exotisme que je les mentionnais. En effet, jusqu’à maintenant, j’étais près à voir la survivance de paganismes comme des sortes de réminiscences dérangeantes dans la ou les religions révélées. C’est le texte de John Mock qui a remis les choes à leur place et à permis de faire un lien entre ces différents lieux de Haute Asie que j’ai visités au cours de ces dix dernières années. Le concept de « l’affirmation du sacré dans le paysage » est particulièrement pertinent. Cette pensée a, de plus, l’avantage de rassembler et non pas de diviser. Elle montre que ces matérialisations spirituelles répondent à une logique intemporelle et à un besoin commun à toutes les confessions se succédant au fil des siècles.

        J’envie vos pérégrinations des années 70. Aujourd’hui, la porte est bien refermée et l’environnement humain s’est dégradé, pour le pire. La caste militaire du Pakistan et l’ISI, les services secrets de ce pays, portent une très lourde responsabilité dans cet ensauvagement radical et barbare, alors que l’on n’y voit généralement que la griffe américaine et soviétique. Ce n’est pas près de s’arrêter. Au contraire, Imran Khan, l’incapable Premier ministre du Pakistan pourtant très occidentalisé, nous montre que le seul moyen, qu’il trouve pour rester au pouvoir, est un discours sunnite de haine, des flatteries à l’égard des extrémistes, qui ne rêvent que de décapitations, et l’acceptation d’une colonisation chinoise. J’ai écrit un texte qui n’a pas été validé par la modération d’Agoravox (Je n’en fait pas une affaire. Ce n’est ni le premier, ni le dernier à n’avoir pas été retenu.). J’y disais, qu’à mon sens, une partie de la religion musulmane évolue vers une pratique digne des âges les plus sombres en intégrant dans son culte les sacrifices humains. L’immolation d’une victime est vécue comme un acte de foi. C’est ce que je montrais en m’appuyant sur des cas tunisiens : « Tunisie, une radicalisation incontournable ? » 

        Comme les minorités chiites, chrétiennes, hindouistes... (pourtant représentés dans la partie blanche du drapeau du Pakistan) les Kalash, mis actuellement en avant comme des attractions touristiques, sont menacés. Ils sont soumis à l’islamisation sunnite par la force, par l’enseignement ou simplement par nécessité, afin de pouvoir évoluer dans l’échelle sociale. Vous avez découvert un monde attachant. Il se meurt aujourd’hui. Quant au Baloutchistan, il sombre dans le chaos, la guerre civile, les massacres et les attentats.

        Puisque vous aimez et connaissez cette région, je me permets de vous suggérer, à nouveau, de lire « Le grand jeu. Officiers et Espions en Asie Centrale » de Peter Hopkirk ainsi que le magnifique « Pamir : oubliés sur le toit du monde » de Mareile et Matthieu Paley.


      • velosolex velosolex 13 décembre 2020 00:05

        Merci pour ces références. Je ne remettrais plus les pieds en Asie, en particulier pour les raisons que vous indiquez, et parce que je suis devenu bien plus critique envers le tourisme que je ne l’étais alors, un tout jeune homme bien naïf tout de même, mais qui garde tout de même des illuminations. Les voyages apprennent au moins normalement à connaitre ses limites. Je crois qu’une forme de désenchantement s’est catalysé avec celui d’un monde qui disparait à toute vitesse, sous le poids de l’islamisation, de la mondialisation, et du tourisme de masse, chacune de ces trois leviers agissant plus ou fortement selon leur relation et leur tolérance aux autres... 

        Les lumières disparaissent, et certains applaudissent, ou font marcher leur tiroir caisse. Les livres sont menacés, et la tolérance. L’obscénité et la marchandisation envahie la planète. Ne parlons pas des ravages que le smarphone installe et les incompréhensions qui en découlent. Ce qui est aberrant, c’est qu’à l’opposé du passé nous connaissons très bien la dynamique du désastre, et nous sommes dans l’apragmatisme le plus complet, comme d’ailleurs face à la catastrophe climatique. L’islamisation est la très mauvaise réponse au problème de la rencontre impossible de deux mondes, et des problèmes concomitants. L’iran des années 70 aspirait à autre chose après avoir forcé le shah à l’exil. 

        Nous sommes dans une culture du désastre, avec tout de même encore pas mal d’hommes pour tenter de s’opposer aux ténèbres. Votre concept«  « l’affirmation du sacré dans le paysage » me convient assez. Il y a sans aucun doute une forme de systémie entre l’histoire, la géographie, et toute forme de coutumes, ou mythologies, qui permettent de faire groupe et sens, au sein d’un espace qui devient sacré.

        Victor Segalen à sa tombe pas très loin d’où j’habite. Sans doute connaissez vous. Un médecin de la marine, mais aussi sinologue, qui se passionna avant la première guerre d’archéologie chinoise, et de poésie. Il écrivit »les immémoriaux" mis roman, mi essai, qui est une critique de l’action de la colonisation sur un peuple de Polynésie. On voit par là que la pensée ethnologique éclairée ne date pas d’hier. Le Finistère contient bien des endroits qui restent sacrés, qui continuent à vibrer. Je ne parle pas que des menhirs, mais des chapelles, comme vous en parlez pour sainte barbe. La chapelle de saint Herbot a tous les ans son fest dez..Sans aucun doute, le fait d’être de Bretagne met en relation, avec les cultures méprisées, en rapport avec l’histoire du pays et de sa langue, ostracisée. 

        Le chaos de saint Herbot caché dans la foret derrière est sans doute moins visité que le Macha Picchu. https://bit.ly/34aoZZw C’est un chaos perdu, secret, cassé par l’installation d’un barrage EDF. Les anciens s’en rappellent à peine. https://bit.ly/2LnNETG Il faut de bonnes chaussures pour pénétrer ces lieux forestiers qui ne sont plus mentionnés sur la carte IGN. Voilà la forme d’ethnologie modeste que je pratique, à mi chemin avec la poésie,...Bien à vous. 

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité