Pour un enseignement laïque et pacifiste du fait religieux
Sur Agoravox comme ailleurs on revient souvent sur la présence de la religion dans l'école de la République, soit pour constater que des élèves croyants ou leurs parents font obstacle à l'enseignement de certains contenus des programmes, soit pour réclamer un meilleur enseignement du "fait religieux", soit pour demander ouvertement un enseignement "des religions", soit encore pour demander un total rejet de l'un et de l'autre. (1)
Il me semble qu'on examine trop peu la question sous l'angle du rapport entre la religion et la violence effectivement commise en son nom. C'est pourquoi je crois utile de contribuer au débat en publiant ici une intervention personnelle auprès du CNDP quelques semaines après le 11 septembre 2001.
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Sur l'enseignement du fait religieux à l'école laïque
(extraits d'une lettre adressée au Centre National de Documentation Pédagogique en décembre 2001)
J'ai acquis récemment une conviction : c'est seulement par l'enseignement des religions à l'école laïque que la violence religieuse pourra reculer. Même après le 11 septembre, en effet, les grandes religions monothéistes abrahamiques ont décidé de continuer, pour l'essentiel, à nier les causes réelles de cette violence : ses bases théologiques. Ces bases criminogènes, les religions vont continuer de les enseigner, de les transmettre aux générations futures tout en les niant. Elles vont continuer de condamner publiquement les fanatiques qui commettent des meurtres au nom de Dieu, tout en continuant de former ces fanatiques à la violence en continuant d'enseigner que "Dieu appelle au meurtre". …/…
Il est clair que ce sont bien les textes sacralisés par les grandes religions qui contiennent des passages criminogènes et c'est évidemment préparer les meurtres futurs que de continuer à le nier. Il s'agit bien d'un problème d'interprétation mais il est manifeste que ce sont les interprétations criminogènes officielles et le refus des responsables religieux de désacraliser la violence théologique qui constituent la principale cause des violences de fait. Ces croyants "de peu de foi" se trompent lourdement quand ils croient que leur religion mettrait en péril son existence même en se débarrassant des bases théologiques de la violence. C'est au contraire en s'entêtant à les conserver sacrées, en prouvant ainsi qu'elle est incompatible avec les Droits de l'homme, qu'ils programment à coup sûr la disparition de leur religion.
Quoi qu'il en soit, puisqu'ils continuent de penser qu'ils ne doivent pas ou ne peuvent pas procéder à la désacralisation il me semble qu'un espoir de changement ne peut plus venir que de l'enseignement des religions à l'école laïque, de plus en plus favorablement accepté dans notre pays, ce que je tiens pour un important progrès.
Mais pour concrétiser cet espoir il faudrait garantir que l'enseignement des religions par les professeurs laïques ne soit pas une simple reproduction des conceptions toujours dominantes au sein des religions elles-mêmes. Sur le point le plus préoccupant, la violence, l'indispensable objectivité laïque devrait alors conduire à rompre radicalement avec le vieux mensonge qui consiste à ne retenir des "commandements de Dieu" contenus dans les textes sacrés que le "Tu ne tueras pas" alors que s'y exprime aussi clairement, en de nombreux endroits, un tout aussi impératif "Tu massacreras abondamment".
Il faut parier sur le rétablissement honnête de la vérité biblique et coranique ("Tu ne tueras pas" et "Tu tueras abondamment") pour provoquer chez ceux des élèves qui sont ou deviendront croyants une interrogation et un besoin de changement qui devraient conduire, au sein de leur religion, à l'exigence d'un choix entre un Dieu pacifiste et un Dieu criminel, ce fameux choix auquel se dérobent toujours les institutions religieuses.
L'objectif à atteindre le plus rapidement possible est une "ligne de basculement" au-delà de laquelle serait tout naturellement ressentie comme irrecevable toute conception religieuse affirmant que des appels au meurtre (ou même à d'autres violences moins graves) sont "parole de Dieu" (parce que c'est écrit dans les textes sacrés ou pour toute autre raison).
Si j'adresse au CNDP cette réflexion c'est que le numéro 2933 du 15 novembre 2001 du journal La Vie donne sans le vouloir, en sa page 52, un exemple de ce que pourrait être une erreur gravissime dans l'enseignement laïque des religions. Incontestablement bien intentionné, comme il l'a largement montré par ailleurs, Monsieur Soeib Bencheikh donne des exemples des questions / réponses contenues dans le "guide de l'islam" qu'il prépare avec le CNDP. Ces exemples sont intéressants mais le plus important ensemble de question / réponse qui devrait être dans ce guide, celui qui ferait le plus réfléchir les élèves musulmans et les amènerait, j'en suis convaincu, à exiger des changements dans l'interprétation officielle au sein de leur religion n'est pas évoqué par Monsieur Bencheikh. Cet ensemble c'est "à la question "Pensez-vous que, dans le Coran, Dieu appelle au meurtre ?" la réponse est "oui".
Que Monsieur Bencheikh n'évoque pas cet ensemble ne prouve pas qu'il ne veut pas l'insérer dans son jeu de questions / réponses mais il faut dire clairement que, s'il ne l'insérait pas, le guide n'en serait pas un. Ce ne serait qu'un document de plus où, pour n'avoir pas à regarder en face le contenu le plus grave du Coran - un contenu criminogène - on déciderait de le contourner, comme on a décidé un peu partout de continuer de le faire depuis le 11 septembre. Ce ne serait qu'un document de plus visant à présenter l'islam sous un aspect favorable et, croit-on, rassurant. En réalité ce serait très inquiétant car les fanatiques - ceux qui ne contournent pas les textes sacrés criminogènes - continueraient de trouver, eux, des raisons de continuer à faire passer dans les actes les appels au meurtre émanant "de Dieu".
Si le CNDP n'ajoutait pas l'ensemble question / réponse le plus important dans le guide de l'islam il trahirait évidemment, et très gravement, sa mission puisqu'il contribuerait à pérenniser les bases théologiques de la violence religieuse. …/…
Le problème de la violence religieuse sacralisée se présente exactement comme se présentait, il y a quelques années, celui du principe quasi-sacré de la "non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats". Nous étions probablement très nombreux à penser que, lorsque des violations manifestes des Droits de l'homme pouvaient être constatées dans certains pays ce principe était choquant et inacceptable, et qu'il fallait au contraire le remplacer par un droit, voire un devoir d'ingérence. Nous ne savions comment faire prendre en compte cette conviction et ne l'exprimions que dans des courriers privés. Il n'a fallu que l'expression publique de cette conviction par quelqu'un qui avait accès aux médias - Bernard Kouchner - pour que le devoir d'ingérence soit exigé aussitôt par un grand nombre d'individus et très rapidement obtenu. (2)
Une fois rendue publique l'exigence de désacralisation de la violence, les religions ne tarderont probablement pas, sur l'insistance de leurs fidèles, à procéder à la désacralisation.
Pierre Régnier, le 8 décembre 2001
(1) Voir l'article du 13 mai de Kookaburra, "La religion s'invite à l'école", et les commentaires :
http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/la-religion-s-invite-a-l-ecole-93826
(2) cela va sans dire mais va mieux encore en le disant : la référence positive faite ici à B. Kouchner n'implique évidemment pas un quelconque jugement sur l'évolution ultérieure de ce politicien.
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