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Enquête sur le Fentanyl

D’aucun n’auront pas manqué que la Commission Européenne vient de demander une enquête à l’encontre de deux laboratoires pour soupçons abus de position dominante. Décryptage.

L’actualité

Une fois n’est pas coutume, la presse française a relaté une information qui dépasse son champ de vision étriqué, et pourtant plus restreint que d’habitude pour des raisons rugbyliques, Khadafesques et Hollandines.

La Commission Européenne a demandé une enquête à l’encontre de Johnson & Johnson (J&J) et Novartis. Les deux laboratoires sont soupçonnés d’abus de position dominante (c’est à dire d’avoir organisé un monopole) sur les patchs de Fentanyl1.

En effet, J&J et Novartis se seraient mis d’accord pour empêcher la vente de versions génériques de cet antidouleur aux Pays-bas. Plus précisément, J&J aurait donné de l’argent aux filiales de Novartis spécialisées dans les médicaments génériques (Hexal et Sandoz), pour que ces dernières ne commercialisent pas leur produit concurrent2.

Que signifient ces accords ?

Quand un laboratoire découvre ou invente un médicament (dans le cas présent, le médicament était déjà découvert, en faire un patch est une invention), elle reçoit un brevet. Aussi longtemps que ce brevet est actif, le laboratoires et théoriquement protégé de la concurrence, et peut donc appliquer un tarif plus élevé.

Le bénéfice réalisée sert d’une part à financer la recherche (peut-être détaillerai-je un jour à l’occasion d’un autre article), d’autre part à contribuer aux résultat de l’entreprise. Dans les années 80, une marge de 10% était considérée comme excellente, mais depuis les années 90, les actionnaires exigent plutôt du 20%. Pour information, l’industrie automobile tourne autour des 5%. A mon avis, on a là quelque chose qui ne tourne pas rond…

Dans les faits, les génériqueurs ne respectent pas les brevets. Ils ne violent pas (toujours) la loi pour autant. La stratégie habituelle est d’attaquer le brevet en justice, de dire que c’est une fausse invention, pour le faire invalider. Ceux qui sont vraiment joueurs commencent à vendre illégalement leur propre version du produit. On parle de lancement à risque. Les procédures sont longues, et chaque partie multiplie les recours. Si le génériqueur gagne, le laboratoire inventeur doit non seulement assumer les frais de procédure, mais aussi indemniser son concurrent pour le manque à gagner généré sur la période pendant laquelle le brevet a protégé le nouveau médicament. Enfin, l’invalidation justifie à postériori un lancement à risque. Si le laboratoire l’emporte, le génériqueurs doit assurer les frais de procédure. Si dans ce cas, le génériqueurs a fait un lancement à risque, il doit alors indemniser le laboratoire.

On comprend que, quoiqu’il arrive, les laboratoires préfèrent éviter le conflit juridique, dont l’issue est toujours incertaine. En effet, les juges ne sont pas des experts scientifiques, et on voit très souvent des décisions inversées en appel.

Donc, le laboratoire propose une somme rondelette au génériqueurs qui le laisse tranquille.

  • Le laboratoire y gagne de la certitude et de pouvoir continuer à générer beaucoup d’argent grâce à son monopole.
  • Le génériqueurs y gagne une somme en cash reçue immédiatement et de la certitude.

La Certitude, c’est un truc qui plait aux actionnaires, ce qui leur permet de voir à long terme.

Qui y perd ? Et bien vous, nous, moi. En effet, nous devons continuer à payer notre drogue au prix fort.

Hyprocrisie

C’est pourquoi les autorités sanitaires et les autorités de la concurrence sont parties en guerre contre cette pratique.

Les premiers à en faire les frais ont été Sanofi et Bristol-Myers Squibb. Les deux laboratoires, partenaires, ont payé Apotex pour qu’elle ne vende pas sa version générique du Plavix3. Ils se sont fait tapés sur les doigts4.

Mais pas Apotex.

Non, le génériqueurs qui accepte le contrat illégal est (était ?) laissé tranquille. En effet, les fouilles qui seront menées chez Novartis ne viseront qu’à trouver des documents incriminant J&J.

Dans la première histoire, la morale est sauve : Apotex a lancé son produit sans en avoir le droit, et doit payer un demi millions de dollars en dommages et intérêts. Mais pas d’amende…5

D’autres enquêtes similaires ont été lancées ces dernières années, certaines dont on attend toujours le résultat. Pour coller à l’actualité, je citerai GlaxoSmithkline, condamnée à payer 3 milliards de wons d’amende (un peu moins de 2 millions d’euros) pour avoir bloqué une version générique du Zofran en Corée du Sud6.

Subtilités

Donner de l’argent au génériqueurs est donc aujourd’hui interdit. Mais les laboratoires ont inventé une façon de contourner cette loi : le générique autorisé.

Prenons un exemple imaginaire. Fox Pharmalab a un médicament, la Foxine, dont le brevet expire en Décembre 2015. Beaucoup de génériqueurs voudraient faire de la Foxine, qui se vend très bien, même si on ne sait pas trop ce qu’elle soigne (en théorie l’anatidaephobie7, et certaines études ont démontré un effet sur les épinards collés sur les dents). Le plus avancé est Laboratoires Fennek, qui vient d’aviser Fox qu’il s’apprête à attaquer le brevet en justice. Fox invite alors Fennek à discuter, et après 3 heures de parlote, on tombe d’accord : Fennek pourra vendre de la Foxine générique à partir de Décembre 2014, soit 1 an avant la fin du brevet.

Et Fennek pourra la vendre tout seul pendant 12 mois, puisque le brevet sera toujours en place. Et comme il la vendra tout seul, il pourra la vendre un peu plus cher pendant 12 mois. Et pendant 12 mois, Fennek pourra optimiser ses coûts de production, parfois avec l’aide de Fox qui partagera son expérience sur la partie chimique de la fabrication. Et Fox recevra un peu de royalties. En décembre 2015, Fennek cassera ses prix, et tous les autres génériqueurs l’auront dans le baba.

Je lisais la semaine dernière qu’AstraZeneca avait conclu ce genre d’accord avec Sun Pharma sur le Nexium8.

En guise de conclusion

Et puis il y a ceux qui se prennent pour des petits malins et qui se font franchement tataouiner. Teva (génériqueur) était en discussion pour trouver un accord avec Wyeth (l’inventeur) pour vendre du Protonix générique. Mais, en pleins pourparlers, Wyeth a cassé les prix du Protonix au niveau de celui d’un générique9. La part du gâteau avait subitement beaucoup maigri…

 

1. Novartis et Johnson & Johnson sous le feu de Bruxelles, Reuters, 21 Octobre 2011

2. EU regulator probes J&J, Novartis generic drug deals, Reuters, 21 Octobre 2011

3. Sanofi-aventis : Le marché salue l'accord trouvé avec Apotex, Cercle Finance, 22 Mars 2006

4. PLAVIX® Litigation Settlement Fails to Receive Antitrust Clearance From States Attorneys General, Business Wire, 28 Juillet 2008

5. Court Cuts Apotex Payment To Sanofi, Bristol In Plavix Patent Case, Peter Loftus, The Wall Street Journal, 18 Octobre 2011

6. Korea Anti-Trust Body : GSK Fined KRW3 Billion For Unfair Trade, Kyong-Ae Choi, Fox Business, 24 Octobre 2011

7. Anatidaephobia, Gary Larson, The Far Side

8. AstraZeneca, Sun Pharma Settle Over Nexium Generic, Sindhu Sundar, Law360, 13 Octobre 2011

9. Teva claims Wyeth voids standstill agreement, Globes, 30 Janvier 2011


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5 réactions à cet article    


  • Krokodilo Krokodilo 28 octobre 2011 10:58

    Les labos ne font jamais de fausses inventions ? Ils n’ont jamais menti ? Et maintenant les méchants génériqueurs leur font des misères ? Monde cruel. Ne vous plaignez pas de la Commission, elle est tout acquise à l’industrie pharmaceutique : ils veulent promouvoir la pub des médicaments, et leur évaluation contre placebo plutôt que contre le médicament de référence du même domaine, seule méthode pertinente pour être sûrs qu’il s’agit d’une nouveauté utile...


    • Pharmafox 28 octobre 2011 11:38

      Je pense que vous avez mal saisi mon propos. Je ne suis pas particulièrement favorables au laboratoires, et mon parcours me mettrais plutôt dans le camp des génériqueurs. Quoique l’évolution du médicaments génériques ces dernières années est à des kilomètres de ce que j’ai connu.


      Ici, je dénonce les deux, qui se mettent d’accord pour escroquer les patients et les systèmes d’assurance maladie.

      Je regrette simplement l’immunité qui est accordée à l’une des parties.

    • Krokodilo Krokodilo 28 octobre 2011 12:15

      Il n’y a pas d’immunité pour une des parties, mais une situation embrouilléle au possible à force de compromis des uns et des autres, de rachats de molécules, de co-marketing, de se génériquer soi-même, etc. Pour s’y retoruver, il faut vraiment suivre de près l"induistrie pharmaceutique. Diviser entre gentils et méchants est caricatural. De même qu’on prescrit à la fois en marque et en DCI, compliquant encore les choses.


    • Spip Spip 28 octobre 2011 13:27

      Démonstration/démontage utile des stratégies des labos.

      En tant qu’utilisateur final, je peux me rendre compte des résultats. Tantôt, ma pharmacienne me propose le générique, tantôt le princeps qui a baissé, jusqu’à parfois se retrouver moins cher que le générique. Puis ça recommence.

      Même si le médecin prescrit en marque, le pharmacien a obligation de proposer en DCI générique, si c’est moins cher. (accord avec la Sécu, ils touchent un peu d’argent pour ça)

      Ça semble être le résultat d’une saine concurrence mais, si l’on vous suit, ce serait moins clair que ça...

      Génériqueurs où pas, les deux ont, avant tout, la même logique d’entreprise qui consiste à s’entendre (sur le dos de...) plutôt qu’à se faire du mal.


      • Clojea Clojea 29 octobre 2011 08:26

        Les labos...... Comme industrie opaque, il n’y a pas mieux. Par contre ils ont de très bons avocats. Servier a réussi le tour de force de délayer l’instruction à Paris. Evidemment report sine die de la convocation de Servier chez le juge prévue le 9 novembre. Comme ça il pourra fêter Noêl tranquille....

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