France 2 met la psychiatrie à la une
Depuis plusieurs semaines, la psychiatrie fait la une des médias français [on trouvera à la fin du billet une petite liste de liens renvoyant sur des articles parus dans la presse]. Chacun - et principalement journalistes et politiques - alimentent un débat pour le moins polémique autour d’une problématique dont il est à craindre qu’elle ne flirte avec une logique dangereuse consistant à désigner à la vindicte populaire un bouc émissaire idéal : le fou dangereux !
Et la télévision n’est pas le dernier des médias à surfer sur cette actualité dont les responsables de chaîne peuvent penser a priori que l’émission fera de l’audience. Ainsi, Canal+ avec son magazine Jeudi investigation en date du 13 septembre a-t-il fait la présentation de l’hôpital Lucien-Bonnafé, établissement modèle ouvert à Roubaix depuis un peu plus d’un an. Sous le titre « la psychiatrie dans le mur ? », l’équipe de télévision d’Alexandra Riguet met en exergue l’absence de médecins psychiatres et des personnels infirmiers qui se sentent abandonnés. La région Nord est l’une des moins bien dotées en personnels médicaux et la psychiatrie ne fait pas malheureusement exception. A Paris, il y a un psychiatre pour 1 000 habitants. Dans le Pas-de-Calais, un pour 11 000. Et à Cambrai, un pour 32 000. Dans ce contexte, on peut se demander alors, que Nicolas Sarkozy avait fait des déclarations allant dans le sens d’un rééquilibrage de la densité médicale sur le territoire, la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a affirmé dimanche que le gouvernement n’avait pas l’intention de remettre en cause la liberté d’installation des médecins. Certainement pour calmer les membres de la treizième université d’été de la Confédération des syndicats médicaux français devant lesquels elle s’exprimait et dont on sait qu’il représente un lobby important.
Entre polémique, ambiguïté et amalgame...
France 2 Télévision n’est pas en reste et a également décidé de mettre la psychiatrie à la une avec son magazine Complément d’enquête présenté par Benoît Duquesne : « Punir ou guérir : que faire des fous dangereux ? »
Comme le souligne Jean-Paul Garraud, député de Gironde, mais aussi magistrat, dans un article paru dans le quotidien Libération le 14/09/07, il est vrai que « le débat agite les sociologues, les juristes, les "psys", les politiques depuis des décennies ». Mais comme lui répond Emmanuelle Perreux, présidente du syndicat de la magistrature, il convient d’être conscient que « le législateur [français, ndlr] n’a cessé, depuis 2002, de durcir les peines. » Alors que faut-il faire ? Il n’est pas certain que le magazine de la chaîne publique apporte quelques réponses en la matière.
David Pujadas présentateur, au beau milieu JT, suite à la sortie de prison de Martial Leconte condamné pour agression sexuelle avec un bracelet électronique, enchaîne sa présentation sur un sujet autour du débat de la castration chimique et de la castration chirurgicale, puis fait la présentation de l’émission de Benoît Duquesne « à propos de traitement et de politique pénale... ». Encore une fois, on présente sans précaution particulière, avec une ambiguïté manifestement inconsciente, la maladie mentale avec la délinquance.
Faute de moyens : « on livre les patients à eux-mêmes »
Heureusement, l’émission de Benoît Duquesne aura évité de reprendre cette polémique à son compte. Au contraire, il ressort du reportage tant sur l’unité psychiatrique de la prison de Fresnes que sur le centre hospitalier psychiatrique de Clermont-sur-Oise que les professionnels de santé manquent avant tout de moyens pour faire face à la nécessaire prise en charge d’individus qui ne sont pas seulement des délinquants même si certains ont commis des crimes.
Du point de vue de la prison, la problématique est bien posée, en tant que détenus, ils finiront par sortir un jour ou l’autre. Or le Dr Beaurepaire, chef de service du SMPR (service médico-psychologique régional), dresse le constat de la situation de la prise en charge de la santé mentale en milieu carcéral avec une justesse digne de ses compétences de clinicienne. Il n’y a, à la sortie de la prison, aucune solution de prise en charge, on livre les patients à eux-mêmes au risque terrible d’un passage à l’acte et de la récidive que les médias ne manqueront pas de saisir.
Faute de moyens : « L’injonction thérapeutique, c’est une farce ! »
Plus loin dans le reportage, est illustrée la fameuse injonction thérapeutique censée répondre à cette obligation de prise en charge. Seulement voilà, le médecin Jean-Claude Bossard reconnaît que les patients viennent le voir avant tout pour obtenir le certificat d’attestation de suivi médical sans s’engager dans une véritable volonté de soins. Ce qui lui fait dire que « l’injonction thérapeutique, c’est une farce ! » Là aussi, ce qui ressort c’est le manque de coordination, à défaut de disponibilité, entre les différents acteurs : d’un côté, la justice qui pose l’injonction thérapeutique avec le sentiment du devoir accompli et de l’autre côté la médecine qui ne dispose que de pauvres moyens en ce domaine. Roselyne Bachelot le reconnaît elle-même : 150 médecins coordonnateurs pour l’ensemble du territoire national. Face aux questions de Benoît Duquesne, elle rappelle que ce chiffre devrait passer prochainement à 450 sans préciser la difficulté actuelle à recruter des psychiatres, sans parler de la formation.
« Que l’on soigne déjà dans les prisons »
Pour Serge Portelli, vice-président au tribunal de Paris et président de la 12e Chambre correctionnelle [pour rappel, Serge Portelli a écrit un livre Ruptures devant sortir chez Michalon, mais après des rumeurs de censure aura été publié chez L’Harmattan. Ce livre dresse le bilan de Nicolas Sarkozy au ministère de l’Intérieur], l’évolution de la pratique des experts judiciaires et des juges va dans le sens de refuser de plus en plus la qualification d’irresponsabilité pénale conduisant au non-lieu, et cela en raison d’une pression de plus en plus forte des responsables politiques et de l’opinion publique. Pour ce magistrat, la solution ne tient pas tant à créer des hôpitaux prisons que de garantir une prise en charge médicale dès le début de l’incarcération de ces personnes pour lesquelles on a pourtant voulu affirmer la responsabilité pénale mais dont on doit manifestement reconnaître qu’elles nécessitent une prise en charge adaptée.
« On ne juge pas les fous comme l’on jugeait les cochons au Moyen Âge »
Souvenons-nous qu’il y a à peine quelques mois de cela, alors que l’actuel président de la République était encore ministre de l’Intérieur et portait un projet de loi devant les députés sur la prévention de la délinquance, il avait fallu toute la détermination des professionnels de la psychiatrie (que ce soit les médecins psychiatres, les associations de familles, les syndicats de personnels) pour refuser qu’une modification de la loi du 27 juin 1990 édictant les règles en matière d’hospitalisation sous contrainte spécifique à la prise en charge de la maladie mentale ne soit incluse dans le texte fourre-tout sur la prévention de la délinquance. Craignant à quelques semaines une fronde des associations de familles de patients, le gouvernement d’alors avait justement fait marche arrière renonçant de fait à l’amalgame. Aujourd’hui, au sujet du drame du centre hospitalier de Pau, c’est le président de la République lui-même qui commente une décision de justice ouvertement devant les médias en expliquant que le rendu d’un non-lieu dans cette affaire constitue un affront aux victimes. Et dans la foulée d’édicter que les fous doivent pouvoir être jugés comme toute autre individu, omettant un élément du dossier à savoir que si un non-lieu a été rendu c’est suite aux conclusions du parquet faisant lui-même suite à l’avis de multiples experts qui se sont prononcé sur la difficile question du discernement de la personne ayant commis l’acte au moment des faits.
Loin de vouloir ignorer le sort tragique des victimes que nous pouvons tous être potentiellement, il conviendrait de se souvenir que la justice, c’est le contraire de l’émotion et de la loi du talion. Et comme l’expliquait il y peu Dominique Rousseau, professeur de droit et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, il ne faudrait pas retombait dans une logique de lynchage et de vengeance. Or, « le lynchage, c’est l’immédiateté : je prends, je pends. » Concernant la volonté du chef de l’Etat de juger les irresponsables, d’autres s’interrogent de manière dubitative « si ça continue comme ça, on va recommencer à faire des procès d’animaux, comme au Moyen Âge ». Serge Portelli insiste « on ne juge pas les fous comme l’on jugeait les cochons au Moyen Âge ». Cette question de la responsabilité est donc loin d’être tranchée.
L’article 122-1 du Code pénal stipule que "n’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes". Mais le même article précise que, si le discernement n’est qu’"altéré", le jugement est possible. C’est une vieille crainte populaire : "l’excuse" de la folie qui permet d’échapper à la justice. La pression sociale s’exerce sur les experts, qui privilégient l’altération du discernement à son abolition, et les juges, qui hésitent à prononcer un non-lieu. 203 ordonnances de non-lieu ont été rendues par les juges d’instruction, en 2005, au nom de l’irresponsabilité pénale, contre 600 en 1989. Moins d’une centaine correspondent à des crimes. C’est ainsi que beaucoup de personnes au discernement altéré passent en jugement et remplissent les prisons, où près d’un quart des prisonniers - environ 15 000 détenus, dont 4 000 psychotiques - sont des cas psychiatriques et rendent la détention intenable pour eux, leurs codétenus et les surveillants.
On le voit, bien que le reportage tente de montrer la difficulté de la prise en charge médicale de la maladie mentale, nous sommes bien loin de l’appel à la sérénité du Dr Yvan Halimi, président de la Conférence des présidents de CME (commission médicale d’établissement) des centres hospitaliers psychiatriques « notre discipline, actuellement au coeur de l’actualité, est consciente de ses responsabilités »... « la conférence des présidents doit veiller à faire avancer ces questions et les prochaines réformes dans la sérénité, loin des résonances médiatiques, dans un cadre collectif intégrant de façon équilibrée l’ensemble des personnes concernées et en conciliant le respect des libertés individuelles et le légitime souci de sécurité de nos concitoyens » précisant au passage un élément essentiel, que l’on semble volontairement ignorer, « que la quasi-totalité des patients traités en psychiatrie ne présentent pas de dangerosité et ont surtout besoin de soins de qualité ». (source)
On retiendra tout de même la conclusion de la ministre de la Santé, Roselyne Bachelot face aux questions pressantes de Benoît Duquesne sur la perspective d’hospitaliser sans limite dans le temps des ex-détenus dans les hôpitaux prisons suggérés par le président de la République : « en tant que ministre, en tant que professionnelle de santé, en tant que citoyenne, je me refuse à prononcer une sorte de peine définitive ». Sans remettre en cause ouvertement la proposition du chef de l’Etat, Roselyne Bachelot n’en laisse pas moins entendre que cette piste de réflexion ne constitue pas une panacée universelle.
De son côté, Rachida Dati a visité récemment un hôpital fermé aux Pays-Bas
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Voici une petite liste qui, loin d’être exhaustive, permettra de mieux appréhender comment la psychiatrie est mise à l’honneur dans notre actualité. Comme vous le constaterez, c’est rarement pour défendre le travail accompli par les professionnels mais plutôt pour mettre en avant un tableau inquiétant :
Le Figaro dans son édition du 1er septembre revient sur l’affaire Abderrahmen M’Hamed : le patron du supermarché du quartier du Franc-Moisin qui s’était fait agressé pour souligner son hospitalisation en psychiatrie et titre là-dessus comme un fait explicatif. Heureusement, il cite un policier qui précise « ses propres turpitudes n’exonèrent en rien les voyous qui s’en sont pris à lui. » Fallait-il le préciser ?
Toujours Le Figaro dans son édition du 31 août revient sur la situation de la « pédophilie » pour en souligner le manque de moyens mais au passage on met en avant que près d’un quart des condamnés incarcérés dans les prisons françaises sont des délinquants sexuels, fort heureusement tous ne sont pas pédophiles ou violeurs multirécidivistes. On se heurte en France à plusieurs difficultés : le manque de psychiatres formés dans ce domaine très spécifique, le manque de moyens attribués aux rares psychiatres qui acceptent de prendre en charge de manière régulière ces patients, le manque de soutien de la part de la justice. Une des difficultés tient en particulier à la fin de la période d’obligation de soins, lorsque les patients sont suivis en ambulatoire.
Après l’annonce de la création d’hôpitaux prisons pour délinquants sexuels, survenue cet été à la suite de l’affaire Francis Évrard, Le Figaro s’est rendu à l’hôpital psychiatrique Paul-Guiraud de Villejuif (Val-de-Marne), où sont programmées des structures spécialement dédiées aux détenus, surnommés ici les « D 398 ». La psychiatre Christiane de Beaurepaire, chef du service médico-psychologique régional : « ... en psychiatrie, les moyens sont de moins en moins nombreux. Le roulement est rapide. On soigne la maladie mentale comme on soigne une appendicite. » (...) « La confusion est effarante : on ne sait plus ce qui relève de la médecine ou de la justice ».
Présentation de l’émission Jeudi investigation « La Psychiatrie dans le mur ? »
La castration chimique deviendra-t-elle obligatoire ? Métro
Quelques sites :
Ascodocpsy : réseau documentaire en
santé mentale
Association pour la Fondation Ey
Le Syndicat des psychiatres des hôpitaux
Syndicat des psychiatres français / Association française de psychiatrie
Association française des psychiatres d’exercice privé / Syndicat national des psychiatres privés
Coordination nationale des médecins généralistes en psychiatrie
Psychiatrie et violence, un site canadien
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