La marchandisation de la santé
Dans « La guerre des médicaments », un livre dont la sortie en France avait été marquée par un silence assourdissant, le docteur Dirk van Duppen rappelait il y a quelques années combien la logique libérale devient inconciliable avec la première valeur humaine : la vie. La marchandisation de la santé n’a cessé de s’aggraver depuis.
Tandis que les multinationales pharmaceutiques augmentent leurs profits, la liste des assauts contre le système public s’allonge : déremboursement et franchises pour des médicaments indispensables, pénurie de soins pour les travailleurs, baisse générale de la qualité et de la prise en charge des soins et appareils, forfait à la hausse, laxisme sur les dépassement d’honoraires, destruction programmée du service public de l’hôpital, baisse des cotisations pour les entreprises, augmentation pour les travailleurs, encouragement à l’assurance privée, fermeture des hôpitaux de proximité qui étaient pourtant les plus accessibles aux vieux et aux démunis, rentabilisation supposée des autres. Exemple récent : en pleine crise sociale autour du problème des retraites : la chasse aux médecins qui ont pourtant la décence de ne pas faire supporter au patient le prix d’un simple certificat médical. Partout la dictature des marchés progresse.
Alors que le secteur du médicament engendre parmi les profits les plus élevés et les taux de croissance les plus fabuleux et que les laboratoires intensifient leur lutte, pour ce secteur juteux, l’attaque suicidaire contre le public n’a pas cessé : elle est suicidaire car elle sape jusqu’à la simple reproduction de leur force de travail par les travailleurs. Mais il est vrai que le capital peut aller chercher des bras moins chers et plus jeune par les délocalisations. De récentes affaires comme l’exploitation des peurs à l’occasion du virus H1N1 ont montré l’absurdité du système qui réussit tout à la fois à faire porter par la majorité les frais d’entretien du système privé, à réduire le malade au statut de consommateur de soins et le médecin à celui de producteur de prestations semi-subventionnées, et à contribuer à la plus cynique des inégalités : celle qui sépare, par exemple cadres et ouvriers face à la mort. Il suffit à cet égard de comparer le taux de mortalité et l’écart moyen de sept ans d’espérance de vie entre les deux catégories.
L’impératif de rentabilité s’affiche désormais sans masque (et encore, cette pseudo logique est détournée par l’usage sélectif des fonds issus des cotisations des travailleurs qui financent majoritairement notre système de santé pour en retirer une part congrue). Les fameux déficits et "trous" sont devenus à la fois des alibis du biopouvoir et le volant de régulation qui permet à l’État sarkozyen d’ouvrir, parallèlement au sabotage délibéré des normes de solidarité, des brèches - pour ne pas dire des appels d’air- pour le secteur privé. L’alibi de la rentabilité sert ainsi à reporter l’effort sur les plus pauvres en ouvrant de nouveaux secteurs de profit. Assurances privées favorisées par le désengagement public, investisseurs bancaires ou systèmes de prévoyance par capitalisation, cliniques et autres profitent ainsi du véritable détournement de l’investissement qui devrait être destiné à l’élément le plus évident du Bien Public : la santé des citoyens.
La question de la finalité de l’investissement privé se pose, comme celle de son réel intérêt à protéger la santé publique, plutôt que d’entretenir artificiellement une addiction à des médicaments coûteux pour la collectivité et finalement inutile. On voit proliférer la désinformation des compagnies pharmaceutiques sur l’efficacité de leurs médicaments.
Dans des pays comme le Danemark, il existe depuis plus d’un demi-siècle des institutions, telle la fondation Lundbeck qui investissent pour l’avancement de la recherche : celle-ci possède des parts majoritaires dans les laboratoires Lundbeck et commercialise des médicaments pour les problèmes neurologiques ou psychiatriques. Dans un pays de forte tradition social-démocrate, on peut ainsi développer des initiatives pour introduire un minimum de souci du Bien Commun dans la logique de l’investissement. Le modèle à la Lundbeck est peut être à approfondir et s’il n’est pas parfait il mérite qu’on s’y arrête. Une solution dont pourrait s’inspirer notre pays qui se vante d’avoir été parmi les pionniers de l’assurance-maladie. Quitte à imaginer demain des formes de contrôle citoyen par des formes inspirées des mutuelles et coopératives sur les choix exercés en aval sur la production de médicaments.
Car pendant ce temps, restent sur le bord de la route ceux qui ne pourront plus s’offrir ce système à coût croissant : notamment les 14% de citoyens qui ont renoncé aux soins pour des raisons financières. Pendant ce temps les pays du Sud, victimes d’une dramatique géostratégie du médicament sont de plus en plus privés des soins (pendant que la vigilante police de Brice Hortefeux se charge de reconduire ces étrangers qui pourraient bien grever le budget de santé de ces "bons Français" définis par Eric Besson). Plus que jamais la lutte pour une autre société commence par la lutte pour notre simple survie ou notre espérance de vie. Le combat pour l’égalité est devenu la défense de la vie elle-même.
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