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A l’occasion de la Première Journée Internationale pour la Justice Sociale : Regard sur les erreurs de justice dans les couloirs de la mort aux USA

La liberté lui manque, même s’il dit avoir oublié à quoi elle ressemble. Il est incarcéré depuis seize ans dans le couloir de la mort, en Floride aux Etats-unis. La société le voit comme un matricule et un meurtrier. Anthony Mungin, lui ne cesse de crier son innocence, espérant obtenir un nouveau procès équitable, ce qu’il n’avait pu obtenir, faute de moyens pour financer sa défense.
Le nom d’Anthony Mungin pourrait, s’il n’obtient pas de nouveau procès, s’ajouter à la liste de tous ceux exécutés aux USA, non du fait qu’ils sont coupables, mais parce qu’ils n’ont pas eu les moyens de prouver leur innocence.
Alors que la première Journée Mondiale de la Justice Sociale est célébrée ce 20 février, sur une décision de l’Assemblée Générale des Nations Unies, la question demeure plus que jamais d’actualité :
Combien de temps encore la plus grande démocratie du monde continuera-t-elle à faire exécuter en tout impunité des hommes condamnés injustement parce qu’ils ne pouvaient se permettre d’accéder à une défense équitable ?

Il est calme et réfléchi, posé. Il n’a reçu aucune visite depuis un an, lorsque nous nous rencontrons dans la salle de visite du couloir de la mort de Floride, à Raiford : depuis longtemps, Anthony Mungin a été abandonné par sa famille et les visites sont parfois rares. Son temps, Anthony le passe dans sa cellule, à étudier des textes de loi qui pourraient aider son avocat à lui obtenir un nouveau procès.

Anthony Mungin, comme il se dépeint aujourd’hui, n’était pas un ange. Toutefois, il n’a jamais tenté d’éviter les conséquences de ses actions et a avoué immédiatement les erreurs qu’il avait commises : un double braquage à mains armées lorsqu’il avait 24 ans, alors qu’il était sous l’effet de narcotiques. Au cours d’un interrogatoire musclé dans le contexte duquel un interrogateur lui casse un doigt pour le faire avouer un meurtre commis dans le contexte d’un troisième braquage, mais dont il est tout à fait innocent. “Je n’étais pas un ange, dit-il, mais je ne suis pas un meurtrier”.

La Floride est le seul état aux USA qui ne demande pas l’unanimité du jury pour obtenir une condamnation à mort. C’est aussi, inévitablement, l’Etat dans lequel on enregistre le plus grand nombre d’erreurs judiciaires dans les procès de peine capitales. Le 23 février 1993, Anthony Mungin est condamné à mort de justesse par sept voix contre 5, pour le meurtre d’une employée blanche, Betty Jean Woods, dans une station-service. Son affaire est complexe et son avocat commis d’office ne prend pas la peine de mener son enquête. Il ne cherche pas non plus à interroger les témoins et aucun alibi n’est donc présenté au jury. Un témoin oculaire, drogué, alcoolique, certifie par ailleurs devant le jury qu’Anthony Mungin est le meurtrier. Il est ainsi condamné.

Sept ans plus tard, un nouvel avocat et un détective privés reprennent l’enquête et l’approfondissent. Ils retrouvent les témoins qui corroborent ce qu’Anthony a toujours affirmé depuis le début : il était bien en compagnie d’autres personnes au moment du meurtre et non pas sur les lieux du crime. Ils découvrent également que le seul témoin à charge a menti, et pire encore, que ce mensonge a été fait avec la complicité du détective de Police qui a falsifié les déclarations contenues dans le rapport de police afin de prouver la culpabilité d’Anthony Mungin au-delà du doute raisonnable. Ce manque d’éthique malheureusement trop fréquent a déjà fait l’objet de plusieurs scandales en Floride (voir Un coupable idéal, de Jean-Xavier de Lestrade, Oscar du documentaire 2002). En vérité, le seul vrai témoin sur la scène du meurtre (jamais contacté par les services de police, mais retrouvé par le détective privé d’Anthony), est un homme d’affaires respectable. Il témoigne aujourd’hui en faveur de la défense d’ Anthony Mungin qui espère à présent un nouveau procès.
La procédure de justice a également été entachée d’irrégularités. Ainsi, la Cour au moment du procès a demandé au jury de se prononcer sur la culpabilité d’Anthony Mungin inculpé de meurtre avec préméditation quand la Cour Suprême de Floride a statué par la suite que la préméditation ne pouvait pas être un chef d’inculpation dans cette affaire. La condamnation à mort d’Anthony Mungin ne repose donc plus que sur une circonstance aggravante : le vol ou la tentative de vol à main armée. Pourtant, Anthony n’avait même pas été inculpé de vol à main armée dans cette affaire. Le jury a ainsi été amené à condamner Anthony à mort sur des motifs qui n’auraient jamais dû être présentés. Un élément que seul un juge de la Cour Suprême de Floride pour le moment a dénoncé.

 “Cela fait mal, d’être considéré comme un meurtrier, une chose, pas même un être humain, dit Anthony Mungin. J’aimerais pouvoir arrêter les gens, leur dire : Hé ! Vous avez tort, je ne suis pas un meurtrier, voilà ce qui m’est arrivé. Et ensuite de leur montrer étape par étape ce qui se passe dans un procès lorsque le Procureur est déterminé à gagner à n’importe quel prix. J’aimerais pouvoir leur montrer comment ma famille m’a abandonné. J’aimerais pouvoir verser mon coeur dans le leur pour qu’ils puissent se rendre compte de ce que c’est réellement d’avoir le coeur brisé. Non seulement cela, mais j’aimerais aussi leur faire sentir ce que c’est réellement, de se lever tôt chaque matin dans le couloir de la mort, de sentir le béton froid sous ses pieds, d’avoir des barres noires en acier pour tout horizon, en sachant pertinemment que vous ne devriez pas être là. Je ne peux expliquer ce sentiment dans aucun langage, parce qu’il n’y a pas de mots qui puissent décrire cela”.

Combien donc demeurent aujourd’hui dans les couloirs de la mort faute d’avoir eu accès à une représentation légale adéquate ? Des estimations difficiles à confirmer, feraient état d’un taux de 5 à 9 % d’erreurs judiciaires aux USA. Un chiffre contesté, en vérité impossible à établir. Certains avancent un chiffre qui pourrait aller jusqu’à 16% dans les dossiers de peine capitale. Serait-il donc possible qu’aujourd’hui 500 innocents soient aujourd’hui ainsi condamnés à mort aux USA ?
Un aumônier du couloir de la mort à Huntsville au Texas, qui a suivi 95 condamnés à mort jusqu’à leur exécution demeure persuadé que 15 d’entre eux étaient innocents. Il a ainsi enregistré chacun d’eux avant leur exécution sur des cassettes, qui font l’objet aujourd’hui d’un documentaire sulfureux aux USA (At the Death House door, 2008).

Anthony Mungin fait partie de ceux qui refusent de baisser les bras. Car avec la souffrance, vient aussi la rage. “Cette rage met le feu en moi, me donne la force de me battre. Bien que je ne puisse me rappeler ce qu’est la liberté, je me bats pour elle. Je me bats pour l’espoir d’être un jour libre à nouveau, parce que cette liberté n’a pas de prix ».
Alors que certains entrent dans le couloir de la mort sain d’esprit et, par manque de contact avec l’extérieur, perdent la raison, Anthony Mungin a décidé de lutter jusqu’au bout : contre la folie, contre la violence physique et verbale des gardiens, contre l’injustice. "Chaque jour, j’établis une liste de choses que je dois faire, je me fixe des objectifs. Et même si certains jours sont très durs et très difficiles, j’essaie de vivre chaque jour comme si j’étais libre, comme si j’étais dehors. Je sais que je ne suis pas un tueur, et je refuse de les autoriser à me montrer comme un tueur. Je refuse d’être faible, je ne les autoriserai pas à tuer mon esprit. Alors chaque jour, je lutte pour prouver mon innocence".

Au cours des années qui ont suivi son procès, il a travaillé jour et nuit pour comprendre la loi et reprendre son dossier. Il a refusé de se laisser défendre par les avocats publics commis d’office pour les indigents, des avocats qui ne montrent aucun intérêt pour son dossier. Il en a refusé trois. Il est parvenu à rassembler autour de lui une nouvelle famille : tous ceux autour du monde qui croient en son histoire, et qui l’aident à financer sa défense. Une tâche presque impossible lorsqu’on connaît les frais exorbitants des avocats et des détectives privés aux Etats-unis. Une tâche pourtant à laquelle tente chaque jour de s’employer l’association de soutien Save Anthony (www.save-anthony.com) en charge de lever des fonds pour sa défense. Elle lance ainsi un appel à l’aide à la communauté internationale : « C’est un combat pour l’injustice qui dépasse les frontières. Nous faisons appel à tous ceux qui sont sensibles à la question de la justice. Pour nous, une injustice faite à l’un est une injustice faite à tous. Et si les Etats-Unis refusent d’accorder une justice équitable aux personnes les plus pauvres de leurs pays, cela devient un devoir simplement moral, humain, de se mobiliser pour tenter de sauver des innocents. Nous avons besoin de rallier le plus grand nombre pour qu’Anthony Mungin obtienne un nouveau procès ».

Lorsqu’on demande à Anthony Mungin , ce qu’il aimerait dire à tous ceux qui l’écoutent, il répond quant à lui :
Je n’ai jamais laissé les expériences négatives détruire ma croyance qu’il y ait des gens dans le monde libre qui voudraient bien m’aider. Je ne peux pas y arriver tout seul. Je ne peux pas changer ce que pensent les gens sur le fait que j’ai été condamné à mort, mais j’ai parfois espoir que quelqu’un entendrait Anthony. Peut-être quelqu’un sera assez curieux pour regarder mon histoire et vérifier mon innocence. Car je ne veux pas faire croire simplement aux gens que je suis innocent. Je veux leur montrer que je suis innocent. » *

Le 16 août 2007, Anthony a déposé un nouveau dossier solide comportant de nombreuses preuves et de nouveaux témoins qui devraient l’innocenter. La Cour doit à présent statuer sur l’obtention d’un nouveau procès. Dix-huit mois plus tard, il attend toujours une réponse. Un répit que l’Association Save Anthony, en charge de sa défense, tente d’utiliser au mieux pour lever les fonds afin de pouvoir continuer à lui financer un avocat privé, le seul moyen sérieux de lui garantir un procès équitable (pour tout détail ou contact, consulter le site www.save-anthony.com ou [email protected]).

Anthony Mungin 288322 (en anglais uniquement)
Union Correctional Institution P5128S
7819 NW228th street
32026-4450 Raiford, Florida, USA



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3 réactions à cet article    


  • Louisiane 19 février 2009 14:10

    Bon papier qui pose bien des questions.
    Ce n’est malheureusement pas le premier cas de la sorte et cela a poussé certains états à mettre en place un moratoire des exécutions, tant le doute est permis dans de nombreuses affaires.
    Le fait que l’inculpé doive se payer un avocat et que les avocats commis d’office ne fassent pas leur boulot correctement établit également un doute sur la qualité de la justice outre atlantique.
    De plus, il s’agit d’un noir, communauté statistiquement la plus nombreuse dans les prisons car, quoi qu’on en dise, le racisme le plus bas est toujours présent dans ce beau pays "démocratique".
    Le soucis d’une justice pour riche et une pour pauvre semble se poser en France avec la suppression annoncée du juge d’instruction.
    Il est assez ahurissant de constater qu’on est toujours prompt à prendre les exemples chez nos voisins sans en regarder d’abord les travers.
    La Cour doit statuer sur la possibilité d’un nouveau procés. Que se passera-t-il si elle refuse ?
    La démocratie ne se juge pas au nombre de bulletins de vote mais à la qualité de ce que l’Etat fait ou ne fait pas pour ses citoyens, quelque soient leur race, couleur ou confession.
    En ce sens, la "justice" qui a condamné cet homme dans les conditions énumérées dans ce texte laisse un doute profond sur la démocratie Etasunienne.
    Il reste à souhaiter que ce modèle ne soit pas reproduit.


    • Bobby Bobby 19 février 2009 20:06

      Bonsoir,

      Bien bon article et commentaire !


    • chmoll chmoll 20 février 2009 12:04

      des condamné (es) a mort, executé(es),plus on s’apercoit quils étaient innocents grace au test ADN

      ça a vous donner froid dans l’dots !!!!


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