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A quoi sert l’Art ? Y aura-t-il encore des chefs-d’œuvre ?

Sous une apparente simplicité, la question du rôle de l’Art se dévoile comme étant difficile, pour ne pas dire redoutable. C’est que l’Art ne se laisse pas encadrer dans une définition univoque.

L’Art est une production humaine. Tout le monde peut citer des œuvres d’art considérées comme telles parce qu’un large consensus d’amateurs et professeurs en a décidé ainsi. Du moins, à une époque assez récente, mais révolue. Disons, pendant l’ère graphosphérique pour reprendre la tripartition de Régis Debray. Car, à partir de 1960, l’ère vidéosphérique prend son essor et ses libéralités pour dire qui est artiste et même rendre célèbres des personnalités qui, dans les temps anciens, n’auraient pas été répertoriés parmi les créateurs d’Art.

Tout art est le fruit d’une technique pratiquée par un individu ou plusieurs, comme par exemple l’opéra, la musique symphonique, le théâtre, le cinéma, l’architecture, le rock. Mais toute technique n’est pas forcément productrice d’œuvres d’art, même si les jeux sémantiques, ancrés dans les vieilles étymologies, tendent à confondre art et technique. Ainsi le pont suspendu, ouvrage d’art, ou le souffleur de verre, artisan parmi tant d’autres et notamment cet artisan boulanger qui, tous les matins, fabrique ses baguettes qui n’ont rien d’une œuvre d’art, sauf s’il s’amuse à dessiner un Modigliani sur la miche de pain. Il paraît raisonnable dans ce contexte de définir l’art autant en observant la technique utilisée, en analysant la forme de l’œuvre, qu’en essayant de comprendre le pourquoi de l’art. Autrement dit, quel est le but recherché par l’artiste, quel désir cherche-t-il à satisfaire ? Et ce, doublement, un désir personnel, lié au plaisir et à la conscience qu’il a de son travail d’artiste ; mais aussi l’intention de répondre à une demande, de satisfaire un désir d’œuvre auprès d’un commanditaire, voire d’un public d’amateurs. L’analyse de la forme renvoie aux causes formelle aristotélicienne alors que le but recherché renvoie aux causes finales. Quant au reste, il est question de technique, d’exécution, et donc des deux autres causes, matérielle et efficiente, du même Aristote.

Il existe donc deux approches, complémentaires, mais différentes, permettant de définir l’Art à travers ses œuvres et les effets produits qui, en règle générale, sont recherchés et voulus par l’artiste. Et, si on cherche bien à travers l’Histoire, on trouvera plusieurs types d’Art en analysant autant les formes qu’en recherchant les finalités visées à travers le contexte social dans ses pratiques esthétiques. Sans vouloir trop simplifier, il est admis qu’avant la Renaissance l’art était souvent un instrument au service du sacré et du religieux. Ce qui n’empêche pas qu’il ait eu aussi très tôt un usage décoratif, dans des demeures privées ou des édifices publics. A partir de la Renaissance, l’art prend un tournant profane et anthropologique correspondant à la venue de l’humanisme. C’est l’homme qui devient le thème ainsi que la raison de l’œuvre. En 1550, Vasari publie ses Vies d’artistes en empruntant à quatre genres de littérature artistique antique. C’est le premier ouvrage de ce genre, basé sur un siècle d’expériences nouvelles en Italie. 1550, une époque-clé pour la Modernité, contemporaine de Luther et Machiavel, avec une nouvelle conscience. Ce livre est loin d’épuiser l’analyse et le concept que l’on se fait de l’art, des artistes, mais il marque une étape importante de prise de conscience qu’une fonction nouvelle émerge, l’Art. Comme du reste la science ne tardera pas à émerger. L’art représente et pour ainsi dire, cherche des accords, soit avec la nature, soit avec les sujets. L’art accorde la représentation à un visage, un regard. Saisissant ces portraits de la Renaissance. On dirait qu’ils sont animés, bien plus qu’une photographie contemporaine. La science, peut-on dire qu’elle accorde ou alors qu’elle ajuste, terme plus technique, le formalisme à la nature. L’art se veut plus libre et ouvert, bien qu’étant encadré par des règles de composition assez contraignante. Poursuivons le parallèle. La science a pour rôle d’avoir des choses naturelles ainsi que la possibilité d’opérer sur le monde et de le mettre à notre service. Et l’art ? Il ne sert guère à transformer le monde naturel, mais il exerce un effet indéniable sur le sujet, sur sa conscience, son esprit. L’art donne à penser, mais aussi il éblouit quand il conduit vers les émotions esthétiques, parfois sublimes, souvent belles, du moins à une époque. Un ravissement pour l’âme.

L’art fut pendant des siècles un dispositif de production d’œuvre et à travers leur réception, de communion. Dans le sens, mettre en commun, partager des émotions, un ravissement, un plaisir pour l’esprit, mais aussi du sens et du symbole transmis par une œuvre parlant à l’esprit. La grande période de l’Art se situe entre 1850 et 1950. Les conditions étaient réunies pour qu’un nombre considérable de chef-d’œuvres soient créés. Etaient réunis à la fois les conditions matérielles permettant aux artistes de créer, représenter et les conditions spirituelles, autrement dit un véritable goût pour l’art et une aptitude à connaître les œuvres, les apprécier, les analyser. Mais il ne faut pas se leurrer, l’art était une pratique élitaire. Dans les couches sociales moins élevées, une certaine forme d’art se pratiquait, relevant du loisir, du jeu, du folklore et obéissant à ce que Sénèque nommait otium ; terme connoté positivement désignant la pratique d’une activité pour occuper « intelligemment » son temps libre. Expression toute trouvée puisque selon Sénèque, l’otium appartient en propre à l’homme libre, celui qui dispose d’un temps libre et en prend conscience. Peut-on dire de l’art qu’il est un passe-temps élevé à la puissance de la transcendance ? Ou alors que le passe-temps est un art joué sur un mode mineur et prosaïque ?

Autour de 1960, on assiste sans doute à une inflexion des sociétés sous l’impact des nouveaux modes de vie, rapports sociaux, usages médiatiques. L’art semble décliner au moment où il tente de se « démocratiser » avec, en France, ces maisons de la culture promues par Malraux et souvent décriées par les « paysans » qui n’y voyaient aucun intérêt et les esthètes puristes décelant le développement d’une sous-culture. Mais le coup le plus fatal porté à l’art fut asséné par un double dispositif fait d’une connivence entre les médias et la marchandisation. L’art dévoyé par les nouvelles pratiques. Les œuvres servant de placements financiers alors que de prestigieuses toiles sont séquestrées dans les coffres bancaires. Du côté des masses, les artistes sont confondus avec les stars et la culture se mange dans les musées. Mais l’art résiste. L’essentiel est invisible. L’art subit une sorte de déperdition lorsqu’il transite par les médias audiovisuels. C’est évident. De plus, les œuvres se banalisent lorsqu’elles sont présentées à travers ces supports d’informations. Tout se nivelle et devient objet de consommation. Mais tant qu’il y aura des connaisseurs, des amateurs, des professeurs, des interprètes, l’art continuera à être apprécié, chacun y trouvant ce qu’il cherche ou mieux encore, ce qu’il ne cherche pas. Car l’art se prête à une aventure, un voyage, une expérience de l’esprit, ouvrant la conscience vers un autre univers, décalé par rapport au monde de la quotidienneté. Les étapes de ce voyage sont pratiquement illimitées. A entendre dans le rapport entre le nombre d’œuvres et la durée d’une existence forcément limitée.

Y aura-t-il des chef-d’œuvres dans les prochaines décennies ? Ou alors des imitations, des copies, des bricolages conceptuels ? La question se pose. Il n’y a pas de réponse, mais le fait de poser cette question indique la période où on se situe. Quand Hegel disait que l’art est du passé, il ne pensait pas à une extinction des œuvres futures, mais à une autre place de l’art dans la société. Qu’il ait eu raison ou tort, peu importe. Son avis était plus une question qu’une réponse. Maintenant, la place de l’art est certifiée, comme elle le fut il y a un siècle. Mais cette fois, il se peut bien qu’une prochaine extinction de la création se dessine. C’est assez étrange cette idée, pas forcément inquiétante car le monde continue son manège et tant qu’il y aura de la technique et de l’énergie, il se trouvera quelques comédiens, musiciens, peintres, pour exécuter des œuvres.


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11 réactions à cet article    


  • TSS 9 mai 2008 13:49

    qu’est ce que vous y connaissez en art ?


    • Internaute Internaute 10 mai 2008 08:55

      Peut-être vouliez-vous poser un point d’exclamation à la place du point d’interrogation.


    • Internaute Internaute 10 mai 2008 09:18

      L’ère de l’art a été remplacée par l’ère industrielle. L’art est mort et il n’y a pas de marche arrière possible. Tant qu’il n’est pas pratiqué dans la vie courante il devient une langue morte, comme le latin.

      Jusqu’à l’ère industrielle, l’art était une activité économique trés importante dans la société. Tout le monde en faisait, de la paysanne bretonne qui faisait sa dentelle avec goût jusqu’aux artistes renommés qui avaient la reconnaissance des riches et des puissants. Pendant des siècles, Moscou a vécu principalement de la fabrication artisanale d’objets d’art en argent repoussé.

      On ne peut pas parler de démocratisation de l’art car au contraire il s’est agi d’une concentration de la production artistique dans des cercles de plus en plus restreints. L’auteur parle trés justement de l’otium. Il est vrai que dans les familles aisées, jusqu’à la première guerre mondiale, les enfants étaient éduqués dans l’art du théatre, du dessin et de la musique. Les plus pauvres recevaient cette culture à l’école. Au sommet de l’échelle sociale Marie-Antoinette avait son petit théâtre à elle. Imaginez-vous Sarkozy invitant les notables européens à regarder à l’Elysée une pièce jouée par Carla Bruni ?

      L’industrialisation oblige la société à supporter des contraintes économiques qui poussent à la baisse des coûts et à l’optimisation permanente des moyens de production. Les premières machines avaient des roues aux barreaux sculptés. Assez vite on est passé aux placages en fonte ou en tôle de décorations du style art-déco, comme lors de la création des stations de métro à Paris. Puis toute décoration a disparu, le fer plat et les plaques de verre rectangulaires devenant la règle partout. Ainsi, quoi qu’on en dise, la pyramide du Louvre construite comme n’importe qu’elle verrière de hangar industriel est intéressante sur le plan de la prouesse technique et de sa fonctionalité mais ne peut pas être qualifiée d’oeuvre d’art.

      Les moeurs ont changé, l’art n’attire plus les foules et c’est dommage. Malgré la quantité de gens qui pourraient se les payer, les services de table des cristalleries de Baccarat ne se vendent plus et elles ont dû licencier une partie du personnel. Il n’y a pas si longtemps on les trouvait sur la table su Shah d’Iran.

       


    • italiasempre 9 mai 2008 15:31

      bonjour Bernard,

      Je trouve votre article interessant mais , pourriez-vous m’expliquer "La grande période de l’Art se situe entre 1850 et 1950" ?

       


      • Rosemarie Fanfan1204 9 mai 2008 21:09

        Italiasempre, Bernard a choisi votre avatar pour illustrer son billet ??


      • Pierre de Vienne Pierre Gangloff 9 mai 2008 16:07

        Je n’arrive pas, à vous lire, à savoir ce qui a motivé l’écriture de ce papier ; Peut être que je ressens ici plus particulièrement, cette mélancolie, ce ton désabusé qui fait la teneur de vos articles publiés sur AV.

        Deux éléments ont pourtant retenu mon attention, en dehors du fait de cette lamentation sur « c’était mieux avant » qui constitue la trame de votre texte.

        • Otium, oui aujourd’hui dans une civilisation plus tournée vers le loisir, la pratique d’une activité artistique est souvent assimilée a un simple divertissement, quelques codes techniques à apprendre, et le nivellement que cela produit dans les esprits, la musique peut se multiplier sur l’ordinateur, la peinture abstraite c’est facile, ect....

        • Vous situez ce qui ressemblerait à un age d’or les décennies 1850 -1950 : production de chefs-d’oeuvres, grande période de l’art. Ne croyez vous pas que cette vision n’est pas celle de quelqu’un qui n’a tout simplement pas le recul necessaire pour juger de la production d’oeuvres dignes d’intêret ? Une cinquantaine d’année c’est peu, (Vermeer est redécouvert au début du vingtième siècle, De la Tour aussi ..) la pérénité d’une oeuvre est une aventure fragile, les goûts changent, les intérêts aussi.

        Les artistes le sont parce qu’ils ne sont jamais là où on les espère, la vie reste une surprise.

        Sinon, continuez à nous écrire, c’est malgré le ton sarcastique et fatigué, les contributions les plus intérréssantes sur AV.

        Cordialement, PG.


        • sisyphe sisyphe 9 mai 2008 17:23

          La question se pose. Il n’y a pas de réponse, mais le fait de poser cette question indique la période où on se situe. Quand Hegel disait que l’art est du passé, il ne pensait pas à une extinction des œuvres futures, mais à une autre place de l’art dans la société. Qu’il ait eu raison ou tort, peu importe. Son avis était plus une question qu’une réponse.

           

          C’est une très bonne question. Je vous remercie del’avoir posée.


          • prince2phore prince2phore 9 mai 2008 18:05

            Vaste sujet s’il en est.

            Prenez GTA IV qui vient de sortir, à n’en pas douter une oeuvre colossale, techniquement, artistiquement, politiquement...

            Combien de temps avant qu’elle soit reconnu à sa juste valeur ?

            L’art est là où on veut bien l’y voir. je préfère parler d’originalité pour ma part, moins ambigü je trouve...


            • Lisa SION 2 Lisa SION 15 mai 2008 19:15
               
               
              Je joins pour étayer ma contribution, ce texte écrit par François Meurisse, de libé.fr

              Terreur ». L’an dernier le député « chaviste » Ismael García affirmait : « Le gouvernement des Etats-Unis sait comment préparer des campagnes de terreur psychologique pour préparer l’opinion publique. » Et ce printemps, c’est Bono, le leader de U2, qui est pris à partie et appelé à la rescousse pour empêcher la sortie du jeu. Pourquoi lui ? Car c’est l’un des dirigeants du fonds Elevation Partners, qui a investi 300 millions de dollars dans les studios Pandemic à l’origine du jeu. « Nous nous préoccupons énormément du fait que ce jeu ne peut qu’inévitablement accroître les tensions déjà existantes entre les Etats-Unis et le Venezuela. Pandemic Studios a fabriqué un jeu d’entraînement similaire pour l’armée américaine », s’émeuvent des leaders religieux américains dans une lettre ouverte au défenseur des causes généreuses en Afrique.

              Sur le site officiel du jeu (www.mercs2.com), Pandemic assure « être dans le business du loisir » et n’avoir « jamais été contacté par aucune agence du gouvernement américain pour le développement de Mercenaries 2. Toutes les personnes, histoires et événements sont fictifs ». Mais ce qu’étrangement on ne trouve plus sur le site, c’est une image extraite du jeu et abondamment commentée par le mouvement anti- Mercenaries. On y voyait une avenue imaginaire de Caracas à feu et à sang, mêlant nombre de bâtiments symboliques de la capitale et surtout le siège de PDVSA, le géant national pétrolier. Une entreprise qui tente, depuis l’arrivée de Chávez au pouvoir, de réduire sa dépendance à la demande américaine en or noir.

              C’est vous dire l’impact sous-jaçant contenu dans de subtils jeux subliminaux... !

              Bien sûr, un jeu vidéo peut être une magnifique oeuvre d’art, mais selon le message qu’il transmet.

               


            • Aafrit Aafrit 9 mai 2008 20:12

              Bonne question, l’art n’est plus depuis que l’homme a perdu le sens..des oeuvres à consommer mais pas à apprecier ; l’artiste echange ses oeuvres avec du sous de ceux qui veulent se distinguer, frimer voire les revendre quand c’est opportun, sans pour autant avoir à connaitre quelque chose dans l’art, il peut trouve des clients pire que lui qui les rachetent plus cher..

              Beaucoup de gens comptaient sur l’art pour appréhender le réel loin de l’impérialisme conceptuel, loin des apories philosophiques, d’autres lui pretaient ce coté refractaire qui doit surgir un jour ou l’autre, defiant par là l’emprise du systeme, le féroce résistant face à l’aliénation..

              On parle du lard, bon appétit

               


              • JJ il muratore JJ il muratore 17 septembre 2008 16:02

                à société unifiée art unifié (classique) si non pompier. A société éclatée, mozaïque art éclaté, segmenté en une multitude de styles donc de publics. Plus nos sociétés contemporaines seront segmentées plus l’art dans ses multiples formes,sera invisible, ou du moins exclusivement visible pour la tribu à qui il s’adresse.

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