Comme bayonnais, je vis depuis mon enfance cette opposition entre « Biarritz la bourgeoise » et « Bayonne la populaire ». Et cette opposition a un sommet bi-annuel, la rencontre entre notre Aviron et le BO, depuis que Bayonne a retrouvé les chemins de l’élite du rugby national. Ces rencontres ont une saveur et une tension particulières, l’équivalent d’un PSG-OM dans le football, à la différence près que les deux clubs sont distants d’à peine quelques kilomètres. Il y a quelques années, des supporters taquins de l’Aviron, la veille d’un derby chez les voisins, avaient malicieusement dérobé le Y du logo du stade biarrot, le transformant temporairement en Biarritz Olympique Pa(y)s Basque.
Ceux qui n’ont pas baigné dans cette ambiance depuis leur enfance pourraient se dire qu’il y a plus de sens à fusionner les deux clubs car il ne serait pas possible d’avoir deux clubs du Pays Basque bien placés dans l’élite, que le seul moyen d’être en haut du tableau, c’est la fusion, pour pouvoir rivaliser avec Toulouse, Toulon ou les clubs parisiens. Mais la question de la taille n’est pas tout. Serge Blanco y voit sans doute aussi la seule bouée de sauvetage pour son club, au bord du nauffrage, sportif comme économique, qui pourrait bien descendre de deux divisions l’an prochain, puisqu’il est la lanterne rouge du Top 14 et que ses comptes aussi seraient largement dans le rouge.
Quand les finances veulent tuer la culture
Ce projet, monstre du Loch Ness de la région, a trois vices majeurs. D’abord, on peut douter de sa réussite : après tout, bien des fusions échouent et personne ne peut garantir que celle des deux meilleurs ennemis du Top 14 fonctionnera. D’innombrables problèmes se posent et
la grande majorité des supporters bayonnais y sont radicalement opposés. Ensuite, si on suit cette logique, pourquoi ne pas fusionner avec Bordeaux et faire un club d’Aquitaine, tant qu’on y est ? Mais surtout, je conteste fondamentalement ce raisonnement qui revient à dire que les traditions doivent pouvoir être sacrifiées du jour au lendemain sur l’autel de la logique économique. Pourquoi faudrait-il rayer plus d’un siècle d’histoire locale sur l’autel des intérêts bien compris de Serge Blanco et d’une vision du rugby qui n’a plus rien à voir avec son esprit ?
Car l’Aviron Bayonnais existe depuis plus de 100 ans. Les supporters ont soutenu le club quand il était en Pro-D2. Ils le soutiennent dans la défaite, dans la difficulté, comme dans la victoire. Des générations se sont transmises cet amour du maillot bleu et blanc. Et là, du jour au lendemain, parce que Serge Blanco voit son club au bord du précipice et parce
qu’Alain Afflelou voulait imposer la seule loi de l’argent par un oukase, des dizaines de milliers de personnes devraient se défaire d’une partie de leur identité ? Cette logique est totalement délétère. Ce projet relève de la matraitance culturelle pour ceux qui sont attachés à leurs clubs depuis si longtemps. Tout ne peut pas se décider sur des critères financiers.
Un club de rugby, c’est aussi une entreprise, mais ce n’est pas que cela. C’est une partie de l’identité des personnes qui le soutiennent, surtout quand il existe depuis aussi longtemps. On ne devrait pas prendre autant à la légère les supporters que ne le fait Alain Afflelou quand il a dit que ce rassemblement «
serait fabuleux parce qu’on aurait une autre dimension et un autre public » ! J’ai beau parlé beaucoup (trop ?) d’économie, comment ne pas comprendre que le monde ne peut pas uniquement tourner en fonction de l’argent. La culture, la tradition, l’identité sont des choses qui dépassent de très loin les seules questions économiques. Et c’est cela qui fait que nous sommes des hommes.
Une question philosophique
Même si comparaison n’est pas toujours raison, ce projet rentre dans la liste des projets qui demandent à l’homme de s’adapter à l’économie, alors que cela devrait être l’inverse. C’est comme
quand on propose d’imposer l’anglais comme lingua franca du monde. C’est comme quand on dit aux chômeurs qu’il leur suffit de partir ailleurs pour trouver un travail, en oubliant complètement que cela peut les arracher à leur famille, leurs racines, leurs amis. Même s’il faut bien sûr savoir faire des efforts, ce n’est pas à l’homme de constamment devoir s’adapter pour entrer dans le cadre économique. C’est à l’homme et à ses dirigeants de trouver un moyen d’adapter les contraintes à l’humanité, sinon nous risquons de revenir sur des siècles de progrès dans la condition de l’homme,
comme on le voit bien en Grèce.
De nombreux auteurs comme
Jean-Claude Michéa ou
Jacques Généreux analysent ce déracinement que veut imposer en permanence le monde moderne aux hommes. Parce que les hommes ne se conforment pas aux équations néolibérales, alors il faut les refaçonner. Et quoi de mieux pour le faire que de les couper de toutes leurs traditions antérieures ? Nous étions attachés à notre nation, à notre département, à notre ville ? Désormais, il faudrait s’identifier à l’Europe, à la région et à la communauté de communes. Vous comprenez, avoir 36 000 communes, ce ne serait pas rationnel… Pourtant, c’est l’empilement des nouvelles structures qui a fait exploser la facture. En outre, elles se construisent contre les anciennes (d
’où la charte des langues régionales venues d’Europe). En fait, il serait bien plus simple de se contenter des anciennes structures, qui fonctionnaient très bien…
Voilà pourquoi, par delà le fait que je suis de Bayonne, je pense qu’un tel projet serait une calamité. Encore une fois, l’aspect humain est totalement oublié par des dirigeants qui jouent au Monopoly. Tout ne doit pas être décidé en fonction de l’aspect économique. Les traditions peuvent ne pas avoir de prix.