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Accueil du site > Actualités > Société > Ce dont la nation est ou n’est pas le partage : parlons-en

Ce dont la nation est ou n’est pas le partage : parlons-en

 Tous les titulaires d'une nationalité le sont, de droit, pleinement et autant les uns que les autres. Ce dont cette nation est le partage, est alors toujours, au moins un ensemble de droits et devoirs égaux : avoir jusqu'à sa mort le droit de résider sur le territoire national ; avoir un accès égal à ses espaces publics, aux services de l’État ; devoir également respecter les lois ; devoir également payer les impôts en fonction de sa richesse ; participer également au pouvoir politique en tant que citoyens...
     
 Les membres de la société ont alors un choix irréductiblement collectif à faire, choix qui s'imposera à tous quel qu'il soit ; choix qui sera donc légitime, quel qu'il soit, dès lors qu'il est voulu par la majorité des membres de la société, et est fait dans un esprit de recherche du bien commun et de respect des libertés individuelles.

 Ou bien les membres de la nation décident de ne rien partager de plus que ces droits et devoirs, cette nationalité juridique ; ou bien au contraire ils décident de gérer l’État et les lois de telle manière que cela leur permette de partager plus que du juridique : un projet de vie commune.

 Vivre dans une société qui a un projet de vie commune, c'est à dire le projet de satisfaire un certain nombre de critères scientifiques de cohésion, comme le fait de partager de mêmes codes de politesse et formes de sociabilité, le fait de s'admettre sans distinction d'origine dans les intimités les uns des autres, se mélanger sans distinction d'origine dans de mêmes groupes d'amis, lieux d'habitation, couples qui font des enfants. Le projet de partager ainsi, de manière générale, une ascendance à peu près commune et une descendance pleinement commune, de conserver un héritage culturel commun, propre aux membres passés de la société, et de faire vivre une culture actuelle commune, propre aux membres présents de la société. Ou encore, le projet que les membres de la société sachent parfois penser, non pas seulement à leur bien propre ou à celui d'un groupe particulier auquel ils appartiennent, mais aussi au bien commun de toute la société...

 Lorsque les membres d'une même nation préfèrent ne partager qu'un minimum juridique, cela n'empêche pas qu'ils soient alors aussi engagés vis-à-vis d'un groupe particulier de la société, dans un projet de vie commune. Car la plupart des gens sentent le besoin d'appartenir à un groupe de gens partageant un projet de vie commune. La nation comprend donc alors, plusieurs groupes ayant chacun leur projet de vie commune, et étant assez fermés les uns aux autres, du point de vue voisinage, groupes d'amis, mariage. Le peuple de cette nation est lui aussi, une pure entité juridique.

 Mais lorsqu'au contraire les membres d'une même nation veulent partager un projet de vie commune, et veulent que l’État et les lois soutiennent cette volonté (dans le respect des libertés), ils finissent par identifier leur nation au groupe de gens avec lesquels ils ont un projet de vie commune ; ce dont leur nation est le partage, n'est plus alors seulement à leurs yeux, un ensemble de choses juridiques, c'est aussi un projet de vie commune. Le peuple de cette nation prend alors d'autres dimensions que juridiques : disons affectives, filiales (comme dans l'origine étymologique du mot patrie), culturelles...

 Aujourd'hui on peut sentir et même observer scientifiquement (comme l'ont fait plusieurs sociologues : Guilluy, Donzelot, Tribalat), que la société française est en train de se séparer en groupes assez fermés les uns aux autres. Ce dont la nation est le partage est en train de se réduire à des choses juridiques, disons une carte d'identité, un bulletin de vote et une feuille d'impôts.

 S'ensuivent alors sentiments d'exclusion ou d'envahissements, incompréhensions profondes de la moralité de l'autre et de la manière dont il est éduqué, regards de travers et violences, méfiance, difficulté de faire au niveau de la société une éducation commune (difficulté de se mettre d'accord sur cette éducation, et qu'elle soit adaptée aux différentes éducations familiales), désertification affective des espaces publics (sous l'effet du peu de choses partagées et de la violence), relations froides (dans le monde du travail, les lieux publics), car entre gens qui savent qu'ils gardent les uns envers les autres, porte close sur leur intimité, et ne se reconnaissent plus vraiment un bien qui leur est commun...

 Risque aussi de s'ensuivre une partition de l'espace de débat démocratique en groupes se préoccupant chacun surtout de son bien propre, mais ne se préoccupant plus beaucoup d'un bien commun à tous les membres de la société : ce qui ne serait peut-être pas bon pour la vie démocratique, comme le disait Rousseau dans son Contrat social (livre II, chapitre 3) : « Si, quand le peuple suffisamment informé délibère, les citoyens n’avaient aucune communication entre eux, du grand nombre de petites différences résulterait toujours la volonté générale, et la délibération serait toujours bonne. Mais quand il se fait des brigues, des associations partielles aux dépens de la grande, la volonté de chacune de ces associations devient générale par rapport à ses membres, et particulière par rapport à l’État : on peut dire alors qu’il n’y a plus autant de votants que d’hommes, mais seulement autant que d’associations. Les différences deviennent moins nombreuses et donnent un résultat moins général. Enfin quand une de ces associations est si grande qu’elle l’emporte sur toutes les autres, vous n’avez plus pour résultat une somme de petites différences, mais une différence unique ; alors il n’y a plus de volonté générale, et l’avis qui l’emporte n’est qu’un avis particulier. »

 Heureusement, dans chacun de ces groupes de la société française qui se séparent, on trouve des gens dont les engagements politiques vont, avec de bonnes intentions, vers les membres de cette société qui ne sont pas de leur groupe, cherchent à faire revivre un projet de vie commune à l'échelle de la nation. Mais malgré toute cette bonne volonté qui les anime, ces engagements ont parfois des incohérences ou maladresses, qui peuvent parfois être vexantes pour certains de ceux à qui elles s'adressent. C'est qu'il n'est pas facile de parler sans maladresse d'un projet de vie commune à l'échelle de la nation, et de sa place et de celle des autres par rapport à ce projet.

Parler parfois de la nation comme d'un projet de vie commune, et en parler parfois comme d'une chose uniquement juridique.

 Une première maladresse qu'on risque de faire quand on veut parler de la nation comme d'un projet de vie commune, est de pourtant en parler parfois aussi comme d'une pure entité juridique.

 Comme je le montrais dans ce billet, quand on est favorable à un modèle multiculturel très marqué, dans lequel il y aurait plusieurs cultures à un même niveau, sans une culture commune qui surplombe les autres, il faut avoir conscience que le seul support possible d'un tel modèle est une société séparée en groupes assez fermés les uns aux autres, qui se marient peu entre eux, chaque culture étant alors celle de l'un de ces groupes.

 Un multiculturalisme très marqué n'est donc possible que dans une nation qui se réduit à du juridique, dans laquelle il y a plusieurs groupes ayant chacun son projet de vie commune non partagé avec les autres groupes. Dès lors, il est incohérent de parler d'une nation qui à la fois est fortement multiculturelle, ou envers laquelle on n'a que des devoirs juridiques mais pas d'autre sentiment d'obligation, et qui pourtant est habitée par des membres qui partagent plus que du juridique, n'ont pas entre eux de frontières liées aux origines, voire peut-être, dans laquelle il y a simplement un climat de paix ou une démocratie qui fonctionne bien.

 A bien y regarder, parler d'une nation fortement multiculturelle n'a pas beaucoup de sens, puisqu'une nation associée à une société fortement multiculturelle ne peut qu'être une nation purement juridique, c'est à dire sans dimension culturelle. Seule une nation qui est un projet de vie commune a une dimension culturelle, mais alors elle est le support d'un modèle multiculturel atténué. De même, qualifier une nation qu'on veut purement juridique ou fortement multiculturelle, avec des attributs indiquant la culture de cette nation, ou les cultures de cette nation, ou lui conférant une certaine chaleur, affectivité... : tout cela n'a pas beaucoup de sens non plus.

Parler d'un projet de vie commune comme d'une vie commune qui existe actuellement, quand ce n'est pas beaucoup le cas.

 Dans la société française il y a encore une certaine vie commune partagée par tous les groupes, mais cette vie commune n'est pas très intense et épanouie. Les vies communes sont surtout des choses qui sont circonscrites à des groupes particuliers. Quand nous parlons de la vie commune de notre nation comme de quelque chose d'intense et épanoui, cela ne peut donc être qu'en nous projetant dans un avenir espéré, dans une descendance commune que nous aurions si nous retrouvions une vie commune jusqu'au degré le plus élevé d'intimité que sont le mariage et le fait de faire des enfants. Notre nation dans son état futur sera peut-être vraiment plus qu'une entité juridique, mais ce n'est plus beaucoup le cas aujourd'hui.

 Une deuxième maladresse est alors de nous demander sérieusement si notre nation actuelle, juste un peu plus que juridique, a tel ou tel attribut indiquant sa culture ou ses cultures..., voire de nous disputer sur de telles questions. C'est seulement au sujet d'une nation française future désirée avec un projet de vie commune, que l'on peut sérieusement se poser ces questions.

Parler d'un projet de vie commune comme d'une chose juridique.

 Enfin, une troisième maladresse consiste à croire que les lois concernant le partage d'un projet de vie commune sont d'un même genre que les lois concernant l'appartenance à la nation dans sa dimension juridique.

 Les lois concernant l'appartenance à la nation dans sa dimension juridique sont de nature juridique : l'appartenance pleine et à égalité avec les autres est un droit que l'on ne peut se faire contester, et elle nous donne ensuite toutes sortes d'autres droits égaux à ceux des autres, que nous pouvons revendiquer. L'engagement politique pour que soient reconnus notre appartenance à la nation dans sa forme juridique, nos droits, prend donc logiquement la forme d'une revendication de droits, où souvent on peut s'adresser aux autres en leur disant qu'ils n'ont pas à discuter, qu'ils doivent accepter ce qu'on revendique, que la société nous le doit comme un du. Cette revendication de droits n'a rien non plus à donner, en retour de ce qui doit être donné comme un du.

 Par contre, dans notre société où il y a maintenant plusieurs groupes qui ont chacun un projet de vie commune, un membre d'un groupe ne peut s'adresser aux membres des autres groupes de la même manière, pour leur demander de partager avec lui un projet de vie commune. Car les lois concernant le partage d'un projet de vie commune ne sont pas de nature juridique. Partager un projet de vie commune, c'est s'admettre mutuellement dans les intimités les uns des autres, groupes d'amis, voisinages, couples et enfants ; c'est partager ce qu'on considère comme ses trésors, les trésors culturels portés par un groupe qui a un projet de vie commune. Les lois concernant le partage d'un projet de vie commune ne sont pas de nature juridique : elles sont plutôt semblables aux lois de la politesse.

 La politesse est un ensemble de codes qui permettent de dire son respect, et un ensemble de protocoles à respecter pour pouvoir être admis dans l'intimité de l'autre, tout en le respectant. On ne dit pas à l'autre qu'il doit nous admettre dans son intimité comme si c'était un dû : on lui demande en lui disant sincèrement "s'il te plait", c'est à dire en pensant qu'il a le droit de refuser. On ne demande pas à l'autre ceci et cela sans en même temps lui dire ce qu'on a à lui donner, sous peine de passer aux yeux de l'autre pour un égocentrique ou un égoïste.(1)

 Ainsi, l'engagement politique qui s'adresse à un autre groupe pour l'inviter à partager un même projet de vie commune ne doit pas avoir un discours qui obéit aux lois du juridique, mais aux lois de la politesse, qui sont différentes. C'est alors seulement qu'il peut parvenir à quelque chose, de même qu'on ne devient ami avec quelqu'un qu'en s'adressant à lui avec politesse, qu'on n'est admis dans la maison de quelqu'un qu'en frappant d'abord à sa porte. Quand on demande quelque chose avec politesse, on envisage le cas où cette chose nous serait refusée en acceptant par avance cet éventuel refus, mais très souvent on obtient quelque chose de l'autre. Parce que l'autre n'est pas un mauvais bougre, c'est un humain comme nous, il suffit de lui demander les choses poliment. Parfois par contre, l'autre refuse quelque chose juste parce que ça lui est demandé de manière impolie, alors qu'il l'aurait accepté si on le lui avait demandé poliment. Parfois encore il peut accepter mais à telle ou telle condition qu'il nous soumet, et qu'on peut alors discuter, en restant encore poli...



Notes.

1. Livre sur la politesse : Picard, Politesse, savoir-vivre et relations sociales


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7 réactions à cet article    


  • samuel_ 20 novembre 2012 16:04

    « Alambiqué. »

    Platon comparait une bonne reflexion sur un sujet a une bonne decoupe d’une volaille, qui sait placer le couteau aux articulations.

    L’impression « d’alambiqué » vous vient peut etre du fait que je cherche a faire une analyse d’un probleme complexe. Peut etre que l’analyse n’est pas la bonne, mais en tout cas elle n’est pas mauvaise du simple fait qu’elle est complexe. Car elle est necessairement un peu complexe si le probleme analysé est complexe, meme si on cherche toujours a faire aussi simple que possible.


    • ecolittoral ecolittoral 20 novembre 2012 18:23

      Je n’ai rien compris !

      Dans cet article, il n’y a que des banalités. Pas d’idée, pas de fil conducteur.

      • samuel_ 20 novembre 2012 20:47

        Alors désolé. Merci quand meme d’avoir lu.


      • samuel_ 20 novembre 2012 20:49

        lu but etait de se demander de quoi la nation est et peut etre le partage, comment parler de ces differentes choses...


      • raymond 21 novembre 2012 17:50

        @eco il suffit de comprendre étrange= danger, voilà du abgeschiendenheit quoi


      • Le péripate Le péripate 20 novembre 2012 18:42

        C’est vrai avec des bisous dans le cou la sodomie fiscale deviendrait presque un plaisir.


        Encore.....

        • Robert GIL ROBERT GIL 21 novembre 2012 10:37

          L’une des raisons fondamentales de la dépression actuelle est la montée des inégalités et la course en avant des plus riches vers plus de richesse ; en France entre 1998 et 2006, les salaires des 0,01 % les mieux payés ont progressé de 69 %, et ceux des dirigeants des entreprises du CAC 40 (hors stock-options) ont, eux, augmenté de 120% ! Non contents de cette razzia sur les revenus, les plus aisés en ont demandé davantage encore à l’Etat, par le biais de réductions d’impôts, prétextant le risque de « fuite » à l’étranger, qu’aucune étude n’a d’ailleurs jamais demontré...donc pour changer cet etat de fait :
          voir :
           http://2ccr.unblog.fr/2012/09/11/face-a-la-crise-il-faut-partager/

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