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Débattre au lycée

Le ministre de l’Education nationale a rappelé à l’enseignement catholique un devoir de neutralité à propos du « mariage pour tous ». D’un point de vue strictement politique, il est dans son droit. Cependant, il prend un risque assez grand. Dans le domaine des influences et pratiques idéologiques, plus qu’ailleurs, les usages anciens et réguliers constituent l’interprétation de la loi qui devient la loi. L’expression du ministre « importer le débat » repose sur l’idée folle, bien plus folle que l’école elle-même, d’une école séparée de la société et que la société ne doit pas investir.

Il y a donc un débat sur le débat. La dissymétrie des situations est déterminante : les partisans de la loi n’ont pas besoin du débat. Les partisans de la loi sont donc plutôt opposés au débat. Cependant, les opposants à la loi qui ont besoin du débat pour promouvoir leurs idées et craignent aussi de faire de la publicité à la loi qu’ils combattent. Ils souhaitent aussi épargner leurs enfants de la responsabilité d’avoir un avis sur tout et d’être alertés, comme on dit maintenant, sur un phénomène qui ne les atteindrait peut-être pas sans cette « alerte ». Sachant que, de toute façon, plus ils grandissent, plus ils ont un avis sur tout et souhaitent le partager. L’école ne peut guère leur répondre : « la société ? dehors ! »

Il ressort de ces positionnements idéels qu’une partie du débat sur le débat porte sur un soupçon de confusion entre la propagande et le débat.

« On veut utiliser l’école pour faire passer des idées » s’offusque Ph Névé directeur de l’école élémentaire de Pleucadoc. http://bretagne.france3.fr/2013/01/10/des-colleges-prives-bretons-parleront-du-mariage-homosexuel-178245.html Pas d’idées à l’école ! Dont acte. Pas de société, pas d’idées.

Le débat a aussi une valeur pédagogique : on apprend par le débat. Un précédent ministre, Luc Ferry, il y a en gros 10 ans, avait demandé des débats philosophiques dans les classes. Les enseignants n’en ont rien fait, comme d’habitude.

Beaucoup de réflexions portent sur les conditions, l’organisation du débat qui permet de le rendre pédagogique et le valide donc à l’école. C’est moins débat/propagande que bon débat (sérénité, respect des points de vue…) contre mauvais débat, (choquer les sensibilités, imposer son point de vue par la force, violence verbale…). Bien sûr, personne ne se déclare pour le mauvais débat. Qui décide si ce qui se passe est l’un ou l’autre ? Chacun en décide selon son point de vue.

François Dubet souhaiterait que l’école enseigne la philosophie, éventuellement par le débat, mais pas de sujets de société, pas l’actualité. Il faudrait une certaine universalité ; on peut débattre de l’homosexualité, de la discrimination, de la famille et de ses évolutions… mais pas du mariage pour tous. http://www.atlantico.fr/decryptage/que-peut-faire-ecole-face-debats-societe-qui-divisent-profondement-pierre-duriot-francois-dubet-598905.html

Dans d’autres domaines, la neutralité de l’école est sujette à des appréciations variables : les trentenaires de l’UMP estiment que les professeurs de Sciences Economiques et Sociales sont par trop marxistes et demandent au ministre de leur faire prendre une attitude plus « neutre ».

La question n’est pas seulement de savoir si ce débat est légitime, elle est de comprendre pourquoi cette question arrive dans notre société aujourd’hui.

A mon sens, si cette volonté de débat arrive dans les écoles confessionnelles catholiques, c’est que la laïcité a été renversée par la loi du 15 mars 2004.

Ce renversement, que je vais expliciter, exacerbe le sentiment religieux de celles et ceux qui en ont un et pousse à le porter plus fort, plus haut. Les accrochages idéologiques avec les religions augmentent en nombre et trouvent de nouveau objets. On verra bientôt des prêtres en soutanes dans les rues et je prends date (dans deux ans, deux ans et demi, en 2015 à peu près).

Auparavant, la laïcité, qui n'est définie ni dans la loi ni dans la constitution, était un attribut de l'Etat, une valeur, une obligation de réguler les relations des religions avec l'Etat et des religions entre elles, en appliquant une neutralité bienveillante (oxymore un peu à la manière des psys). Cette obligation a pour but la liberté religieuse des citoyens. Un Etat laïque dans une société pluri-religieuse. Je ne dis pas que cela fonctionnait parfaitement. Je dis que l'idée centrale de la laïcité est l'arbitrage égalitaire des relations entre les religions et des relations entre les religions et l'Etat.

Avec la loi sur les signes religieux à l'école, la laïcité de l'Etat crée une laïcité du citoyen. C'est cela la nouveauté qui inverse la signification de la laïcité.

La laïcité de l'Etat devient un principe de commande d'un certain comportement aux citoyens. Cette loi crée le citoyen laïque. La laïcité de l'Etat entrave la liberté du citoyen et lui fait obligation, à l'école pour l'instant et pour les enfants pour l'instant, de taire et cacher sa religion et de la maintenir dans l'entre soi des coreligionnaires et dans les espaces privés et fermés.

Comme un Etat religieux commande à ses citoyens, qu'on peut appeler sujets, de pratiquer la religion de l'Etat religieux, l'Etat laïque se met à commander à ses citoyens de professer publiquement un athéisme et de tenir leur religion secrète ou au moins discrète. Je l'appelle la laïcité-athéisme d'Etat.

En faisant cela, l'Etat se met en équivalence avec les religions : l’athéisme de façade commandé par l’Etat aux « citoyens » se heurte aux pratiques et au sentiment religieux. La laïcité devient ainsi une religion parmi les autres, du point de vue des individus, des personnes.

Cette laïcité-athéisme public exacerbe le sentiment religieux de celles et ceux qui auraient un rapport plus léger avec leur religion.

Le problème posé par cette volonté de l'enseignement catholique de débattre dans les lycées du mariage pour tous me semble appartenir à cette augmentation des problèmes liés aux religions, augmentation embrayée par cette loi qui renverse la laïcité.

Et ce n’est pas fini.


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6 réactions à cet article    


  • Orélien Péréol Aurélien Péréol 12 janvier 2013 15:49

    Il n’est pas si sûr que la mission première soit celle que vous dites.

    Il n’est pas si sûr que l’école délaisse ce que vous appelez sa mission première...
    Il n’est pas si sûr que les enseignants soient oublieux...

    On apprend en débattant. N’êtes-vous pas d’accord ?
    Si vous pensez que le débat sur le mariage pour tous ne devrait avoir lieu nulle part, pensez-vous que nous devrions vous demander votre avis sur nos affaires communes et tous l’adopter immédiatement ?

  • Mr-Asperger 13 janvier 2013 10:01

    Quand j’étais au lycée,on pouvait débattre notamment en philosophie et parfois en économie.Mais il y’avait un programme à suivre et c’était la priorité.

    Débattre est interessant pour confronter les points de vue.

    Maintenant débattre sur des sujets de société ? Je pense qu’au lycée,on a d’autres préoccupations que de parler de sujets dont on ne mesure pas en quoi ils nous impliquent.On ne peut débattre tout simplement que c’est mal vu par une majorité.Elle estime que des gens sont payés pour cela et que nous autres petit lycéens n’avont rien à dire.

    On ne peut pas apprendre quand le débat est biaisée que les uns et les autres n’ont pas envie de participer.

    Il y’a bien longtemps que l’éducation n’est pas synonyme d’élévation mais bel et bien de conformisme et de tacite reproduction.

     smiley


    • Orélien Péréol Aurélien Péréol 13 janvier 2013 17:27

      @ Alain Colignon.

      Je vous conseille de lire Descartes pour qui le doute est au fondement du cogito (de la pensée). Le doute permet de se remettre en question et, partant, de s’améliorer sans cesse.

      • Orélien Péréol Aurélien Péréol 14 janvier 2013 08:13

        Calmez-vous.

        Vous écrivez : « Quant à Descartes je pense le connaître mieux que vous en ce que non seulement je suis capable de comprendre ses méditations, son discours mais aussi ses travaux d’optique et de mécanique... ce qui doit vous être assez étranger... » Qu’est-ce que vous en savez ?

      • Orélien Péréol Aurélien Péréol 14 janvier 2013 10:29

        Vous osez me parler de mon manque de rationalité. !

        Hé bé !

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