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Garde à vue contre libertés individuelles : un combat de plus en plus déséquilibré

Retenu à la DST en garde à vue pendant quarante heures, le journaliste Guillaume Dasquié a été menacé pour révéler au moins une de ses sources puis mis en examen pour « détention et divulgation au public de renseignement ou fichier ayant le caractère d’un secret de la défense nationale » dans une affaire de fuite d’informations de la DGSE. Cette information ne peut qu’alerter l’opinion sur le recul des libertés individuelles devant le recours de plus en plus fréquent à la garde à vue.

Le nombre de mesures de garde à vue a progressé de manière exponentielle : 336 718 en 2001, 530 994 en 2006 soit une progression de 57 % en 5 ans. En 2006, environ une personne de plus de 10 ans sur cent est passée par la cellule de garde à vue !

La garde à vue a été légalisée par la loi du 31 décembre 1957 instituant le Code de procédure pénale en remplacement du Code d’instruction criminelle qui datait de 1808. Avec ce texte, le législateur a conféré aux officiers de Police judiciaire certaines attributions qui relevaient, auparavant, des seules prérogatives du magistrat instructeur.

Avant même la promulgation de la loi, le projet de légalisation de la GAV était critiqué. Me Garçon écrivait dans le journal Le Monde du 4 juillet 1957 que «  le texte nouveau rend légales des pratiques jusqu’à ce jour irrégulières et dangereuses » et qu’avec la garde à vue «  c‘est la consécration de la détention arbitraire ».

La banalisation de la détention arbitraire sur décision souveraine d’un officier de Police judiciaire, la prolongation de sa durée initiale de 24 heures à 48 heures sur autorisation du procureur puis jusqu’à 96 heures dans les cas prévus par la loi Perben II, permettent, peut-être, d’accélérer de nombreuses procédures devant les tribunaux et d’éviter l’encombrement des cabinets des juges d’instruction par un premier tri entre témoins, suspects et innocents.

Mais ces petits avantages d’intendance ont une lourde contrepartie pour les libertés individuelles de plus en plus sacrifiées sur l’autel d’une politique prétendant garantir, toujours plus, la sécurité des citoyens. C’est, pour le moins, paradoxal !

L’augmentation de l’insécurité a-t-elle été si importante depuis 2001 pour engendrer une augmentation de 57 % des placements en garde à vue ?

Analysons les chiffres de l’année 2004 : selon les statistiques de la police citées par le rapport de la commission sur la détention provisoire, 472 064 personnes ont été placées en garde à vue (dont 85 984 pour une durée supérieure à 24 heures). Selon les statistiques des cadres du parquet, citées par le même rapport, 43 099 personnes ont été poursuivies en comparution immédiate et 34 211 ont été présentées à un juge d’instruction soit un total de 77 310 personnes correspondant seulement à 16,3 % du nombre de personnes placées en garde à vue. Par déduction 394 754 personnes (83,7 % tout de même des personnes placées en GAV) ont subi, en 2004, le désagrément de la détention arbitraire pendant plusieurs heures et la pression d’interrogatoires à charge sur simples décisions d’officiers de Police judiciaire estimant, pour chacune d’entre elles, qu’il existait à leur encontre «  une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction  » (Article 63 Code procédure pénale) sans que cette infraction soit susceptible de poursuites judiciaires.

Il s’agit bien de «  la consécration de la détention arbitraire ». Me Garçon était bon prophète !

Seuls, quelques privilégiés sont en mesure d’éviter cette détention arbitraire : les agents diplomatiques, les consuls et leur famille, les membres d’organisations internationales et le président de la République. C’est aussi le cas pour les parlementaires sauf en cas de flagrant délit ou si le Parlement vote la levée de l’immunité.

Ne s’appliquant pas à eux-mêmes le droit commun, il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que les parlementaires ne soient pas particulièrement soucieux du recul des libertés individuelles par la privation arbitraire de liberté et par le déroulement de la garde à vue !

Car le fait de confier à l’officier de Police judiciaire la décision souveraine du placement en garde à vue, le droit de l’interrogatoire accusatoire et la recherche d’aveux sans la moindre garantie de défense, engage un nouveau paradoxe.

D’un côté, dans les textes relatifs à l’instruction, le législateur a réservé exclusivement le pouvoir de priver de liberté et d’interroger un mis en examen, un prévenu ou un accusé à des magistrats, seules autorités parfaitement adaptées à la protection des libertés individuelles.

Mais, à l’opposé, dans les textes consacrés aux enquêtes, le même législateur a institué une procédure dans laquelle il délègue à un officier de Police judiciaire la possibilité souveraine de placer quiconque en GAV, de le priver de liberté alors qu’il est présumé innocent, de lui imposer un régime d’isolement non contrôlé, de l’interroger à plusieurs reprises sans lui accorder aucune des garanties reconnues à une personne mise en examen.

Le Pr Merle stigmatisait les incohérences de cette procédure dans La Gazette du Palais du 18 juillet 1969 en se demandant par quelle « magie judiciaire »... « ce qui est impossible et inacceptable pendant la phase d’instruction ou de jugement est-il considéré comme fondamentalement bon au cours de l’enquête policière ? »

Dans son bilan d’activité sur cinq ans, rendu public fin 2006, la Commission nationale de déontologie de sécurité constate que de nombreux abus ont été relevés, relatifs aux dérives de la garde à vue : “conduite au commissariat sans procédure ultérieure, placement en garde à vue injustifié, parfois en l’absence évidente d’une infraction, durée de garde à vue excessive, fouille de sécurité systématique et menottage serré contraires aux prescriptions de la circulaire ministérielle du 11 mars 2003 relative au respect de la dignité des personnes gardées à vue”.

Par ailleurs, à la fin de la garde à vue, lorsque le «  présumé innocent » est conduit devant le tribunal pour comparution immédiate ou présenté au juge d’instruction, il est, bien souvent, transformé en «  présumé coupable  » et le magistrat, dont le temps est compté, va s’appuyer logiquement sur les conclusions d’une première enquête expéditive pour condamner ou rédiger un chef de mise en examen et demander le placement en détention s’il y a instruction.

Si le prévenu est mis en examen, c’est toute la démarche de l’instruction qui sera guidée par l’enquête préliminaire et malheur à l’innocent qui, par faiblesse et fatigue volontairement provoquées, s’est laissé arracher des aveux à la suite des chantages, du manque de sommeil, du manque de nourriture et des tortures psychologiques ! Seul, l’alibi infaillible ou le test ADN pourra le sortir de l’impasse avant la condamnation définitive.

Des exemples célèbres démontrent qu’une enquête préliminaire exclusivement à charge est la première source d’un fiasco judiciaire : Dills dans l’affaire de Montigny-lès-Metz, Padé dans l’affaire Dickinson, Foki dans l’affaire Océane, etc.

Il suffit, par ailleurs, de constater la progression du nombre de demandes de réparation de détention provisoire injustifiée pour comprendre que les dérapages de l’enquête expéditive sont de plus en plus nombreux : 365 en 2002, 645 en 2005 soit une progression de 77 % en 3 ans avec une durée moyenne de privation de liberté, calculée sur 1 477 dossiers, égale à 7,5 mois contre 6,4 mois en 2002 (source  : rapport de la commission de suivi de la détention provisoire publié en février 2007).

La commission parlementaire d’Outreau a, parmi ses recommandations, fait figurer en bonne place la présence de l’avocat et l’assistance aux interrogatoires de police. Cette mesure se heurte à l’hostilité de la plupart des syndicats de policiers. Pourtant, seule la présence effective de l’avocat est à même d’assurer un contrôle sérieux de l’interrogatoire de garde à vue qui relève encore du Moyen Âge. La plupart des pays démocratiques l’ont accepté car il est de l’intérêt de tous, y compris des enquêteurs, que leurs investigations soient indiscutables et que les déclarations obtenues en garde à vue constituent enfin une preuve fiable.

La loi du 5 mars 2007, tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, votée à la suite du chaos d’Outreau, n’a apporté aucun espoir d’amélioration sur ce sujet. La loi a institué l’enregistrement des interrogatoires de garde à vue sauf dans les dossiers de criminalité organisée et de terrorisme (Article 64-1du CPP), mais ne dit rien sur la présence de l’avocat et sur le contrôle des conditions de déroulement de la garde à vue.

Si le besoin sécuritaire continue donc à imposer un tel rythme d’expansion des placements en garde à vue, combien d’innocents, dans le futur, devront subir non seulement les conditions indignes de privation arbitraire de liberté pendant la durée de la garde à vue, mais également la détention provisoire injustifiée ?

Inutile de poser la question au président de la République et aux parlementaires. Ils se sont exonérés du risque de placement arbitraire en garde à vue !


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3 réactions à cet article    


  • adeline 11 décembre 2007 12:21

    Bravo merci de cette mise au point, en effet la montée d’une pseudo « sécuritude » est très liberticide et chacun de nous oeux en être la victime smiley (le pire reste à venir avec la probable nomination en « catimini » de alain bauer comme conseiller à l’intérieur.......


    • MagicBuster 11 décembre 2007 13:22

      La police protège les biens de notre société, et non ses occupants.

      Qui nous protège de la Police ?


      • calach calach 11 décembre 2007 23:48

        Merci mako pour ces précisions sur la réalité de la garde à vue. Il faut être passé par la cellule de GAV et sous le pouvoir absolu d’enquêteurs pervers pour comprendre les traumatismes de la torture psychologique et les séquelles engendrées sur les innocents surtout lorsque les dénonciations calomnieuses concernent des prétendues violences sur mineurs. Pour ceux qui ont pu s’en sortir, il faut donc dénoncer sans relâche ces chasses aux sorcières relevant du moyen âge et broyant les libertés individuelles.

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