La Cour de cassation s’oppose à l’adoption simple par un couple homosexuel
La première chambre civile de Cour de cassation a rendu le 20 février 2007 deux arrêts relatifs à l’adoption au sein de couples homosexuels que la presse interprète comme un coup d’arrêt aux pratiques developpées par certaines juridictions en France.
La Cour était saisie de deux pourvois visant des situations factuelles identiques pour lesquelles des décisions contradictoires avaient été rendues.
Dans les deux cas, la justice avait été saisie d’une demande d’adoption simple au profit de la compagne de la mère biologique d’un enfant dont la filiation paternelle n’était pas établie.
Avant toute chose, il convient de préciser les termes de l’article 353 alinéa 1 du code civil applicable à l’adoption simple,
"L’adoption est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal de grande instance qui vérifie dans un délai de six mois à compter de la saisine du tribunal si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant"L’article 365 du même code précise l’un des effets de l’adoption simple.
"L’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale, inclus celui de consentir au mariage de l’adopté, à moins qu’il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l’adopté ; dans ce cas, l’adoptant a l’autorité parentale concurremment avec son conjoint, lequel en conserve seul l’exercice, sous réserve d’une déclaration conjointe avec l’adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité."Autrement dit, l’adoption simple prive le parent biologique de l’enfant adopté de ses droits en matière d’autorité parentale, sauf dans l’hypothèse où ce parent est marié avec l’adoptant.
Evidemment, s’agissant d’un couple homosexuel, le parent de l’enfant adopté et l’adoptant ne peuvent être mariés. Au mieux, ils sont pacsés comme c’était le cas ici.
Dans la première affaire soumise à la Cour de cassation, la cour d’appel de Bourges dans un arrêt du 13 avril 2006 avait prononcé l’adoption simple de l’enfant au motif que le couple qui avait conclu un PACS depuis de nombreuses années offrait des conditions matérielles et morales adaptées.
La cour a donc jugé que l’adoption sollicitée était conforme à l’intérêt de l’enfant.
Elle précisait que le fait que la mère biologique de l’enfant perde son autorité parentale du fait de l’adoption pouvait être contourné par un partage ou une délégation d’autorité parentale à son profit.
Pour sa part, la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 mai 2004 avait rejeté la requête en adoption simple au motif que la mère biologique des enfants adoptés perdrait son autorité parentale alors qu’il existait une communauté de vie et qu’elle entendait continuer d’élever ses enfants.
La cour avait en outre relevé que les conditions d’une délégation d’autorité parentale de l’adoptant au profit du parent biologique n’étaient ni établies ni alléguées et que surtout une telle délégation était antinomique avec l’adoption simple dont le but est de conférer l’autorité parentale au seul adoptant.
La cour d’appel de Paris avait donc jugé que l’adoption sollicitée était contraire à l’intérêt de l’enfant.
La Cour de cassation au travers de deux arrêts du 20 février 2007 casse l’arrêt de la cour d’appel de Bourges (avec renvoi devant la cour d’appel d’Orléans) et rejette le pourvoir contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris.
La cour juge que la perte de son autorité parentale par la mère biologique de l’enfant, qui entend pourtant poursuivre son éducation, est contraire à l’intérêt de l’enfant et que l’hypothèse d’une délégation d’autorité parentale ultérieure par l’adoptant au profit du parent biologique est contraire aux effets même de l’adoption simple.
Avant toute chose, on peut relever que la Cour de cassation n’a pas tranché la question de savoir si un couple homosexuel est à même d’offrir des "conditions matérielles et morales adaptées à l’éducation d’un enfant.“
Cette question lui était pourtant soumise au travers de l’un des moyens soulevés contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris :
« Attendu que Mme X... fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué (Paris, 6 mai 2004) d’avoir rejeté sa requête tendant à l’adoption simple des enfants, alors, selon le moyen :L’arrêt de la cour d’appel de Bourges quant à lui avait retenu que « Mmes Y... et X... ont conclu un pacte civil de solidarité en 2001, et qu’elles apportent toutes deux à l’enfant des conditions matérielles et morales adaptées et la chaleur affective souhaitable ... ».
1°/ qu’avant de rejeter la requête aux fins d’adoption simple, motif pris de ce que l’adoption ne servirait pas à l’intérêt des enfants, les juges du fond devaient rechercher s’il n’était pas conforme à l’intérêt des enfants d’établir, par la voie de l’adoption simple, un double lien de filiation avec deux personnes, vivant au foyer familial, participant à leur entretien et à leur éducation, et unies par un pacte civil de solidarité et de concubinage ; d’où il suit que les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard de l’article 353 et 361 du code civil ».
La Cour de cassation ne s’est intéressée qu’aux conséquences juridiques de l’adoption simple sur l’autorité parentale de la mère biologique au regard de l’intérêt de l’enfant.
Que doit-on penser de ces arrêts ?
D’un côté on peut noter que le parent biologique de l’enfant qui souhaite poursuivre son éducation doit pour cela bénéficier de l’autorité parentale. A défaut, il n’a aucun pouvoir de décision à l’égard de l’enfant dans des matières déterminantes pour son évolution (la santé, l’éducation ...).
Or, à suivre le raisonnement de la cour d’appel de Bourges, on se trouve dans une situation où l’adoptant qui n’est pas le parent biologique de l’enfant est seul détenteur de l’autorité parentale. Il s’agit d’une situation pour le moins curieuse alors précisément que l’enfant a un parent biologique prêt à s’impliquer dans son entretien et son éducation.
Il a été fait remarquer que cette difficulté pouvait être contournée au moyen d’un partage ou d’une délégation d’autorité parentale.
Mais quelle cuisine procédurale !
Il faut donc d’abord que le parent biologique soit privé de ses droits en matière d’autorité parentale pour qu’ensuite une procédure soit entamée au travers de laquelle l’adoptant accepte de partager l’autorité parentale dont il bénéficie avec celui qui en a été privé du fait de l’adoption !
On peut d’ailleurs se demander si les conditions de la délégation ou du partage d’autorité parentale sont réunies dans un tel cas.
L’article 377 du Code Civil dispose :
"Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l’aide sociale à l’enfance.Sur ce point on notera que la Cour de cassation dans un arrêt du 24 février 2006 avait jugé que l’article 377, alinéa 1er du Code civil, ne s’oppose pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l’impossibilité d’exercer tout ou partie de l’autorité parentale, le particulier, l’établissement ou le service départemental de l’aide sociale à l’enfance qui a recueilli l’enfant peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l’exercice de l’autorité parentale.
Dans tous les cas visés au présent article, les deux parents doivent être appelés à l’instance. Lorsque l’enfant concerné fait l’objet d’une mesure d’assistance éducative, la délégation ne peut intervenir qu’après avis du juge des enfants."
Il s’agit toutefois d’une décision unique (à ma connaissance) et qui visait une hypothèse différente. Aucune procédure d’adoption n’avait été engagée de sorte que la mère biologique de l’enfant avait saisi le juge aux affaires familiales pour que sa compagne bénéficie d’une délégation partielle d’autorité parentale. La mère biologique disposait de l’autorité parentale lorsque le juge a été saisi.
A mon sens, le parent adoptif disposant de l’autorité parentale pourrait saisir le juge aux affaires familiales d’une demande en partage ou délégation de cette autorité.
Reste que la juridiction amenée à statuer sur la demande d’adoption simple n’a à mon sens aucune obligation d’anticiper la procédure qui pourrait être menée par la suite pour aboutir à une délégation d’autorité parentale.
Cette procédure n’est qu’éventuelle et son issue reste incertaine, ce qui place l’enfant dans une situation délicate et probablement contraire à son intérêt. Imaginons un instant qu’après le prononcé de l’adoption simple, le couple se sépare. Quid de l’autorité parentale du parent biologique ? Il serait contraint de saisir le juge aux affaires familiales dans un cadre contentieux. Quelles conséquences pour l’enfant voyant son parent biologique affronter son parent adoptif ?
En réalité, je suis persuadé que ces arrêts sont surtout la démonstration de l’inadéquation de notre législation.
Nos parlementaires devraient voir dans ces décisions l’occasion de se pencher sérieusement sur la question.
Encore faut-il admettre que deux personnes du même sexe sont susceptibles de constituer un couple offrant des conditions morales, affectives et matérielles satisfaisantes pour élever un enfant, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.
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