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La fève de Calabar et un génie oublié

 Percy Lavon Julian

Un génie, oublié ? Oui.

En ce mois d'Avril, nous avons deux dates importantes à commémorer : le 11 avril : le 112e anniversaire de la naissance d'un génie et le 19 : le 36e anniversaire de sa mort. ( américain ) 11/4/1899 – 19/4/1975

Chimiste : il a été le premier à synthétiser la physostigmine (*ou ésérine – molécule isolée en 1864 et dont le nom dérive de la fève de Calabar de la plante Eséré), et donc l'un des premiers à ouvrir la voie à la production industrielle des hormones chimiques : stéroïdes, progestérone, testostérone qui a conduit à la cortisone et à la pilule anticonceptionnelle. Il est à l'origine de l'amélioration de millions de vie et n'a fait rien moins que changer le monde.

Sa femme Anna Johnson Julian était née en 1901 à Baltimore, Maryland. Elle est morte en 1994 à Oak Park House, Illinois, où se situe leur maison familiale et où leur fille Faith demeure encore à ce jour. Leur fils Percy Jr a été un célèbre avocat et est décédé en 2008

Anna a épousé le 24 décembre 1935 Percy Lavon Julian, qui était le petit-fils d'un esclave noir dans l'Alabama et qui avait poursuivi des études grâce à la ténacité de ses parents. Il obtint en surmontant maints obstacles de taille à cette époque, et après être passé par Harvard, un doctorat de chimiste de l'Université de Vienne (Autriche) en 1931, grâce à une bourse de la fondation Rockfeller. Il était reconnu partout et par tous un étudiant impressionnant.

En 1936, il avait commencé des recherches sur la production de progestérone animale synthétique, à partir de stéroïdes de plantes. Il fut embauché par Glidden à Chicago, un manufacturier de peintures et vernis automobiles comme directeur du laboratoire de recherches sur les produits dérivés des graines de soja. Personne à l'époque ne se doutait du potentiel de cette plante légumineuse, considérée en Chine comme l'un des cinq grains sacrés avec le riz, l'orge, le blé et le millet. Henry Ford, le manufacturier de voitures automobiles avait fait la promotion du soja, à partir des années 1920/30. L'huile de soja était utilisée dans les peintures et les émaux d'automobile, dans les caoutchoucs et pour les amortisseurs. Pour Ford l’intérêt majeur était dans la farine de soja transformée en plastiques.

Dans les années 36, Anna a souffert comme de nombreuses femmes (1 sur 6 en fait) de grossesses interrompues (fausses-couches ou avortements involontaires). Il était alors connu que la progestérone pouvait en réduire le risque. Cette hormone, qui était déjà utilisée médicalement, était produite à partir de la moelle épinière de carcasses d'animaux mais en quantité infime et à des coûts prohibitifs. Julian a pensé pouvoir trouver une solution.

En 1940, toujours à Glidden, il commence à travailler sur la synthèse de la progestérone, de l'œstrogène et de la testostérone à partir de composés naturellement présents dans les plantes, et donc dans les graines de soja. Il les extrayait grâce à un processus de mousse qu'il avait inventé. 

(A noter au passage que Julian est indirectement à l'origine de la mousse utilisée pour l'extinction des feux par les pompiers et qui, pendant la guerre s'est révélée particulièrement utile pour l'aviation aéronavale et à sauver des milliers de vies de marins. Il a reçu pour cela en 1947 de la NAAC (**) la plus prestigieuse de ses distinctions : la médaille Springarn.)

Ses recherches ont permis de produire ces hormones en quantités industrielles, en réduisant considérablement le prix et en permettant le traitement des maladies hormonales.

Avec l'un de ses concurrents, Russel Earl Marker, chimiste aussi, il a pavé le chemin du développement de la nouvelle recherche médicale et des traitements, y compris la pilule anticonceptionnelle, qui d'après Julian, pouvait être une solution intelligente au problème de la surpopulation qu'il imaginait comme l'une des grandes menaces du futur.

En 1949, il met au point un procédé pour améliorer et produire à moindre coût la cortisone et ses travaux de synthèse lui permirent, un peu par hasard, la découverte d'un stérol (lipide) pour le traitement des polyarthrites rhumatoïdes (toujours à partir du soja). Il reprendra des travaux en 1952 sur la cortisone à partir de nouvelles données publiées par un biochimiste et un microbiologiste d'une compagnie pharmaceutique Upjohn, et synthétisera une molécule produite naturellement par les reins et qu'il pensait être à l'origine de la cortisone dans le corps grâce à l'action d'une enzyme.

En 1953, après avoir travaillé 18 ans pour Glidden, il décide d'en partir et créé sa propre entreprise : Julian Laboratories, Inc à Franklin Park, Illinois. Après des débuts difficiles, il conclut des accords avec Upjohn, Ciba, Pfizer et Merk (qui n'avaient pas encore fusionnés) pour la production de progestérone. Les laboratoires pharmaceutiques SYNTEX (fondé par Mark Russel, de nos jours intégré à ROCHE), étaient installés à Mexico City au Mexique depuis 1944 et produisaient des hormones à partir d'ignames (patates douces).

Julian tente de s'installer à Mexico également (pour une question de rentabilité) mais il est d'abord confronté à un problème d'investissements, les banques ne prêtant pas aux noirs. Lorsqu'il surmonte cet obstacle grâce à des amis et investisseurs privés, le gouvernement mexicain refuse son installation (pression de SYNTEX). Il arrive à se procurer des ignames au Guatemala dans des circonstances à peine croyables (grâce à un allemand qu'il a aidé dans le passé à échapper aux nazis). Il put ainsi continuer l'activité de ses laboratoires aux Etats-Unis et les chimistes avec lesquels ils travaillaient trouvèrent le moyen de quadrupler la production, baissant le prix de vente des produits. Le prix de la progestérone passa de 4,000 à 400 euros le kilo. Devenir riche était important pour lui (il devint millionnaire) mais son désir premier était de permettre à tous, et non pas quelques privilégiés, de lutter contre des maladies comme les polyarthrites rhumatoïdes.

En 1956, plusieurs compagnies ayant porté plainte, SYNTEX est condamné pour son influence sur le gouvernement mexicain visant à empêcher l'implantation d'autres laboratoires au Mexique.

En 1960 Julian vend ses laboratoires Julian Labs à SMITH KLINE & FRENCH LABORATORIES LIMITED UK devenu en 1989 SmithKline Beecham plc.

Percy Lavon Julian n'a été accepté à l'Académie Nationale des Sciences américaine qu'en 1973, à peine 2 ans avant sa mort !

Des années après sa mort, la prestigieuse American Chemical Society (société savante) allait inscrire l'élégante et complète synthèse de la physostigmine dans sa liste des 25 plus grands achèvements chimiques dans l'histoire.

Percy Lavon Julian a raconté le jour de son arrivée à l'université autrichienne où il a obtenu son doctorat (Harvard ayant refusé de le laisser continuer sur pressions racistes) : « Mon premier jour à l'université, je me revois passer la porte et un gars blanc vint vers moi pour me serrer la main en me demandant comment j'allais et en me souhaitant la bienvenue ! Je n'avais jamais serré la main d'une personne blanche auparavant et ne savais pas si je pouvais ou pas. ». Pendant ses trois ans en Autriche, il est devenu non seulement l'un des meilleurs étudiants de l'université, mais il a acquis détermination et assurance. Il maîtrisait parfaitement l'Allemand et était fin connaisseur des poètes et de la musique classique. Ils avaient impressionnés ses pairs par ses connaissances, son intelligence et ses qualités mais également par les negro-spirituals qu'ils jouaient au piano.


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3 réactions à cet article    


  • jako jako 13 avril 2011 10:21

    Merci pour votre article, j’ignorais totalement cet homme qui a eu effectivement un courageux parcours.
    Syntex a donc effacé jusqu’à son souvenir, je ne suis pas étonné de cela plus le racisme
    pratiquement d’état....


    • Marc P 14 avril 2011 09:29

      Merci HINLE,

      On est surtout songeur et sans mots en lisant ce bel article...
      Cdlt.

      Marc P


      • HINLE HINLE 14 avril 2011 13:11

        Les Julian ont eu à subir les violences racistes de cette époque :

        Après la naissance de leurs enfants, Anna et lui-même décidèrent de s’installer à Oak Park, l’un des quartiers blancs « huppés » de Chicago en 1950. A cette époque, les noirs de ce quartier étaient ou des travailleurs, ou des serviteurs. La veille de leur emménagement, leur maison a subi un début d’incendie et des explosifs y ont été trouvés. Ils refusèrent de se laisser intimider et s’installèrent. Ils eurent plusieurs fois à lutter contre la haine et les violences racistes qui sévissaient dans le pays et son fils se souvenait des nuis passées avec son père dans un arbre, devant leur maison, une arme à portée de main.

        Il faut ajouter au crédit de leurs voisins blancs, horrifiés par ce terrorisme, qu’ils ont défilé devant chez eux pour les soutenir et afin qu’on les laisse en paix. Ils ont fait et publiés des pétitions signées de leurs noms pour dénoncer les violences. Et bien que les menaces aient continué pendant des années, la famille Julian n’a plus eu à subir de violences.

        En 1960, Anna a été trésorière et ensuite vice-présidente de Links, Inc, une organisation nationale pour le développement des droits civiques, culturels et éducationnelles de femmes. (elle a toute sa vie été activiste dans la défense des droits civiques et éducationnels). En 1950, elle était vice-présidente, trésorière et comptable des Laboratoires Julian (créé par son mari). C’était une femme remarquable, éduquée et déterminée. Elle est la première femme noire (africaine-américaine) à obtenir un doctorat en sociologie en 1937 !

        Elle a élevé ses deux enfants ainsi que son neveu Leon R. Ellis.

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