La France engeôleuse
Quelles sont les valeurs transmises à la jeunesse française ? Quelques réflexions en ces temps de précampagne électorale.
Trop de jeunes !
Il est très commode de découper la population en catégories. C’est ainsi qu’on parle des jeunes, concept valise : un terme tellement peu défini que chacun l’interprète à sa façon (ce procédé est donc un pilier des discours hautement démagogiques). C’est ainsi que les politiques et les médias parlent des jeunes : à propos des incivilités, des banlieues, du chômage, du non-respect des traditions, des cités... On nous promet des lois spécifiques et un encadrement musclé, pour que ces jeunes comprennent enfin comment se comporter dans une société d’adultes responsables. Tout irait finalement tellement mieux sans les jeunes... Mais avec des enfants quand même, c’est si gentil, un enfant, et il faut bien assurer la survie de l’espèce.
D’ailleurs, quand un présentateur de télévision ringard choisit de provoquer avec des raisonnements simplistes, il sous-entend que l’accroissement de la population est la cause de tous les maux de la planète (sans revenir sur le caractère raciste de ses propos). Si l’on exclut la possibilité que nous vivions trop longtemps, il y aurait trop de jeunes.
Alors, pour faire bonne figure, on nous explique qu’il existe de bons jeunes, bien élevés, qui iront dans les grandes écoles de la République et seront l’élite dont la France a besoin. Les autres sont devenus des sauvageons, de la racaille, j’exagère finalement assez peu les grands traits des discours politiques et des grands médias sur ce sujet. On a même l’impression que le jeune moyen serait fils d’immigré algérien, de seize ans, banlieusard, évidemment délinquant.
La jeunesse serait-elle devenue une maladie ? Si oui, ce serait un cancer à la progression inexorable, tant on est sûr que les jeunes de maintenant seront la population de demain.
Alors, que propose-t-on à une personne qui grandit dans ce pays ? Juste la chance de grandir dans un des pays les plus riches du monde, et dans lequel, nous répète-t-on, il fait "bon vivre", malgré ses défauts ?
Certains concepts sont introduits pour faire peur, permettant de faire passer toutes sortes de choses difficilement acceptables : la menace des terroristes (forcément islamistes), la perte de notre identité (forcément uniformisée). Les jeunes sont bien pratiques pour cela : dans une catégorie tellement vague, on peut sous-entendre n’importe quelle menace, et surtout celle de perdre la glorieuse image du passé.
Or la jeunesse représente évidemment le futur. Chaque fois qu’on entend ce terme, ce n’est pas de personnes que l’on parle, mais bien de l’avenir. Si une chose caractérise la jeunesse, c’est bien un regard nouveau sur le monde, qui devrait se traduire par la soif d’agir. Que le pays des droits de l’homme offre-t-il comme perspective à sa jeunesse ?
Le modèle français
La France serait une entité cohérente, permanente, inaltérable, à tel point qu’un ministre peut lancer qu’il faut "l’aimer ou la quitter". Et combien de fois entend-on parler du "modèle" français : social, humaniste, intellectuel ? Modèle qui serait une référence pour le savoir-vivre, et qui serait menacé de toute part par la mondialisation. En fait, ce modèle n’est rien d’autre qu’un autre concept valise.
Or si il existe un modèle français, il se caractérise par la peur de l’avenir. Peur de voir se perdre privilèges et traditions, cachant sa misère derrière des principes, debout sur le frein et les yeux dans le rétro. Dans ces conditions, les nouveaux venus sont amenés à se définir par rapport au passé, et non par rapport à l’avenir.
Démographiquement vôtre
L’âge moyen en France est de 39,6 ans. Il est de 32 ans en Chine, 25 ans en Inde, 42 en Allemagne et 36 aux USA. Signe d’une population en bonne santé, sûrement, mais vieille. Elle le serait d’ailleurs encore beaucoup plus sans les phénomènes migratoires.
En Chine, le gouvernement a été précurseur sur le terrain de la régulation des naissances. Devant les problèmes terribles de vieillissement de la population que le pays va subir dans une ou deux décennies, les nouvelles lois chinoises s’assouplissent : un couple formé par des enfants uniques est autorisé à avoir deux enfants. Alors que les programmes de régulation des naissances en Inde dans les années 1970 ont été un vrai fiasco, aujourd’hui, la population indienne est jeune, elle a soif d’avenir, elle est la vraie force de ce pays.
La crainte de la surpopulation, bien présente dans les années 1960 et 1970 (les Chinois de Jacques Dutronc), qui allait induire des famines terribles, a donc fait place à celle du réchauffement de la planète. Comme tout le monde est responsable, et même complice, c’est un apprentissage du cynisme comme moyen de survie morale.
Liberté, etc.
En filigrane, c’est bien la culpabilisation de la jeunesse qui pointe : elle devrait porter le fardeau des erreurs du passé. En profitant du mode de vie que les générations antérieures ont patiemment construit, elle aurait entre les mains toutes les informations sur les désastres à venir, contrairement aux générations précédentes. Mais en n’ayant finalement aucune latitude pour agir.
La menace écologique n’est qu’un exemple, le pays devant faire face à tellement de menaces. Pour réagir face à ces craintes, il faudrait plus de protection : plus de justice sociale pour la gauche, plus d’ordre pour la droite, plus de protection de la nature et de notre mode de vie pour tout le monde. En poussant un peu ces logiques, ne serait-ce pas la prison qui offre les meilleures protections ?
Alors les législateurs ajoutent tous les jours des nouvelles lois pour nous le rappeler : dans notre société moderne et complexe, tout le monde est responsable de ses actes. Les droits accordés s’accompagnent d’autant de devoirs : il faut responsabiliser la population. Mais en mettant en avant les peurs et les risques, on tue la jeunesse, et on met la liberté en prison.
Les responsables administratifs et politiques, intellectuels parisiens issus de notre élite autoproclamée, devraient prendre trente secondes tous les matins pour réfléchir sur les trois mots inscrits sur les pontons de tous les bâtiments officiels, ils sont simples. Et nous tous, ne pas nous laisser berner par des discours simplistes, avant qu’ils ne deviennent : « Sécurité, tradition, patrie ».
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