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La loi DALO se heurte au principe de réalité

Chacun le sait, entre les déclarations de principes tout autant qu’entre les textes de loi et leur effectivité, il peut exister un espace défini par le principe de réalité, cela convient parfaitement à la loi sur le droit au logement opposable votée le 5 mars 2007 par notre Assemblée nationale. En effet, plus d’une année après la mise en place de ce texte fondamental et très attendu, le bilan reste très mitigé et peu de résultats concrets sont à faire valoir. De cela, tous les spécialistes de la précarité et du logement se doutaient, tant la matière du logement en France demeure une problématique enkystée, parce que largement soumise au diktat du marché.

Rappelons ici les mécanismes prévus par ce dispositif législatif qui sont censés s’imposer dans les faits depuis le vote de la loi DALO, et son application le 1er janvier 2008.

Le principe fondateur est simple, il est rappelé par l’article 1er qui affirme que « la loi s’applique à toute personne qui, résidant en situation régulière sur le territoire français de façon régulière (...) n’est pas en mesure d’accéder à un logement par ses propres moyens ou de s’y maintenir ». Le texte garantit aussi une place dans une structure d’hébergement à toute personne qui n’aurait pas d’autres choix possibles (art 4). Pour une solution à l’amiable, c’est la Commission de médiation (une par département), qui intervient . Si cette instance n’apporte pas de solution, c’est le juge du contentieux administratif qui pourra être saisi par le demandeur, mais à compter du 1er décembre 2008 seulement. Enfin, il faudra attendre 2012 pour que les simples demandeurs, ceux qui ne sont pas en situation d’urgence, puissent saisir le juge administratif.

Dès le 2 janvier 2008, des centaines de personnes faisaient ribambelle devant la préfecture de Paris afin de retirer les premiers formulaires, pleins de bon sens, nombre d’entre eux restaient fort dubitatifs quant à l’avenir que pourrait leur réserver ce texte, et l’avenir allait leur donner raison. Déjà, à l’époque, l’association droit au logement (DAL) affirmait que seuls 60 000 logements seraient accessibles pour dix fois plus de demandes, c’est donc une minorité de situations, les plus prioritaires, qui en bénéficieront. Comme attendu, le nombre de recours devant les commissions de médiation sont sur une courbe ascendante forte et tendent à exploser selon les régions, ce qui risque de rendre le traitement des demandes très problématique, certaines projections faisant état d’une fourchette allant de 400 000 à 900 000.

A ce titre, le témoignage apporté par Jean-Claude Fages, recueilli dans un entretien paru dans le quotidien Sud-Ouest du vendredi 13 juin, est tout à fait explicite. Ce dernier vient de remettre sa démission de la présidence de la Commission de médiation des Pyrénées-Atlantiques, notamment pour des raisons juridiques, celle-ci étant incomplète six mois après sa mise en place, ce qui rend les décisions qu’elle rend irrégulières et donc susceptibles de recours devant le tribunal administratif. Jean-Claude Fages de préciser que cet état de fait n’est pas propre au département des Pyrénées-Atlantiques, et de poser une critique sans concession à l’encontre de nos instances administratives, toutes puissantes et omnipotentes. C’est ici que le bât blesse selon ce juriste (ancien président du TA de Pau). Selon lui, il serait souhaitable que les dossiers soient instruits par des instances indépendantes, associations par exemple, et non par les directions de l’équipement. De plus, c’est aussi sur le fond qu’il s’insurge, le filtre imposé par le discours officiel étant trop important, laissant sur le carreau nombre de situations humaines pénibles, « 90 % de ces dossiers décrivent le quart-monde », affirme-t-il. Enfin, M. Fages de déclarer que la loi DALO est un texte de circonstance « qui a été vraisemblablement pris pour faire disparaître les tentes du canal Saint-Martin ». A l’appui de ses affirmations, il livre au journal Sud-Ouest un élément quantitatif important, indiquant que très peu de personnes, en fait, se sont vu attribuer un logement (3 dans les Pyrénées-Atlantiques, 1 ou 2 en Gironde), et de conclure que le système ne marche pas, les bailleurs sociaux ayant déjà leur propre liste d’attente. Il prévoit même une situation qui va rapidement devenir ingérable, « les présidents de tribunaux administratifs peuvent être inquiets ».

On pourrait rajouter qu’il en sera de même pour les préfets qui auront obligation de proposer un logement aux personnes désignées comme prioritaires par la Commission de médiation, ainsi qu’à celles qui se seront vu reconnaître ce droit par le juge administratif. Toute carence en la matière pourra faire l’objet d’injonctions ou d’astreintes dès 2009. Certains juristes de se demander si, in fine, ce texte n’imposera pas à l’état de se repositionner dans le domaine du logement social où les intervenants sont peu identifiables.

Confirmant largement ces observations de terrain, le rapport du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD), abonde dans ce sens. Affirmant que la loi DALO a créé une obligation de résultat, le comité constate le manque crucial de logements, ainsi que la complexité du tissu institutionnel, et, plus grave encore, dénonce « le développement d’un protectionnisme social qui joue en faveur des processus de ségrégation territoriale et de rejet des populations les plus en difficultés  ». Le Haut comité de prévenir la résignation qui pourrait prévaloir du fait de l’insuffisance de logement, l’Etat se satisfaisant des pénalités prévues par la loi. C’est pour atteindre cette obligation de résultat qu’un comité de suivi a été mis sur pied afin que la législation ne se délite point devant la réalité. Ce comité a aussi proposé des solutions, qui, si elles étaient mises en applications, pourraient débloquer nombre de situations en apportant une bouffée d’oxygène à un environnement pratiquement asphyxié. En l’occurrence, maintenir les personnes expulsées dans leur logement, remettre en état les logements indignes et, enfin, selon nous la proposition la plus importante, agir sur le parc de logements privés, seule ressource extensible, sachant qu’il y a en France trois fois moins de logements sociaux que de personnes qui en font la demande. Le comité exige aussi qu’en matière d’attribution de logement, une plus grande transparence soit faite au regard de l’opacité qui règne, notamment en imposant le respect de la règle de priorité sociale définie par la loi (art L.441-1). Dans ce sens, le Haut comité fait 13 propositions pour « un logement locatif social plus transparent », et dans son rapport en émet 25 au final.

Ainsi, si le vote de la loi DALO s’imposait du fait de la tension extrême qui règne sur le marché du logement en France, on ne peut que constater combien les problématiques restent entières, et qu’une loi seule ne pourra apporter de solution toute faite dans un domaine où l’Etat n’est pas le seul intervenant, même s’il pourrait accroître sa maîtrise foncière, la part belle étant réservée au monde spéculatif. Seules des règles de droit encore plus contraignantes pourraient réaliser ce miracle, notamment avec l’application du principe réquisition, dont on ne fait pas cas, parce que trop marqué idéologiquement.

Force est de constater que non seulement les « grands exclus restent enfermés dans la rue », mais aussi que le nombre de mal logés explose avec 3,5 millions de personnes, et c’est ici que l’ensemble du système trouve déjà toute sa limite, se heurtant de plein fouet au principe, inhumain en l’espèce, de réalité.

 

  • Dider Vanoni et Christophe Robert, Logement et cohésion sociale, le mal-logement au cœur des inégalités, éditions La découverte 2007.

  • Fondation Abbé Pierre, L’Etat du mal-logement en France, rapport 2008.

  • Rapport sur l’observatoire de la pauvreté en France 2007/2008.

 


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2 réactions à cet article    


  • La mouche du coche La mouche du coche 18 juin 2008 14:04

    Vous êtes pessimiste. C’est une très bonne loi. smiley


    • La Taverne des Poètes 19 juin 2008 09:49

      L’auteur ne dit pas que la loi est mauvaise mais qu’elle est confrontée au diktat du marché. C’est en tout cas un grand progrès par rapport à la loi (socialiste) Besson de 1990 qui instituait un droit au logement purement théorique même si la politique du logement s’efforçait de le rendre effectif.

      En Ecosse, la loi de 2003 a donné des résultats encourageants. On peut espérer qu’en France aussi, mais ce sera long et ce n’est pas Christine Boutin ni Sarkozy qui feront avancer vite les choses...

       

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