La multiplication des pains
Nous vivons une époque formidable
Le miracle permanent.
Même si les temps ne sont plus aux miracles, il en est un pourtant qui ne cesse de m'interroger. Comme vous pouvez le savoir, depuis septembre, j'ai le plaisir de pouvoir accorder un peu de mon temps à une association caritative qui propose des repas chauds aux personnes en difficultés. Pour ce faire, nous recevons les surplus alimentaires des grandes surfaces par l'intermédiaire de la banque alimentaire.
J'écris de ma place de bénévole qui n'est pas au courant des tenants et des aboutissants de cette chaîne de solidarité qui conduit à la livraison deux ou trois fois par semaine de produits disparates, le plus souvent dans des emballages multiples dont les dates de péremption sont très proches et parfois légèrement dépassées. Ma première réaction a été la surprise de voir tant de marchandises arriver ici.
Puis, étant souvent préposé aux pluches, j'ai pu déplorer la stupidité du conditionnement des légumes qui sont le plus souvent dans des caissons en plastique mis sous vide. J'ai constaté à quel point la dégradation des produits s'accélérait dans de telles conditions et qu'il serait à la fois plus écologique, plus naturel et plus efficace de ne pas emballer ainsi les légumes mais de les servir en vrac comme sur nos marchés.
Mais ce serait faire fi des exigences absurdes des consommateurs qui pensent sans doute qu'ainsi, ils gagnent non seulement du temps en s'exonérant de la pesée si pénible mais qu'ils bénéficient d'une meilleure hygiène. Quand on voit l'état des légumes en fin de parcours, je pense sincèrement qu'ils se fourvoient et qu'il y aurait bien moins de gaspillage sans cette frénésie de la part individuelle.
Inutile de vous dire que ceci n'est qu'un vœu pieu et que, faute d'un cataclysme, la grande distribution continuera à emballer à qui mieux mieux et à enfumer les clients. Ce doit être dans la nature de ces braves philanthropes. Car, voyez vous, depuis peu, nos grandes enseignes ne peuvent jeter et détruire leurs surplus, elles sont même dans l'obligation de les confier à des organismes comme la banque alimentaire.
Et c'est là que je constate un approvisionnement totalement délirant, bien au-delà des capacités de traitement et d'absorption de l'association où j'officie. Après un premier tri, quelques pluches et de nombreuses manipulations, nos poubelles regorgent en dépit des repas préparés et des distributions effectuées. Nous sommes dans le paradoxe. Ce ne sont plus les grandes surfaces qui gaspillent : elles s'en lavent désormais les mains et confient la sale besogne de la mise à la benne aux gens dont l'ambition était jusque-là de venir en aide aux nécessiteux.
Je vous fais grâce de la complexité de la gestion de ces stocks qui arrivent de manière totalement aléatoire, sans aucune maîtrise de notre part et avec l'obligation de faire pour le mieux dans le souci de la santé des bénéficiaires. Et là, ce n'est pas toujours très facile avec des produits frais, des laitages, des crèmes, des plats cuisinés qui sont toujours plus nombreux et fantaisistes. La surenchère du commerce s'exprime ici dans une diversité qui n'est jamais garante de qualité, bien au contraire.
Je ne voudrais pas cracher dans la soupe ; je suis sans doute fort mal placé pour juger de tels produits, moi qui ne vais jamais dans les temples du mercantilisme et du gaspillage. Je m'indigne des quelques mètres cubes de déchets que nous traitons après tri et exploitation de ces cadeaux subventionnés. Et soudain, je comprends mieux pourquoi un produit ne cesse de gonfler les stocks et nous contraint à toujours plus jeter.
Car voyez-vous, dans ce monde merveilleux du cadeau désintéressé, les pains se multiplient plus sûrement qu'aux noces de Cana. Ce jour, ce sont pas moins de onze caissettes de pains emballés, tranchés, tous plus fantaisie les uns que les autres et au goût si éloigné de ce qu'on achète dans une vraie boulangerie que j'en perds le plaisir de manger du pain ici.
Mais là n'est pas le plus inquiétant. Ces trois mètres cubes de pain ne peuvent être écoulés. Il y a manifestement surenchère. La maîtrise des flux au niveau de ceux qui effectuent les commandes dans ces grandes maisons aux enseignes connues est plus que déplorable à moins qu'il ne s'agisse désormais d'une belle manière de gonfler le chiffre d'affaires.
Le prix de revient réel du pain est dérisoire, d'autant que nous sommes dans le cas présent au cœur de la fabrication industrielle sans saveur ni valeur. Tout ce qui part à la banque alimentaire fait l'objet d'un dédommagement. J'en viens à me demander si, en agissant ainsi, nos joyeux philanthropes de la grande distribution ne font pas une petite culbute qui ne mange pas de pain au pays des margoulins. C'est sans doute mon esprit retors qui me pousse à envisager pareille magouille …
Je ne suis pas à même d'enquêter. Je m'interroge et je n'aime pas me poser ainsi des questions sans réponse. J'aimerais que des lecteurs plus éclairés m'apportent leurs lumières sur cette multiplication des pains qui arrivent par le biais de la banque alimentaire. J'ai besoin de comprendre.
Gaspillagement leur.
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