La société à grande vitesse ou le sacrifice du projet
"Dès que je veux changer quelque chose, toutes les forces du conservatisme se mobilisent pour l’empêcher", a déclaré le président Sarkozy la semaine dernière. Enfant de la société à grande vitesse imposée au monde contemporain par le système capitaliste, Nicolas Sarkozy reproduit les comportements stéréotypés que cette société lui a inculqués et subit l’emprise de la toute puissance du désir "dès que je veux" et de ses frustrations : les obstacles diabolisés sous des noms divers, ici les "forces du conservatisme".
Qui peut encore aujourd’hui résister à la dictature de l’immédiateté sans passer pour un passéiste ou un marginal ?
Les temps de l’immédiateté sont ceux d’une époque qui vit dans le "Ici et tout de suite !" Le désir doit trouver sa satisfaction immédiate, quitte à recourir au crédit à des coûts dangereusement prohibitifs. Le candidat Nicolas Sarkozy ne vantait-il pas les bienfaits du crédit à l’américaine pour pousser à consommer plus ? L’information non plus ne se permet plus d’attendre, elle doit jaillir même si elle n’est pas vérifiée. Qu’importe ! on apportera un démenti... Elle doit être suivie immédiatement de l’image.
L’attente et la patiente économie qui séparent le désir de sa réalisation deviennent insoutenables. Ce délai est perçu comme une atteinte intolérable et tout est mis en oeuvre pour le liquider. On devance Noël pour acheter les cadeaux. La publicité excite le désir de l’appropriation immédiate. Mais, le plus inquiétant, c’est que le pouvoir adopte la même attitude et excite en vue de l’obtention immédiate de résultats. Tout est déclaré urgent dès qu’il y a désir fort : la réforme de l’audiovisuel s’applique avant le vote du Sénat. Il paraît qu’il y a urgence ? Non ! Il y a juste un désir qui ne peut attendre plus longtemps sa concrétisation ! Le désir naît et, aussitôt, il faut qu’il soit réalisé. Pas le temps de réfléchir à un projet et de soumettre ce projet à un dialogue d’idées.
Le chef de l’Etat français vit sous la dictature de l’urgence de son désir et impose à la société française tout entière cette manière de concevoir l’existence. Au conseil national de l’UMP, le 24 janvier, il poursuivait son idée fixe déclarant que sa politique ne connaissait aucune alternative : ou l’on refonde la capitalisme, ou bien il n’y a rien d’autre que le totalitarisme. Tout comme, durant la campagne, on était avec lui ou contre lui. Voit-il que c’est lui qui instaure le totalitarisme et qu’il en est la première victime et le premier transmetteur ? Le totalitarisme de l’urgence, de l’achat immédiat, de l’argent, de l’image. Il n’y aurait donc aucune alternative à cette façon de vivre ? Il me semble qu’affirmer une telle chose est tomber dans le sectarisme...
Les dégâts que causeront sur le plan éducatif et pour les générations à venir, cet état d’urgence permanent et ces décisions précipitées qui s’enchaînent à grande vitesse et tout à la surface des choses, seront difficilement rattrapables. Le désir de l’enfant est déjà enfermé dans un monde d’illusion, celui du "tout, tout de suite" comme cela se passe dans le virtuel, le jeu vidéo. La politique infantile actuelle ne pourra que l’encourager dans cette tendance à la dépendance, à l’addiction. Deux quinquennats, cela suffit pour modeler les esprits d’une génération. Cette génération aura vécu sous le joug d’hommes politiques soumis à l’immédiateté et à l’exigence de résultats visibles et rapides.
Aujourd’hui, et spécialement en France sous la présidence de Sarkozy, l’individu vit recroquevillé sur son temps présent, oublieux du passé et sacrifiant son projet, voire même le devenir de ses descendants (environnement, dette publique). Il subit la tyrannie de l’immédiateté et abdique sa liberté de choix et le temps qu’il est nécessaire d’accorder à ses choix essentiels.
C’est la fin du "chaque chose en son temps". L’homme moderne ne supporte plus la frustration, ses désirs doivent être satisfaits à tout instant, parce que le temps est devenu "sa" chose, déclare à Ouest-France Nicole Aubert, docteur en sciences des organisations. Il n’y a plus de freins ("y’a plus d’freins" dirait Sarkozy pour aller plus vite). "On veut que le temps soit à notre service. Il n’apparaît plus comme ce qui structure les activités et les événements."
Les gens lents en souffrent. En politique, Sarkozy prend tous les autres de vitesse et en particulier ceux qui peaufinent leur projet et parient sur le temps et une réforme en profondeur de la société ou sur le dialogue démocratique qui exige du temps. Mais dans la société, une telle pression subie au quotidien génère de l’anxiété et une forte consommation de tranquillisants. De l’absentéisme et des suicides aussi. Les dernières décennies ont fait gagner à l’individu un temps important sur les déplacements, les repas. Mais ce temps gagné ne semble pas profiter à son bien-être. Ce sera le cas tant que nous vivrons sous la dictature de l’urgence et de l’immédiateté en toutes choses.
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