Le droit opposable au logement : miroir aux alouettes ou avancée sociale ?
3 200 000 personnes connaissent une problématique forte de mal logement et 100 000 sans domicle fixe attendent des jours meilleurs et surtout un toit convenable. Le droit opposable au logement voté dans la précipitation en mars 2005 ne sera-t-il pour eux qu’un beau miroir aux alouettes, un gadget préélectoral ?
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Selon les derniers chiffres officiels, on compte aujourd’hui aux environs de
- 100 000 sans-abri
- 3 200 000 mal logés dont :
- 50 000 en chambre d’hôtel,
- 41 000 dans des cabanes ou constructions provisoires,
- 10 000 en mobile home ou caravanes camping,
- le reste chez des tiers, en meublés ou hébergements d’accueil...
- à ces chiffres s’ajoutent environ 5 millions de personnes en situation de surpeuplement, habitats n’ayant aucune commodité, taudis, habitats dangereux, etc.
Plus de 8 millions de personnes souffrent du mal logement. Soit plus d’une personne sur huit.
Devant ces chiffres, force est de constater que le droit au logement qui est pourtant inscrit dans la loi depuis plus de vingt ans (loi Quillot en 1982 puis loi Besson en 1990) est un échec.
Dans son 11e rapport présenté en 2005, le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées fit tout d’abord le point sur trois phénomènes liés aux processus d’exclusion en matière de logement : vulnérabilité des ménages pauvres, forte revalorisation des prix de l’immobilier affectant ces ménages, ségrégation spatiale et résistance à la mixité sociale.
S’appuyant sur l’exemple de la « Homelessness Task Force » écossaise et prenant le relais des associations qui le réclamaient depuis longtemps, le Haut Comité proposa de construire un droit au logement opposable pour assurer une « obligation de résultat » de la part de l’Etat et des collectivités locales.
La loi du 5 mars 2007 qui crée ce droit opposable au logement et son décret d’application en cours d’élaboration vont-ils remédier au traitement de ce mal logement ?
Afin de tenter de répondre à cette question :
1. examinons les dispositions du droit au logement opposable,
2. si ces dispositions sont suffisantes et adaptées.
1. LE DROIT OPPOSABLE AU LOGEMENT
En dehors du droit opposable qui constitue la mesure phare de la loi du 5 mars 2007, cette loi, appelée loi Dalo, comporte d’autres mesures destinées à favoriser le développement de l’offre de logements et de places d’hébergement.
- Un droit opposable, qu’est-ce que c’est ?
L’« opposabilité » d’un droit est une notion juridique qui signifie que le droit qui a été reconnu au citoyen peut être « opposé » à une autorité chargée de le mettre en œuvre.
Ceci peut se dire de deux façons :
Le citoyen dispose de voies de recours pour obtenir la mise en œuvre effective de son droit.
La puissance publique a une obligation de résultat.
- Comment est-il défini dans la loi du 5 mars 2007 ?
La loi du 5 mars 2007 offre la possibilité pour toute personne qui réside sur le territoire français de façon régulière et stable et qui n’est pas en mesure d’accéder par ses propres moyens à un logement décent ou de s’y maintenir :
- d’exercer un recours amiable devant une commission départementale de médiation ;
- d’exercer un recours contentieux devant le tribunal administratif pour faire valoir son droit, c’est-à-dire pour se faire attribuer un logement.
- Comment est-il mis en œuvre ?
1. Un recours amiable en premier lieu
Les personnes qui voudront saisir la commission devront au préalable avoir déposé une demande de logement auprès d’un bailleur de logements sociaux.
A défaut d’attribution d’un logement par le bailleur (HLM par exemple) :
§ toute personne satisfaisant aux conditions réglementaires d’accès à un logement locatif social, et qui n’a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande de logement ;
§ toute personne dépourvue de logement ;
§ toute personne menacée d’expulsion sans relogement ;
§ toute personne hébergée ou logée temporairement dans un établissement ou un logement de transition ;
§ toute personne logée dans des locaux impropres à l’habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux ;
§ toute personne logée dans des locaux sur-occupés ou ne présentant pas le caractère d’un logement décent, s’il a au moins un enfant mineur, s’il présente un handicap.
. Toutes ces catégories peuvent donc présenter un recours amiable devant une commission départementale de médiation.
La saisine de la commission peut se faire sans délai pour les demandeurs prioritaires et après un délai d’attente (délais qui seront définis par les arrêtés préfectoraux) pour les autres...
. S’il le souhaite le demandeur peut se faire assister par une association (association dont l’un des objets est l’insertion ou le logement des personnes défavorisées ou association de défense des personnes en situation d’exclusion agréée par le préfet).
Quelle est la portée du recours amiable ?
Dans la mesure où elle reconnaît le demandeur de logement comme prioritaire (c’est-à-dire appartenant aux catégories 2 à 6 définies ci-dessus) et devant se voir attribuer un logement en urgence, la commission détermine en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement, et transmet sa décision au préfet qui est alors tenu de désigner le demandeur à un organisme bailleur social disposant de logements correspondant à la demande.
• Le bailleur procède à l’attribution d’un logement dans le cadre des droits de réservation du préfet (qui représentent environ ¼ des logements locatifs sociaux).
2. Un recours contentieux en second lieu
A la date du 1er décembre 2008, les personnes prioritaires, qui n’auront pas obtenu de logement après avoir saisi la commission, pourront faire un recours contentieux devant le tribunal administratif. (ce droit sera ouvert seulement en 2012 pour les personnes non prioritaires).
Quelle est la portée du recours contentieux ?
Toute personne dont la demande de logement est reconnue prioritaire et urgente par la commission de médiation et qui n’a pas reçu une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut saisir le tribunal administratif.
Le juge saisi doit statuer dans les deux mois.
Le magistrat peut ordonner à l’Etat de loger ou reloger le demandeur et il peut assortir cette obligation d’une astreinte financière qui sera versée non pas au demandeur mais à un fonds d’aménagement urbain.
Il peut également ordonner l’accueil dans une structure d’hébergement, un établissement ou logement de transition ou une résidence hôtelière à vocation sociale.
CE DROIT EST-IL SUFFISANT ET ADAPTE ?
Concernant les bénéficiaires du droit opposable :
- le texte est assez largement ouvert. Dès 2008, il vise une population bien plus étendue que les sans-abris puisqu il concerne toutes les personnes sans logement, celles qui sont logées en foyer et celles qui demeurent dans des logements insalubres ou manifestement trop petits.
En 2012, ce seront tous les ayants droit au logement social.
Les deux critiques que je ferai, c’est l’imprécision de certaines notions, qui risquent de conduire à des discussions nombreuses (comme par exemple la notion de logement sur-occupé...) et d’autre part l’exclusion de principe des étrangers résidant en situation irrégulière.
Concernant la nature du droit opposable :
- le terme de droit opposable semble impropre car il ne s’agit que d’un droit de saisir la justice si on est considéré comme prioritaire par une commission de médiation afin que le juge ordonne le logement, le relogement ou le cas échéant l’accueil en structure adaptée.
Par ailleurs ce droit est restreint :
- Le pouvoir d’appréciation initial sur le bien-fondé et le caractère prioritaire de la demande de logement revient à des commissions de médiation.
Ces commissions décideront souverainement si le demandeur satisfait aux conditions posées par la loi pour exiger de l’Etat le respect de son droit au logement, si les personnes ne sont pas considérées comme prioritaires elles ne pourront pas saisir le juge dans les conditions de la loi.
(Un recours de droit commun semble possible).
Exemple : la commission peut considérer par exemple que le logement n’est pas manifestement insalubre ou sur-occupé, et décider que le requérant n’est pas prioritaire.
- Le pouvoir du juge peut encore limiter ce droit car il peut ordonner un logement ou le placement en structure adaptée quand bien même le demandeur aurait fait une demande de logement stable.
En clair il peut ordonner le logement dans un foyer, une résidence hôtelière ou un logement de transition.
Autrement dit, si le juge ordonne le logement d’un sans-logis en foyer, il aura satisfait à son obligation.
C’est le serpent qui se mord la queue !
L’opposabilité du droit, on le voit est bien faible.
Concernant la procédure à suivre pour faire valoir son droit :
1re étape : faire une demande de logement devant un bailleur social pour avoir un numéro d’enregistrement ;
2e étape : saisir la commission de médiation et attendre sa réponse pour connaître si on est ou non prioritaire. Si la commission ne classe pas en prioritaire, pas de droit. Et si la commission met le dossier de côté parce qu’elle est débordée, pas de droit opposable non plus ! ;
3e étape : attendre l’attribution d’un logement par le bailleur désigné par le préfet ou son représentant ;
4e étape : saisir le tribunal administratif ;
5e étape : attendre la décision du juge et la faire exécuter.
Le juge peut assortir sa décision d’une astreinte, c’est-à-dire d’une sanction pécuniaire.
Oui mais car il y a un oui mais de taille : cette astreinte ne sera pas versée au demandeur du logement mais à un « fonds d’aménagement urbain ».
Autrement dit et en raccourci, c’est l’Etat qui se paie à lui-même.
Si l’affaire n’était pas aussi affligeante il faudrait en rire !
En conclusion
Pour les plus démunis et plus particulièrement les SDF, ce droit opposable n’est pas une bonne réponse à leur situation d’urgence.
La multiplication des lieux d’hébergement dans des conditions décentes en s’assurant de l’accompagnement social le plus souvent nécessaire eût été une meilleure solution. Il eût mieux valu appliquer la loi de 1994 (avec des aménagements) qui oblige les communes à disposer d’une place d’hébergement d’urgence pour 1 000 habitants plutôt qu’à inventer une nouvelle loi qui semble être une véritable usine à gaz.
Elaborée dans la précipitation après l’émotion suscitée par les campements de sans-abri des Enfants de Don Quichotte, en pleine fièvre préélectorale, la loi du 5 mars 2007 risque de rester lettre morte, en se perdant dans les méandres des couloirs des administrations et des palais de justice.
Compte tenu du nombre de mal logés ou de non-logés, les dossiers risquent d’affluer dans les prochains mois auprès des bailleurs sociaux et des commissions de médiation (on attend semble-t-il pas moins de 600 000 demandes).
Compte tenu de la disproportion entre les offres et les demandes, l’Etat risque fort de ne faire que gérer la pénurie.
Pour tenter d’exclure cette éventualité, le comité de suivi chargé de sa mise en oeuvre pousse l’Etat à recourir à des moyens exceptionnels, voire exorbitants du droit commun. Dans son premier rapport, remis le 15 octobre dernier au président de la République, il fait 37 propositions (dont la réhabilitation des logements insalubres, la prévention des expulsions, la mobilisation des logements privés. Il incite aussi l’Etat à évaluer les besoins en logement dans tous les territoires, et de coordonner son action avec les collectivités territoriales pour construire plus. Car ce sont les villes qui détiennent les outils pour construire : urbanisme, politique de l’habitat, action foncière... L’Etat pourrait exercer un droit de préemption dans toutes les villes où il constate un déficit de logements sociaux, etc.
Enfin , la solution du mal logement passe par un bon fonctionnement du marché du logement locatif privé (le désentraver, le rendre plus fluide et plus concurrentiel), le traitement de la pauvreté, de la précarisation, du surendettement qui ne cessent de s’accentuer...
A défaut de prendre le problème à bras-le-corps, le gouvernement actuel risque fort d’avoir des lendemains qui déchantent...
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