Le magistrat rêvé pour l’avocat !
Outreau a mis en pièces quelques professions, mais en a sanctifié deux. Les politiques, qui, avec la commission parlementaire, se créditent d’avoir su porter le fer dans les plaies judiciaires avec une vigueur qui a scandalisé une partie de nos concitoyens, et ravi l’autre. Les avocats, qui ont réussi le tour de force de se fabriquer une innocence et une virginité comme si, auxiliaires de justice, ils n’avaient pas participé à l’élaboration de la procédure et étaient dépourvus de moyens pour en modifier le cours. Pour avoir voulu échapper à un gouvernement des juges, la France est-elle condamnée à subir une république d’avocats ?
Depuis quelques mois, on nous ressasse que la magistrature doit s’imprégner de la culture du doute et le rapporteur de la commission, qui est lui-même avocat, n’est pas le dernier à reprendre cette antienne ! C’est dans la même veine que s’inscrivent les propos d’un grand avocat, Eric Dupond-Moretti, qui, à la suite de l’acquittement le 22 février de deux accusés corses, nous déclare - je cite de mémoire - que " la Cour d’assises n’a pas manqué son rendez-vous avec la Justice ". Le doute, l’acquittement : la magistrature ne serait donc elle-même que si elle venait naturellement se conformer à l’image que le barreau veut avoir d’elle et qu’il affirme idéale ? Cette image offre le grand mérite, pour la défense, de se fabriquer une magistrature "sur mesure" portée vers la compréhension systématique et l’hésitation institutionnalisée.
Mais une magistrature qui ne ferait que douter serait aux antipodes de ce qu’une bonne justice exige. Si l’intelligence exige qu’un dialogue intime oppose sans cesse certitudes et incertitudes, la conviction et son contraire, rien, en revanche, ne serait plus éloigné de cette heureuse délibération que l’envahissement de l’esprit par un atermoiement dévastateur qui ferait perdre aux juges le sens de leur mission et l’efficacité de leur action. Un magistrat, après avoir pesé les scrupules et évalué les interrogations, a pour rôle de trancher, de décider et de statuer. Je devine bien que la défense souhaiterait le voir s’orienter presque à tout coup sur le chemin de l’irrésolution et donc de l’exonération . Cette culture du doute, qui, au vrai, habite l’avocat auquel on pourrait souhaiter sans malice de s’abandonner plutôt à la culture de la vérité, a pour fonction, si on n’y prend garde, de déstabiliser et d’affaiblir, grâce à l’apparente évidence du slogan.
Cela a été remarquablement dit par Michela Marzano dans
un article paru le 20 février dans Libération : " Outreau, notre oubli
de ce qu’est l’humanité". Après avoir rappelé qu’un juge est
précisément celui qui cesse de douter, l’auteur conseille d’axer la
formation à l’Ecole nationale de la magistrature sur l’enseignement de
la philosophie et de l’éthique, sans lesquelles il n’est point de
véritable humanité.
Moi aussi, j’ai dans mon panthéon judiciaire mes avocats préférés. Mais je ne prétends pas artificiellement dessiner l’avocat idéal : celui qui ne me causerait aucun souci.
Plutôt que la culture du doute, évoquons l’intelligence et l’humanité de la justice.
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