Le mépris et l’humour : « Casse-toi, pov’ con ! » n’est pas la meilleure option
La haine ne peut en aucun cas apporter du plaisir car tout comme la jalousie elle ronge par son omniprésence. Si l’amour ne dure qu’un temps, (trois ans selon le réaliste Frédéric Beigbeder), la haine par contre peut se maintenir toute une vie et ne s’éteindre qu’à la disparition de l’autre protagoniste. Seule la mort de l’ennemi est capable d’amener à une sédation de la haine. Quant à la jalousie maladive, si Othello et Desdémone étaient allés le dimanche faire leurs courses à Carrefour ou Ikea, ils se seraient tout juste engueulés à la caisse. Othello n’aurait jamais assassiné son grand amour, mais la passion se serait vite éteinte surtout quand famille et voisins de l’aimée auraient regardé Othello comme un vulgaire métèque un peu trop basané. Shakespeare, heureusement pour la littérature ne connaissait pas les grandes surfaces pour les introduire dans le scénario ! Si la haine et la jalousie mènent à la catastrophe, le mépris par contre autorise une certaine jouissance, surtout quand il est subtil et s’adresse à des parasites, des abrutis et des minables. Cependant, le risque est de mépriser des gens trop vils, trop déplorables et trop stupides pour en tirer quelque mérite. Car à mépriser sans risque on triomphe sans gloire. Et tomber dans le piège de la condescendance ne grandit pas l’homme instruit et raffiné. Malgré tout, il existe indéniablement de la jubilation à traiter « comme de la merde » ceux que l’on méprise, à condition toutefois qu’il n’y ait pas de rapport de hiérarchie et que celui qui est votre cible puisse répliquer et même cogner, en un mot réagir.
Humilier autrui apporte du plaisir, encore faut-il utiliser cet art avec circonspection. On ne traite pas d’emblée un obèse de « gros tas » pour le plaisir, ce serait trop facile. Par contre, on peut utiliser cette réplique comme réponse à une provocation venue d’un adipeux. Au niveau de l’insulte, il en est comme dans les anciens westerns, le premier qui tire est celui qui a tous les torts. Le plus bel exemple de mépris se retrouve dans la tirade des nez de Rostand, où Cyrano se moque de son adversaire et le ridiculise en feignant de se servir à lui-même des sarcasmes que l’autre serait bien incapable de trouver. Mais d’esprit et de lettres hélas, celui qui insulte n’a le plus souvent que celles qui forment le mot sot. Enfin, le sentiment de supériorité apporte une joie intense jusqu’au jour où il se retourne contre vous.
L’humour le plus caustique, le plus drôle est celui qui se moque des travers et des défauts des autres. L’ironie est en soi une forme de mépris. Il faut mettre le doigt là où cela fait mal et avoir les rieurs de son côté. Ainsi, l’entartage réitéré d’un « philosophe » qui le prend de plus en plus mal est une fusée de l’esprit à deux étages. D’abord elle ridiculise, ensuite elle entraine une réaction escomptée. Dans ce cas précis, il s’agit d’un geste, mais c’est avant tout avec les mots que l’on arrive à faire mal surtout aux cuistres et aux pédants. Hélas, au nom d’un assainissement de la parole, on ne peut plus faire la moindre saillie contre quiconque sans devenir suspect. Citons sans aucun ordre hiérarchique, les noirs, les juifs, les arabes, les gros, les mongoliens (Patrick Timsit est bien placé pour le savoir), les handicapés, les homosexuels, les femmes ou même les concierges, comme catégories devenues humoristiquement intouchables. La moralisation de la société s’adresse depuis lors à la parole, à l’écrit mais aussi à la pensée quand elle est exprimée par n’importe quel support rendu public. Certains des bons esprits qui cherchent à diriger les consciences comme jadis les confesseurs, voudrait instituer dès l’école un catéchisme laïc qui apprendrait le sacro-saint respect des différences, utilisant préventivement ce qu’ils appellent hygiène du langage. A force de dire aux petits enfants « il faut aimer les noirs (comme si tous les noirs étaient obligatoirement bons) et ne pas jeter de piles usagées à la poubelle », on risque d’en faire des adultes racistes réactionnels qui n’en auront rien à foutre du tri sélectif uniquement par esprit de contradiction à l’éducation qu’ils auront reçu. Le bon sentiment est contre-productif, il dégouline de façon écœurante sur les bords de la tartine. Les « belles leçons de tolérance » sont le plus souvent de roboratifs pensums sans humour qui incitent à ne pas les suivre tant elles sont lamentables, consensuelles et naïves.
L’humour n’a de limite que son effet comique, si personne ne rit c’est que c’est mauvais. Tout le reste n’est que débat frileux sans grand intérêt. Il ne faut pas demander à l’humour d’être moral et respectueux, ce n’est pas son rôle. Oui, on peut rire de tout et de n’importe quoi et pourquoi pas avec n’importe qui ! Hara-kiri le journal bête et méchant, l’équipe de Reiser, le Professeur Choron et Cavanna osaient tout. En 1970, la couverture « Bal tragique à Colombey, un mort » est un sommet d’arrogance, de provocation inégalée depuis. Combien de comiques paieraient de nos jours pour avoir trouvé un tel titre quitte à en risquer le procès ! L’humour, le vrai est méchant, quand il devient gentil, il ressemble trop à ces blagues de patronages et d’histoires de Toto qui ne font rire que des vieilles filles rassises et les animateurs de salles des fêtes. Jean-Marc Reiser est probablement celui qui a su le mieux mêler ironie, outrecuidance et désespoir. Ses dessins et ses dialogues sont à la fois obscènes, jouissifs et tragiques. La mort, la solitude, le suicide rôdent autour de son personnage du Gros Dégueulasse, sorte de philosophe hédoniste ayant conscience de sa laideur et de ses faiblesses. Dans les derniers albums, se sachant condamné à terme par la maladie, le dessinateur devint de plus en plus amer, bien que n’ayant rien perdu de son mordant. Reiser s’attaque avec un humour féroce aux pères alcooliques et incestueux (arrête Papa, tu me brûles la nuque avec ton mégot est un chef-d’œuvre de dérision), aux mères indignes (Allô, j’ai été un peu débordée ces derniers temps ! La moisissure verte sur les raviolis, c’est toxique pour les gosses ?), aux dragueurs et même aux homosexuels (qu’est-ce que le clitoris d’un pédé, c’est une hémorroïde !). Reiser, plus qu’un dessinateur est avant tout un philosophe réfléchissant sur les vanités de ce monde. Comment mieux traduire le mal-être existentiel l’angoisse face à la vie et la futilité du quotidien, de celui qui n’a plus la possibilité de jouir, si jamais il l’a eu un jour que dans l’affirmation : « Il y a des jours dans la vie où le seul instant de bonheur aura été un pet ! ». Cela est dit d’une manière bien plus explicite que la pensée tragique de Kierkegaard ou de Schopenhauer. Sartre non plus n’aurait pas pu dire mieux et plus juste dans Huis-clos. Jean-Marc Reiser est mort trop tôt, à 42 ans en 1983, alors qu’il avait encore beaucoup à nous apprendre. Et surtout, à rire de tout, en particulier, avec beaucoup plus de tendresse et de poésie que Pierre Desproges, lui aussi mort d’un cancer. La philosophie de Reiser est celle des gens simples, uniquement capables de protester par l’obscénité ou en se suicidant. Mais elle est aussi celle du droit à l’ironie et au sarcasme comme mode d’expression d’une révolte pacifique. Reiser comparait la société à une boite de cassoulet avec ses gens importants, la saucisse et le morceau de lard et les anonymes, les haricots. Qui irait se plaindre et même qui remarquerait qu’il manque un haricot dans la boite ? Le héros de Reiser, qui est un peu lui-même, est ce haricot que tout le monde ignore. Décidément, il faut être en permanence au bord du suicide ou côtoyer la mort pour avoir de l’humour et aimer la vie. L’humour est d’autant plus méritoire qu’il est harcelé, poursuivi, condamné par la morale, la censure et les tribunaux. Jean-Marie Bigard a moins de courage dans son obscénité car la censure est de nos jours moins forte sur la trivialité et la grossièreté. La censure a déplacé son curseur vers d’autres dérapages qui s’attaquent à la pensée commune. Le principal défaut de Dieudonné n’est pas son engagement politique qui peut être contesté car contestable, mais le fait qu’il est devenu de moins en moins drôle. A force d’avoir été attaqué, harcelé et vilipendé il a en perdu son humour, tout comme Lenny Bruce qui ressassait ses procès face à son public qu’il lassa en fin de carrière avec ses sempiternelles jérémiades.
La première leçon d’humour devrait être la suivante : Rien ni personne n’est respectable et encore moins les morts. Un salaud reste un salaud une fois crevé, la seule différence est qu’il ne nuira plus à personne. Hélas, le respect des morts, le culte de la charogne dénoncé dès 1905 par Albert Libertad, l’anarchiste infirme, inhibe toute possibilité de critique lorsque le temps est venu de déclamer des éloges funèbres. Quoi de plus minables que ces hommages rendus à la télévision, jadis par Léon Zitrone et Jean-Claude Brialy et désormais par d’autres ordonnateurs funèbres des médias. L’idéal, à chaque décès d’une personnalité, surtout si elle est « respectable » serait de charger un humoriste de pondre une « dénonciation funèbre » sur sa dépouille encore fumante. Ce serait le meilleur moyen de désacraliser la mort. Certains diront, oui, mais le respect du deuil des familles ! Disons que l’on n’a plus le droit à l’intimité quand on a fait le choix de la célébrité et que l’on a profité matériellement de ses bienfaits. Les morts ont nettement moins besoin de respect que les vivants, beaucoup semblent l’avoir oublié. Le respect des morts dans une société inégalitaire (comme elles le sont finalement toutes) est une insulte crachée à la face des vivants et une offense à leur dignité. Il est de sinistres individus pour lesquels il est totalement légitime d’aller cracher sur la tombe.
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON