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Accueil du site > Actualités > Société > Le pavé et la loi, l’étudiant et le chômeur

Le pavé et la loi, l’étudiant et le chômeur

L’importance et la gravité des événements qui se produisent en France est reconnue presque unanimement, mais personne ne se risque à suggérer que faire, ou à prédire quelles pourront en être les conséquences, alors que l’opposition entre le gouvernement et ceux qui critiquent son action prend désormais l’aspect d’un duel sans merci, plus que celle d’un débat d’idées, entre un nombre très limité de personnages dont le souci apparent est de ne pas perdre la face.

Il y a plusieurs façons d’abattre un pays, un gouvernement ou un système. On peut utiliser l’action directe en faisant appel à des fanatiques suicidaires comme ceux qui ont eu pour mission de d’abattre les deux tours jumelles de New York. On affirme depuis le 11 septembre - et aujourd’hui avec quelques raisons de ne pas se tromper - que les ordres ont été donnés par Al Qaida, mais en définitive de qui s’agit-il ou s’est-il agi réellement, un personnage, un groupe, une nébuleuse de révolutionnaires intégristes ?

La justice des Etats-Unis dispose actuellement d’un détenu qui , ayant confirmé, au-delà de toute espérance, l’authenticité de cette thèse, encourt la peine de mort et recherche la palme du martyr.

En présence d’un autre type de destruction, celui de la détérioration de la situation politique en France, deux cas posent questions. Les réponses qui ont été données ne sont pas complètement satisfaisantes.

Is cui prodest ? A qui cela profite donc ?

D’abord, les émeutes d’octobre/novembre 2005 sont décrites, à juste titre, comme étant le résultat de quatre causes principales, l’humiliation quotidienne, le désespoir engendré par le chômage et la discrimination, et l’illettrisme provoqué par une dégradation de l’enseignement primaire.

Qui était derrière cette révolte d’adolescents et de jeunes hommes ? Probablement les émeutiers eux-mêmes, entraînés par quelques aînés dont on ignore encore les motivations véritables. Mais, contrairement à ce que certains craignaient ou disaient, probablement pas de causes religieuses. Aujourd’hui, des marées humaines qui - quel que soit le temps, battent, ces jours-ci, les pavés ou le goudron urbains de tout l’hexagone. Inutile de rappeler les détails de leurs griefs. Ces foules protestent contre une loi apportant un aménagement nouveau aux premières embauches de jeunes gens sans travail, faute de formation. Et paradoxalement, ce sont ceux qui ont le provilège de pouvoir faire des études supérieures, qui souvent ne les mènent à rien, qui ont pris la direction du mouvement avec l’appui des organisations syndicales. « Ou vous abolissez cette loi, ou bien on continue... », tel est le mot d’ordre, aujourd’hui, l’ultimatum.

Il s’agit d’un phénomène différent de ceux de l’automne. Parmi les étudiants, certains voudraient probablement "se" faire leur Mai 68. Pourtant les causes de ce qu’on pourrait décrire comme une situation insurrectionnelle, tendant à conférer le pouvoir à la rue, tiennent à de nombreux éléments maintenant complexes.

Déjà à mon retour de l’étranger en février 1991, la France me paraissait se trouver dans une situation pré-insurrectionnelle, en raison de la façon dont les syndicats ayant pignon sur rue, comme la CGT, FO, CFDT, CFTC, etc., étaient en train de se faire dépasser par d’autres organisations de défense des travailleurs dans de nombreux conflits sociaux ,dus à des « dégraissages » ou des retructurations effectués par d’importantes entreprises, sans réaction visibles des autorités. Tandis que les conflits sociaux se multipliaient, d’autres organisations, des dures, prenaient forme, en se définissant comme coordinations, comme le syndicat Sud, et en agissant hors des cadres d’actions habituels.

On pourrait, semble-t-il, attribuer à cette mouvance le mouvement anti-européen, auquel se sont joints - comme à un nouveau club à la mode, ou par opportunisme politique -, des membres ou compagnons de route du Parti communiste, divisant en leur sein les membres du Parti socialiste qui fut ainsi doté d’une tendance de plus.

On en connaît le résultat.

Par la suite, le gouvernement fut réveillé par les émeutes et les feux de l’automne 2005. Le pouvoir parut découvrir que le chômage d’une grande partie de la jeunesse constituait le problème le plus grave posé à la France, et la cause principale de ses désordres. Après quelques autres tentatives peu fructueuses en vue de résoudre cette crise, le gouvernement a élaboré et fait adopter par sa majorité une loi qui, bousculant largement le Code du travail, était censée permettre aux chômeurs ou autres jeunes gens de moins de vingt-six ans et sans expérience de trouver un premier emploi d’une durée d’au moins deux ans, tout en laissant à l’employeur la possibilité (interdite par les lois de l’Europe unie) de congédier, sans justification, ses employés recrutés dans ce cadre.

Dans un pays où l’assistanat de l’Etat est devenu un droit acquis, cette loi imaginée et votée sans consultation préalable des partenaire sociaux a fait l’effet d’une bombe. D’autant plus que dans la vie politique de ce pays, on joue plus souvent avec les mots qu’avec les faits. On a ainsi trouvé, pour décrire les effets supposés de la nouvelle loi , un mot symbole, un mot clé qui a été aussitôt adopté par des millions de gens jeunes ou pas : la précarisation. Ce mot est moins humiliant que pauvreté.

Comme si, pratiquement, on découvrait que ce pays était le seul pays du monde affecté par cet état qui menace tout salarié incertain du lendemain, dépendant entièrement d’un monde plus puissant que le sien, celui des employeurs.

A les voir par millions - selon les estimations, le chiffre a varié de un a trois millions - il devint évident que le pays était parvenu à la fin d’un mode de vie et probablement de comportements et habitudes politiques qui, de nos jours, ne correspondent ni aux problèmes à résoudre ni à l’époque. Comment aménager ou remplacer la constitution, modifier les comportements de l’administration dans son ensemble, et des citoyens en particulier, face à la diversité de leurs compatriotes ?

Une partie de la population de ce pays estime avoir - en ces occasions de crises-là - la possibilité de coopter ses nouveaux représentants. Il a été observé par les historiens que de telle crises aiguës se produisent une ou deux fois par siècle. Le phénomène n’est pas nouveau. Il peut devenir sanglant. Dejà, au XVIIe siècle, La Fontaine, qui se trouvait dans une prudente opposition loyale à Sa Majesté, avait écrit une fable sur "les grenouilles qui demandent un roi". L’ennui pour ces batraciens était qu’ils finissaient par être mangés par le héron, qu’ils avait élu... à la main levée (?)

Une des autres causes de la révolte actuelle est la morgue manifestée à l’égard de ce qu’ils nomment les partenaires sociaux . Cet aspect du dialecte officiel permet d’éviter de préciser que d’un côté il y a des syndalistes représentant la puissance des « prolétaires » au salaire minimum, des chômeurs de 18 à 55 ans, et de l’autre, les représentant des chefs d’entreprises dont certains sont des hommes qui, sans pudeur, sont d’une richesse stupéfiante, et utilisent tout leur poids sur une machinerie centrale à leur service. De telle sorte qu’il fallait bien qu’un jour, cela éclate.

Jadis, au XIXe siècle, en Italie, au Pays basque, ou en Irlande, la situation était claire. On crevait de faim. Aucun gouvernement ne venait au secours des populations plongées dans la misère. Ces derniers, sans espoir, n’avaient qu’une solution : émigrer. Il y avait de l’espace aux Etats-Unis, en Australie, en Amérique du Sud. Il n’y a plus d’espace nulle part pour ces fuites en avant. Les populations se trouvant dans une telle misère, dans un tel désespoir, ne sont plus assez nombreuses pour provoquer la création d’organismes d’aide à l’émigration. Pourvues des maigres subsides ou allocations que leur fournit l’Etat, elles ne sont plus tentées d’aller cherche fortune ailleurs. Il n’y a actuellement qu’un million de Français vivant et travaillant à l’étranger, mais il s’agit de professionnels qui ont choisi de faire le saut, de devenir des expatriés, avec la garantie d’un salaire meilleur.

Et d’ailleurs, où aller, comme émigrant aujourd’hui, quand les frontières se ferment devant le flot d’autres émigrants, les crève-la-faim venus du Tiers monde, attirés par les mirages d’une vie européenne dont les télévisions leur apportent une fausse image dans leurs bidonvilles ?

De telle sorte que les pays d’Europe - notamment- se trouvent encombrés par des chercheurs d’emploi par définition improductifs et mal formés.

Une grande majorité de Français, depuis la guerre, a pensé que le fait d’envoyer ses rejetons dans les lycées d’Etat et les facultés (gratuites) ferait d’eux des bourgeois à l’abri du besoin. Si on ne leur a pas appris les bonnes manières - cela se voit - on n’a pas su non plus leur apprendre un métier. A l’exception de ceux qui , presque tous, nés avec une cuillère d’argent dans la bouche, suivent comme par habitude le cursus des classes préparatoires, des concours, puis des grandes écoles et trouvent leur place bien au chaud dans les entreprises familiales ou amies, tous les autres, dont on a voulu faire de respectables petits bourgeois en les laissant entamer sans concours dans les universités des études sans débouchés, sont devenus souvent d’habiles dialecticiens (dans quelles écoles ?) capables de faire des leaders, à la tête d’émeutes. Les meilleurs sont promis à des fonctions de leaders syndicaux, ou à des carrières politiques, voire plus tard, ministérielles. Quant aux autres, on peut effectivement être angoissé à leur sujet.

Même si les émeutes et les manifestations prenaient fin à Pâques, comme on veut le faire croire, le problème ne serait pas résolu, et tôt ou tard, la grosse bulle de l’angoisse et du mécontentement éclatera.

Aussi ! Quelle idée de faire croire à ces jeunes gens qu’ils ont droit à une pension d’étudiant, avant même d’être entré dans le monde des travailleurs !


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9 réactions à cet article    


  • éric (---.---.166.26) 6 avril 2006 13:01

    Je ne vois pas bien où vous voulez en venir. Vous semblez considérer que les classes modestes et moyennes se sont fait « avoir » par l’illusion d’un diplôme tout puissant. Sur ce point je vous rejoints en partie. Mais par ailleurs vous semblez présenter les études comme, uniquement, un moyen de trouver du travail. Est-ce là leur seule fonction ? Je ne le crois pas.


    • ifelhim (---.---.104.168) 6 avril 2006 13:51

      Les études ont essentiellement pour vocation de préparer les jeunes au monde du travail, que ce soit dans la fonction publique ou dans une entreprise, par le savoir, le gout de l’effort ou la vie en communauté (cela dit, il semble que ce soit devenu de la théorie). Les études ont aussi vocation à faire acquerir un savoir minimum (lire, écrire, compter) ainsi qu’un minimum d’esprit critique et de capacités d’analyse.

      Pour le reste, « l’épanouissement personnel » (dont on dit qu’il ne peut être obtenu par le travail et l’effort, parce que confondus, à tort, avec le salariat) ou ce qui peut être qualifié de culture, cela dépend beaucoup trop des sensibilités pour ne passer que par les études. La culture est essentiellement une affaire de gout et malheureusement, actuellement, trop souvent, une affaire de moyens.

      L’école était et n’aurait jamais du cesser, d’être l’endroit on l’on prépare les jeunes à participer à la vie sociale et à sa construction, marchande ou non. Elle semble être vue comme un lieu ou l’on doit se divertir et se faire plaisir, « s’épanouir ». C’est pourtant tout le contraire de la vie, non pas à cause de l’argent, ou du capitalisme, mais parce que notre liberté finit là où commence celle de l’autre et donc, nous amène nécessairement à éprouver des frustrations. L’école a vocation et doit permettre aux jeunes d’apprendre à gérer ces frustrations et être utiles à la société...

      Il m semble que l’on s’épanouit mieux en construisant, collectivement, la société, qu’en étant seul dans son coin ou au milieu de ses pairs, à se faire (ou en avoir l’illusion) égoistement et stérilement plaisir.


    • BB (---.---.241.159) 6 avril 2006 15:23

      Ben non, les études ont essentiellement pour vocation d’apprendre aux jeunes à penser, à se cultiver, à devenir citoyen, à être en capacité d’évoluer.

      Fournir à l’économie des générations formatées en fonction des besoins et laisser le reste de la connaissance et de la culture à l’avenant, serait créer des générations de robots incultes...

      Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine !

      (qui à dit ça ? smiley)


    • Al-Capone (---.---.208.190) 6 avril 2006 22:17

      @BB

      Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine !

      Aucun rapport avec ton propos.

      Les besoins d’une societe organisé ne sont pas contradictoire d’une tete bien faites.

      le monde n’est pas aussi binaire que cela !


    • Pierre-Guy-Raoul Namaspamouss (---.---.201.186) 6 avril 2006 17:48

      1 - Si ceux qui ont abattu les deux tours jumelles de New York voulaient abattre le gouvernement Bush, ça a raté. Ça l’a même conforté et a permis sa réélection et la guerre d’Irak. Cui fecit pas toujours cui prodest... ou alors !!!

      2 - Je voudrais bien connaître le rapport entre les mouvements actuels (généralement responsables et matures) et Mai 1968. En 68 les jeunes voulaient sortir de la société de consommation, aujourd’hui ils veulent (mais ne peuvent) y rentrer.


      • faxtronic (---.---.127.73) 6 avril 2006 18:26

        Pas exactement. Dans les deux cas c’est le refus de la société de consommation. En 68, ce fut un echec, car ceux qui manifestaient était déja des bourgeois qui vivaient dans la société de consommation. Dans le second cas, (refus de la mondialisation, refus de la marchandisation de l’homme), ce sera la même chose, car la france n’est plus libre de son destin, et par consequent n’est plus une veritable démocratie.


      • Al-Capone (---.---.208.190) 6 avril 2006 18:48

        Je suis bien d’accord sur le fait que de rentrée dans la vie professionnelle est tres difficile en France.

        L’ecole est un endroit ou l’on DOIT s’epanouir, encore une fois, je suis d’accord.

        Je dirais que sur ces 2 points, l’on peut regardé une generation qui a pris le pouvoir en 68, qui le tiens toujours et encore aujourd’hui, et dont l’ecole est le reflet.

        Une generation qui revendique une société solidaire, genereuse. Au contraire, elle me semble bien egoiste, aveugle et terriblement hypocrite.

        Et ce qui me fait peur, c’est bien que demographiquement, ils sont et resteront encore longtemps majoritaire, electeurs potentiellement bien plus puissants que leurs rejetons.

        1100 milliards € de dette (une forme d’hypotheque de la richesse des citoyens, de l’etat) 900 milliards € de retraite a approvisionné 250 milliards € de budget annuel de l’etat


        • Al-Capone (---.---.208.190) 6 avril 2006 22:03

          Quand je dis que l’on DOIT s’epanouir a l’ecole, je ne cautionne pas.

          Je dis simplement que l’on ne peut pas vivre dans une societe composé de plus de 70% de fonctionnaires, l’epanouissement supreme !


        • Gio (---.---.162.36) 7 avril 2006 12:45

          L’ecole, les études, c’est fait pour apprendre, dans un premier temps à lire, écrire, compter.

          Premier constat : plus nous « avançons », plus les résultats de notre Education Nationale sont mauvais ! Pourquoi, parceque tout à été dévoyé avec des expressions, des choix faciles, comme « l’école est faite pour l’épanouissement de l’enfant » ou bien « il faut apprendre cela dès l’école » (le code de la route,les gestes de premiers secours ...) au détriment des 3 matières de base. Il est dramatique de voir l’état de méconnaissance de ces 3 bases à l’entrée en 6ème.

          Dans un deuxième temps, collège et Lycée : c’est pour acquérir des connaissances générales qui permettront ultérieurement, et petit à petit, de developper des capacités de réflexion. S’y ajoute l’étude d’une ou deux langues, car le monde est ouvert. Pendant cette période la lecture de romans, de journaux, d’ouvrage historique ou d’approche scientifique sont, en complèment, et selon le goût de l’individu, particulièrement souhaitables, ce à titre individuel.

          Les études supèrieures « théoriques » ou les études plus « spécialisée », pratiques ou théoriques courtes ou longues arrivent enfin pour acquerir des connaissances en vu d’un emploi. Il est possible d’y trouver un épanouissement personnel, mais pas obligatoirement ! Le recherche de cet épanouissement peut se faire individuellement en dehors du champs pur des études. Vouloir à tous prix avoir les deux en même temps dans le cadre des études conduit beaucoup trop de jeunes à choisir des filères sans débouchés. On peut s’éclater en étudiant les lettres, l’histoire ou la sociologie, mais celà ne mennera qu’une toute petite partie de étudiants à un travail lié à ces études. Le plus souvent, il faudra se recycler avant de travailler (beau gachis de temps) ou se former sur le tas, ou pour les plus têtus se voir condamner au chômage.

          Balancer des « pavés » pour exiger un emploi correspondant à des études faites dans des filières connues pour être sans débouchés c’est faire preuve d’un infantilisme primaire. C’est ce que font actuellement certains jeunes, recrutés essentiellement dans ces études de Lettres, Psycho, Socio, Histoire, Géo .... plus de 350.000 étudiants inscrits !!! pour combien de débouchés liés à ces matières ? Au mieux, et je suis très large, 50.000.

          Il y a un prix à payer pour une liberté totale du choix des études « supèrieures ».

          Nous payons un prix pour l’abandon des apprentissages de base dans le primaire.

          Mais ..... il faut surtout ne rien changer . De la folie.

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