Le Québec face au suicide des jeunes
Parmi les jeunes hommes, le Québec enregistre le taux de suicide le plus élevé au monde. Les causes sont nombreuses et complexes, mais l’une d’entre elles trouve ses sources dans les fondements mêmes de notre société : la communication entre les générations s’est brisée depuis l’éclatement des familles. D’après les experts et des membres du tissu associatif montréalais, promouvoir les liens intergénérationnels n’apporterait pas seulement plus d’humanité, mais éviterait également de nombreux suicides.
Sans prétention, le bâtiment aux allures hippies dont les murs décrépis exhibent les couleurs criardes d’anciennes peintures murales accueille tous les jours ceux qui n’en peuvent plus du manque d’humanité de la ville. « Ici, c’est l’endroit idéal contre les maux de notre société », affirme Marc Nisbet, jeune coordinateur des projets intergénérationnels à l’association le Santropol Roulant. En cette belle journée de printemps, l’organisme communautaire situé au coin Duluth et St-Urbain est particulièrement achalandé en individus de tout âge.
« Moi-même, j’étais terrorisé à l’idée de rencontrer des personnes âgées et d’avoir à établir des liens avec elles », concède Marc, avouant qu’il aura fallu une dépression suivie d’un burn-out pour l’inciter à chercher d’authentiques rapports humains. « Les jeunes sont prisonniers dans leur monde, et les aînés aussi, avec pour conséquence la méfiance et la solitude. Lorsqu’on traverse une situation difficile et qu’il n’y a personne pour vous aider autour de vous, alors les idées suicidaires peuvent facilement surgir dans votre esprit ».
Un avis que partage Nathalie Turgeon, psycho-éducatrice au Centre jeunesses de Montréal. L’intervenante externe auprès des jeunes enfants et des adolescents ne passe par quatre chemins pour expliquer, de son bureau situé au centre ville, le taux élevé de suicides chez les jeunes Québécois, "la dégradation des rapports sociaux de ces dernières décennies, avec un éclatement des familles en partie responsable de ce constat". Même si au Québec des programmes pertinents sont mis en place dans les écoles afin de prévenir le suicide chez les jeunes, pour Nathalie Turgeon, beaucoup d’efforts restent encore à faire pour favoriser les liens entre les générations. « Comment voulez-vous préserver le contact entre les grands-parents et leurs petits-enfants, lorsque les parents n’en ont pas avec leur propre progéniture ? », s’insurge-t-elle.
« Les jeunes ont tellement à apprendre des personnes âgées », déclare Marc qui n’en finit pas de saluer autour de lui les habitants du quartier qui le connaissent bien. D’ailleurs, un jeune résident s’empresse de le féliciter de son dernier projet : « Ma grand-mère vous adore, merci pour ce que vous avez fait », déclare-t-il à la hâte. Marc est fier de ses actions qui visent à rapprocher les générations : « Les amitiés qui se forment naturellement entre les personnes âgées et les jeunes permettent d’en finir avec l’image misérabiliste de la vieillesse. Les jeunes peuvent profiter de leurs expériences et n’avoir plus peur de vieillir, tandis que les personnes âgées établissent des liens qui peuvent les libérer de leur isolement ».
« La société doit cesser d’avoir peur de la vieillesse », prévient Nathalie Turgeon qui remarque qu’au Québec, il n’est pas bon d’avoir des faiblesses. « Injustement, les personnes âgées représentent trop souvent des individus inutiles qui n’ont plus rien à offrir. Dans notre mode de vie, ce qui compte c’est la performance, toujours la performance, au détriment des relations humaines. Les aînés ont un rôle très important à jouer auprès des adolescents : la transmission des valeurs, qui est à la base de l’estime de soi par exemple ».
Comment le Québec pourrait-il rétablir le lien entre les générations, si celui-ci n’existe plus ? « Le Québec c’est d’abord et avant tout des individus qui ressentent des émotions. Permettre aux gens de ralentir leur mode de vie effréné afin de se retrouver en famille aiderait sûrement à plus de dialogue », informe Nathalie Turgeon.
Autour des locaux du Santropol Roulant, des causeries portugaises presque chantées s’élèvent d’un groupe d’hommes et de femmes réunis à l’extérieur en cette chaude après-midi de semaine. « Nous sommes localisés en plein cœur du quartier portugais, s’exclame Marc, et pourtant aucun membre de la communauté lusophone n’a éprouvé le besoin de venir chercher du réconfort chez nous. » Pourquoi ? « Eh bien, simplement parce que chez eux, les aînés communiquent encore avec les jeunes ».
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