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Accueil du site > Actualités > Société > Les citoyens au service de la justice

Les citoyens au service de la justice

En l’espace de quelques jours, l’Inspection des services judiciaires a remis son rapport au garde des Sceaux sur l’affaire d’Outreau, en concluant à l’absence de faute disciplinaire ; Nicolas Sarkozy s’est indigné devant cette analyse, de multiples protestations, notamment des acquittés et d’avocats, ont éclaté, Pascal Clément a décidé de saisir le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et les syndicats de magistrats ont dénoncé cette initiative.

J’ai lu le rapport de l’inspection, et on ne peut pas nier qu’il s’agisse, techniquement, d’un remarquable travail descriptif, qui donne une idée très complète de la procédure d’Outreau, de ses péripéties saillantes et du rôle de chaque magistrat, seul ou inséré dans une collégialité. Les dysfonctionnements sont mis en évidence. Les critiques formulées par les avocats contre le juge d’instruction et la Chambre de l’instruction sont examinées et pesées.
Un certain nombre d’orientations sont proposées qui, peu ou prou, rejoignent celles de la commission Vallini-Houillon.

Et puis ? D’où vient qu’en dépit de ce que je viens d’énoncer et qui est incontestable pour tout lecteur de bonne foi, on demeure sur sa faim ? Comme si cet inventaire ne suffisait pas à satisfaire l’attente passionnée de ceux qui espéraient une réflexion plus libre et plus profonde. Plus libre d’abord. On sent à chaque page la volonté de ne pas porter atteinte trop rudement à la hiérarchie - que ce soit celle du Parquet général et de la Chancellerie ou celle du siège et de la Chambre de l’instruction. Il n’y a pas la même retenue au bénéfice du juge Burgaud et du procureur Lesigne.

Alors que la première pouvait pourtant profiter du recul, du retrait, de la distance et du nombre, pour s’obliger à la lucidité, les seconds, englués dans une réalité immédiate et la maîtrisant sans doute mal, étaient incapables de porter un regard critique sur leur activité. Plus profonde surtout. Au-delà de propositions qui, depuis peu, étaient dans l’air du temps judiciaire, il aurait fallu des avancées plus significatives de l’inspection. Elle savait bien, et pour ma part, avec d’autres, je l’avais observé d’emblée, que dans notre système actuel de responsabilité, aucune faute disciplinaire ne pourrait être retenue contre les magistrats étant intervenus à plusieurs niveaux dans cette procédure. Elle aurait pu et dû, cependant, pour éviter l’insoutenable paradoxe d’un désastre collectif risquant de se trouver impuni, engager la réflexion sur des chemins nouveaux. Elle s’est cantonnée, non sans un certain courage dans le climat actuel, à une perception classique et a refusé, par exemple, une mise en cause globale, qui n’aurait pas été absurde puisque les carences singulières cumulées ont entraîné le sinistre dans sa totalité.

Ce qui clairement l’a entravée sur le plan intellectuel, c’est, d’une part, la crainte de voir des fautes disciplinaires dans des comportements qui, pour certains, relevaient de la justice ordinaire. Innovant, elle aurait ouvert une brèche et fait peser sur la quotidienneté judiciaire une épée de Damoclès. D’autre part, c’est une conception très restrictive, même dans le schéma traditionnel, de ce que peut être un comportement fautif. Celui-ci, certes, peut être inspiré par une volonté de porter atteinte aux droits de la défense, mais il me semble qu’il conviendrait d’élargir le champ de l’appréhension en acceptant l’idée de pratiques intrinsèquement absurdes, négligentes ou erratiques. Tout naturellement, comme l’inspection n’a pas mesuré qu’il n’est de bonne technique sans intuition politique, son rapport est apparu scandaleux, comme une provocation.

Alors qu’il est surtout frileux, confit devant l’indépendance du siège et respectueux de la liberté juridictionnelle, même la plus aberrante à la longue. L’inspection, au fond, n’a rien compris à l’opinion publique au nom de laquelle le garde des Sceaux l’a saisie. Pascal Clément, devant cet émoi si justifié, et en politique qu’il est, a décidé de confier cette lourde charge au CSM. Comme pour l’inspection, on peut se demander si le judiciaire (même assisté) est la meilleure structure possible pour évaluer le judiciaire qui a défailli. Mais présumons le meilleur.

Espérons que le CSM, loin des corporatismes qui nous plombent, dominant cette inaptitude à inventer au-delà de nos frontières petitement et jalousement définies, saura offrir aux citoyens, en leur montrant la difficulté de la tâche, une vision nouvelle de la responsabilité judiciaire. Ne pourrait-on concevoir de décréter faute disciplinaire, au gré des nombreuses apparences que cette perversion saura présenter, toute technique d’où, à l’évidence, l’humanité aura été exclue ? Il convient qu’on en finisse, une fois pour toutes, avec cette lamentable schizophrénie qui met la technique d’un côté et l’humain de l’autre, alors que la première n’est efficiente que si elle intègre le second.

Il ne s’agit pas de donner au citoyen une faute disciplinaire comme un os à ronger, pour le distraire. Force est de reconnaître que si la Justice doit être au service des citoyens, dans cette affaire, ce sont les citoyens qui ont été au service de la Justice. C’est parce qu’ils sont présents et qu’ils protestent, c’est parce qu’ils ne comprennent pas nos fausses évidences et nos mystérieuses raisons que la Justice, sa réflexion, sa repentance progressent. Sans eux, point de commission parlementaire, sans eux, pas de saisine du CSM. Sans eux, pas de Justice.


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23 réactions à cet article    


  • dav (---.---.52.20) 16 juin 2006 10:44

    Tout d’abord, il est intolérable, que le chiffre des blessés, lors de ce type d’émeute, soit toujours plus élevé chez les policiers ou gendarmes que chez ces crapules : la retenue dont font preuve les forces de sécurité est tout à leur honneur, mais elle fait le jeu des émeutiers ! S’ils savaient qu’ils risquent de perdre la vie, ils réfléchiraient avant d’agir. Bien sûr, quelques bien-pensants médiatisés crieraient au bannissement des Droits de l’Homme, et que fait-on du droit à la propriété privée inscrite, elle aussi, dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC), du droit à la sécurité publique gravée elle aussi dans la DDHC... ? Secundo, les médias et quelques hommes politiques parlent d’émeutes du mécontentement d’une certaine jeunesse. Je parlerai plutôt d’émeutes raciales : celles des banlieues. Un mode de vie s’est développé dans ces ensembles urbains quelles que soient les régions du pays : vestimentaires avec parkas et bonnets été comme hiver, accent mono-syllabique... De plus, la grande majorité de cette population est étrangère ou refusant toute intégration, prenant le bon et rejetant les contraintes. Qu’on cesse de nous berner en nous affirmant que c’est une recherche difficile de la conformité sociale qui est la principale cause de ces incidents : le mode d’action de ces quelques voyous est inacceptable et force doit rester à la Loi ! Tertio, on note que la plupart des municipalités touchées sont dirigées par des maires de gauche, c’est-à-dire des administrations censées faire du social de façon à rééquilibrer les richesses pour éviter les clivages que nous connaissons actuellement. Le manque de fermeté des différents gouvernements socialisants a nourri cette déliquescence sociale : mise en place des « grands frères », ce qui renforce davantage la ghettoïsation, vigiles « ethniquement conformes » dans les cités difficiles : on ferme les yeux en les confortant dans leurs différences au détriment d’une intégration nationale...


    • dav (---.---.52.20) 16 juin 2006 10:45

      Pour s’intégrer à une Nation, il faut que celle-ci apparaisse comme un modèle, une icône. Or, quand on voit le manque de patriotisme dans lequel est tombé le pays, il peut paraître logique qu’un musulman, paumé ou non, soit attiré par un Ben Laden, ou un terroriste du Djihad qui luttent au risque de leur vie pour une cause. Si on veut que ces banlieusards ne touchent plus à la drogue, il serait bon que nos biens pensants médiatiques s’abstiennent de vanter l’usage de cannabis (cf. Anne Sinclair à Canal +). Et puis, qu’on cesse de chercher des excuses et d’interroger ces fauteurs de troubles qui se font ainsi de la publicité. Le droit français permet d’ôter la nationalité française pour fautes graves : pillages, tentatives de meurtres, déstabilisation d’une ville... sont, je pense, des motifs suffisants !


    • claude (---.---.143.156) 16 juin 2006 12:02

      @ dav

      rien compris de votre intervention, il ne s’agit pas d’émeutes et de problèmes policiers

      il s’agit du drame d’Outreau, de l’enquête initiée par ce terrible fiasco judiciaire, du rapport-guimauve qui en est sorti et du résultat « zéro pointé » qui en résultera même après la saisine auprès du Conseil Supérieur de la Magistrature

      PAS, PLUS D’ILLUSIONS, LA JUSTICE A ÉTÉ ASSASSINÉE


    • Marcel Patoulatchi (---.---.103.59) 17 juin 2006 11:08

      (Dav à posté exactement le même commentaire dans une autre discussion. Ce n’est pas rare en période électorale)


    • Daniel Milan (---.---.162.171) 16 juin 2006 12:09

      Quels sont ces citoyens au service de la justice ? des plus citoyens que les autres ? Parce que je pense et vois que la justice est exclusivement à leur service ! J’attends toujours que la justice me rende justice ! (Je plaisante, je ne suis pas naïf à ce point là !!). Mais obtenir justice, quand on est Français de Souche... et Musulman, ça va être dur !!!...Vous ne pensez pas ?


      • Marcel Patoulatchi (---.---.103.59) 17 juin 2006 11:09

        Laissez-moi deviner : justice vous sera rendue lorsqu’elle se sera rangée à votre point de vue ?


      • Daniel Milan (---.---.162.55) 17 juin 2006 11:20

        « Mon point de vue », Cher Ami, est qu’un flic ou un magistrat délinquant, doivent répondre, au moins de ce qu’ils ont fait, devant des tribunaux. Je ne vois pas en quoi cela serait anormal. Donc dans mon cas, le flics tortionnaires doivent être traduits devant des tribunaux, de même que les magistrats qui ont couvert les faits, ainsi que l’officine qui a délivré une lettre de cachet à mon encontre. Je précise que les faits évoqués reposent sur des examens médicaux, des photos certifiées et des témoignages ! Expliquez-nous en quoi ma démarche vous dérange ?


      • Daniel Milan (---.---.162.171) 16 juin 2006 12:32

        Dav, serait-il un « plus citoyen que les autres », si j’en juge par le contenu raciste de ses posts ?


        • Philippe (---.---.107.18) 16 juin 2006 16:50

          Je n’ai pas écrit,pour Milan,« ces citoyens au service de » mais les citoyens au service de.C’est le peuple qui oblige le respônsable politique à saisir le CSM.Pourquoi toujours vouloir créer des disparités même quand elles ne sont pas dans ma pensée ?


        • Rocla (---.---.130.227) 16 juin 2006 12:48

          Une très grande majorité des travailleurs,employés,cadres,professions libérales,peuvent être sanctionnés pour faute professionnelle ,un magistrat (ou des magistrats)qui commet une aussi grosse bourde comme de mettre des innocents en prison,et qu’ ensuite sa hiérarchie le couvre et qu’ aucun reproche ne puisse lui être fait,ça fait deux poids et deux mesures.

          On peut allonger des milliards de mots pour dire que le juge ( ou les juges ) en question n’ y est pour rien,il n’ y aura pas beaucoup de gens pour le croire.

          Ensuite poursuivre dans ces conditions , en voulant encore et encore défendre cette institution,c’ est à la fin ,prendre le peuple pour un âne.

          Pour être crédible,faut pas tromper le monde, et le noyer par des paroles verbales.

          Pour être respecté,c’ est mieux d’ être respectable.

          Le type qui se fait virer de sa boîte suite à une faute,expliquez-lui qu’ un juge,s’ il se trompe et qu’ il décide d’ envoyer pour un total de 25 ans de zozon à des gens qui passaient par là,lui ,il continue sa carrière et tous les mois jusqu’ à sa retraite il va toucher son salaire,et qu’ ensuite encore il jouira d’ une retraite correspondante.

          Faut-il faire des grands débats télévisés pour comprendre celà ?

          Rocla


          • moala (---.---.21.120) 16 juin 2006 20:17

            Si je comprends bien les propos : d’un côté, celui qui envoie un innocent en prison un certain temps devrait être sanctionné pour faute grave, et de l’autre celui qui remet en liberté quelqu’un qui est coupable a commis un faute grave ; c’est sous-estimer la difficulté de trancher entre l’innocent et le coupable. L’erreur aussi est humaine, d’autant plus vue la difficulté de connaître la vérité. Si l’on devait mettre à la porte tous les magistrats qui envoient par erreur un innocent en prison ou remettent en liberté un coupable, je ne sais pas s’il y aurait encore quelqu’un pour faire fonctionner l’appareil judiciaire. D’autant que je pense que l’immense majorité des personnes sus-mentionnées ont une conscience professionnelle irréprochable. Quelle haine exprimée dans ces commentaires !


          • Rocla (---.---.16.180) 16 juin 2006 21:52

            @ Moala,

            Vous emmetez l’ hypothèse que si l’ on devait mettre à la porte tous les magistrats qui envoient par erreur un innocent en prison,ou remettent un coupable en liberté,vous ne savez pas s’ il resterait quelqun pour faire fonctionner l’ appareil judiciaire. Mais justement,une justice pareille,on met la clé sous la porte et on ferme.Quand on est a pas sur de la culpabilité de quiquonque,on le laisse dehors.La justice n’ est pas le 36 au casino,Quand dessus les épaules on se couvre de blanche hermine,on prend un air serieux,et on prononce des sentences, on est au minimum sur de la culpabilité de celui que l’ on condamne,la relaxe au bénéfice du doute n’ est pas une invention récente.

            Si vous pensez que la justice est faite d’ aussi grossières erreurs,en effet j’ ai la haine,envers des gens qui se permettent cela.

            Une conscience professionnelle irréprochable ne suffit pas ,ou alors dites le ,que les magistrats ont droit de faire n’ importe quoi,puisqu’ils sont magistrats.

            Rocla


          • Marcel Patoulatchi (---.---.103.59) 17 juin 2006 11:17

            Disons qu’il semble ingérable d’exiger des résultats toujours juste de la part des magistrats. Toute décision qui touche l’humain comporte nécessairement une part de risque, tout n’est pas prévisible.

            Le problème, c’est lorsqu’il y a désintérêt manifeste pour les implications d’une décision, lorsqu’il manque de prise en considération manifeste des intérêts au nom desquels un magistrat est doté d’un pouvoir judiciaire.

            C’est le cas lorsqu’un magistrat décide de placer en liberté conditionnelle un individu que l’on sait très fortement risquer de récidiver, sans pouvoir s’assurer un contrôle réel. C’est le cas lorsqu’un magistrat décide ne pas tenir compte de l’obligation qui lui est faite d’instruire à décharge. C’est le cas lorsqu’un magistrat décide de ne pas placer en détention provisoire un mis en cause devant être extradé alors qu’il n’offre aucun gage de représentation et a déjà montré une tendance à la fuite.

            Le droit pénal connaît déjà des fautes involontaires. Il distingue notamment la faute d’imprudence. Ce qui est incriminé, ce n’est pas le fait d’avoir commis une erreur, c’est le fait d’avoir ignoré des consignes et des normes, ce comportement ayant produit l’erreur.

            On peut très bien imaginer un raisonnement analogue pour les fautes disciplinaires concernant les magistrats. Il ne s’agira jamais de demander à un magistrat de prouver qu’il toujours fait le bon choix, il s’agira de lui demander à un magistrat de prouver qu’il a toujours fait pour le mieux en fonction des éléments à sa connaissance.


          • Ben Ouar y Villón Brisefer 16 juin 2006 14:53

            M. Bilger vient d’écrire un article qui nous laisse entndre que le rapport de l’IGSJ est lisible.

            Y a-t-il accès en tant que magistrat ou celui-ci est-il accessible justement aux « citoyens » dont il parle, et à qui il rend un très bel hommage.

            Bravo M. Bilger, Agoravox s’honore des réflexions dont vous voulez bien nous faire part.


            • Philippe (---.---.107.18) 16 juin 2006 16:53

              Il a été rendu public par le ministre.


            • Ingrid (---.---.112.104) 16 juin 2006 18:37

              Deux magistrats qui pourraient éventuellement être sanctionnés, mais toutes les déclarations connues indiquent que le CSM leur est majoritairement favorable. Le CSM a même laissé ces derniers temps « se mettre en avant » un membre de ce Conseil directement impliqué dans l’affaire d’Outreau au titre de la Chambre de l’Instruction de la Cour d’Appel de Douai..

              En réalité, les responsabilités dans cette affaire sont loin d’être celles de deux personnes isolées, tout le monde l’a reconnu sauf une ou deux corporations. Le « geste » de Clément paraît, somme toute, assez dépourvu de signification. Pour 25 ans de prison en tout, et dans un contexte où il y a dix fois ça par an (dixit Sarkozy), c’est même très léger !

              Pascal Clément a tout juste fait une démarche de façade, très amplifiée par des médias briefés, avant les élections de 2007. Mais, comme de plus en plus de justiciables le savent, il est lui-même le conjoint d’un magistrat... N’y avait-il personne d’autre pour occuper le poste de ministre de la Justice ?

              D’ailleurs, la juridiction pénale s’est avérée particulièrement « criante » parce que les gens font de la prison. Mais dans d’autres juridictions, ils y laissent leurs biens, leurs emplois, leurs carrières... et personne n’en parle.

              Et le comportement des avocats, est -il meilleur que ce qu’on reproche aux juges ? Clément n’a pas l’air pressé d’en parler. Mais il est lui-même avocat...


              • Philippe (---.---.107.18) 16 juin 2006 20:15

                Vous vous trompez en ce qui concerne le membre du CSM.


              • Marcel Patoulatchi (---.---.103.59) 17 juin 2006 11:22

                Vous vous désolez des individus laissés sur le carreaux par des magistrats peu consciencieux mais pourtant vous ne trouvez pas d’intérêt à la démarche du garde des Sceaux ?

                Moi j’en vois un qui me semble évident : si le CSM suit l’IGSJ, preuve sera faite qu’un changement législatif est nécessaire pour responsabiliser réellement les magistrats.

                Il est parfois utile de pousser certaines choses jusqu’au bout pour exactement caractériser le problème.


              • CP (---.---.225.246) 17 juin 2006 14:33

                A Marcel Patoulatchi : je pense qu’Ingrid a raison. Clément a fait un geste purement électoraliste sous la pression d’une partie de sa propre majorité politique qui, en 2002, a récupéré une clientèle populaire dont elle a absolument besoin pour 2007. Un cadeau que lui a fait la bande à Jospin avec une politique tellement antipopulaire en 1997-2002, que les gens ont été jusqu’à préférer de voter Le Pen.

                La semaine de manifestations à Paris de la fin du mois de mai dernier, organisée par plusieurs associations de justiciables, a coïncidé avec la Convention de l’UMP sur la Justice. Et l’UMP est le seul parti à avoir reconnu, dans un rapport, que ce qu’elle appelle « les classes moyennes », mais c’est en réalité quiconque gagne plus que le SMIC, se trouvent privées d’un réel accès à la justice pour de simples raisons financières. Mais Clément se situe aux antipodes de ce genre de courant, et ce n’est qu’après les coups de gueule tout autant électoralistes de Sarkozy et d’autres patrons de l’UMP, qu’il a saisi le CSM... sur seulement deux magistrats, parmi les très nombreux qui se sont trouvés impliqués dans l’affaire d’Outreau.

                Paradoxalement, les alliés les plus conséquents de Pascal Clément dans une politique qui tend manifestement à protéger les corporations ont été le Parti Communiste, l’Humanité, certains syndicats... Aussi, des membres de la haute magistrature qu’on a vus s’exprimer en public depuis janvier dernier et qui avaient soutenu en temps utile la politique de Jospin.

                Si j’ai bien lu les dépêches récentes, on nous annonce une « longue instruction » par le Conseil Supérieur de la Magistrature de la saisine de Pascal Clément. S’ils sont assez débrouillards pour la faire durer jusqu’aux élections de 2007, après le monde politique risque d’oublier l’affaire d’Outreau et on pourra laisser les magistrats tranquilles.

                Après tout, des manitous très influents de la politique française toutes tendances confondues pensent que de toute façon il faut évoluer vers une société plus répressive. Le danger est que, dans la pratique, on applique la philosophie bien connue comme quoi « on ne peut pas faire une omelette sans casser des oeufs, etc.... »


              • CP (---.---.225.246) 17 juin 2006 15:15

                A propos de défense des corporations, n’oublions pas, non plus, des notables du PS comme Elisabeth Guigou :

                " lundi 12 juin 2006, 12h26

                Outreau : Mme Guigou « choquée par la chasse à l’homme » contre Burgaud

                PARIS (AFP) - Elisabeth Guigou (PS), ancienne ministre de la Justice, s’est déclarée lundi « choquée par la chasse à l’homme contre le juge Fabrice Burgaud », alors que le procès d’Outreau a été « un millefeuille d’erreurs ».

                « Dans cette affaire, qui a été un drame national (...) il y a eu un millefeuille d’erreurs, la commission d’enquête l’a montré. Pourquoi se focaliser seulement sur le juge Burgaud », s’est-elle demandée, en citant les policiers, certains avocats, les experts, la presse, l’opinion publique. ..."

                Ce n’est pas faux de rappeler que Burgaud et Lesigne ne sont pas les seuls impliqués, que les magistrats ne sont pas non plus les seuls... Mais Mme. Guigou avait-elle demandé UNE SEULE saisine du CSM ? Dire : « C’est la faute à tout le monde » peut aussi être une manière d’effacer les responsabilités. Le PS a-t-il protesté contre le rapport de l’IGSJ ? Je n’en ai pas souvenir.

                Voir aussi, par exemple, sur le rapport qu’il semble bien y avoir entre l’affaire d’Outreau et la politique sécuritaire de la dernière décennie :

                http://www.cmaq.net/fr/node/24698

                http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=10429


              • Ingrid (---.---.51.2) 17 juin 2006 17:03

                Pascal Clément est président du Conseil Général de la Loire :

                http://www.loire.fr/display.jsp?id=c_5661

                A ce titre, c’est un illustre justiciable institutionnel de la juridiction administrative, mais aussi potentiellement d’autres juridictions.

                Pascal Clément a été nommé le 2 juin 2005 ministre de la Justice, Garde des sceaux. La veille, il venait de remporter en tant que représentant du Département de la Loire une importante décision du Conseil d’Etat (274053) qui a fait le tour de la Toile, entre autres à l’adresse :

                http://www.achatpublic.com/dmp/jp/Folder.2004-03-23.0239/AchatPublicBrevePro.2005-06-09.3616

                Il est bien indiqué dans la décision que « le DEPARTEMENT DE LA LOIRE [est] représenté par le président du conseil général... »

                Pascal Clément avait, par l’intermédiaire d’un cabinet d’avocats aux Conseils, demandé au Conseil d’Etat :

                - « d’annuler l’ordonnance du 22 octobre 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Lyon, statuant en application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’une part, a annulé la décision du 27 septembre 2004 de la commission d’appel d’offres du département rejetant l’offre de la société Demars, ensemble la procédure de passation du marché ayant pour objet la restauration extérieure du chevet de l’église du couvent des Cordeliers à Saint-Nizier-sous-Charlieu, d’autre part, lui a enjoint de recommencer la procédure au stade de la mise en concurrence ; »

                - « de rejeter la demande de la société Demars devant le tribunal administratif de Lyon ; »

                Il a obtenu gain de cause. Le lendemain, il était nommé Garde des Sceaux. Voir, pour ceux qui aiment les monuments historiques :

                http://www.loire.fr/display.jsp?id=c_334357

                Mais pourquoi de tels cumuls et mélanges de fonctions et de personnes seraient-ils inévitables dans une république qui compte soixante millions d’habitants ? Ne serait-il bien plus utile d’examiner cette question de fond globale que de faire des exorcismes sur une éventuelle séparation de carrières entre le siège et le parquet ?

                Il me semble qu’Isabelle Debergue a eu raison d’évoquer le caractère très général du problème des mélanges de carrières et de fonctions dans son article du 7 juin :

                http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=10278

                D’ailleurs, dans un autre article :

                http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=9858

                la même auteure avait rappelé les prises de position du CSM en 2004 sur le « problème » des récusations :

                http://www.conseil-superieur-magistrature.fr/actualites.php?id=6

                et proposé que ce Conseil soit remplacé par un

                « Conseil supérieur de l’ordre judiciaire (CSOJ) avec une participation des citoyens et une écoute directe des justiciables... »

                Ce serait une piste à explorer car, pourquoi les justiciables institutionnels auraient-ils « tout naturellement » accès à toutes les instances, et les « autres » justiciables, à savoir LE PEUPLE, ne l’auraient-ils pas ?


                • Plus robert que Redford (---.---.146.186) 18 juin 2006 12:17

                  Bravo à monsieur L’Avocat Général Philippe Bilger ! Je dois admettre que je suis surpris (agréablement) qu’un cador de l’institution judiciaire fasse aussi clairement et élégamment l’autocritique de son institution de tutelle !

                  Ce que je vois transparaitre dans ses propos, c’est la lourdeur de la machine judiciaire en france, une espèce de solidarité plus ou moins malsaine qui voudrait que, chaque acteur sachant qu’il est faillible, se replie derrière sa collectivité en cas de problème, pour se conforter de l’assurance qu’il pourra bénéficier, en cas de souci personnel, de la protection du groupe !

                  Paradoxalement, ne serait il pas bénéfique, pour le citoyen comme pour l’appareil judiciaire, de sanctionner plus « matériellement » les juges, procureurs, etc... ayant commis une (ou des) faute grave, redonnant ainsi aux fonctionnaires de justice la liberté qui accompagne l’assomption de sa responsabilité, non pas de rouage de la machine, mais d’être humain tout simplement ?

                  J’ai picoré, cà et là, sur « senat.fr » les retransmissions de la commission d’enquête Outreau. Toutes les explications techniques concernant les procédures, leurs enchainements et la justification, voire l’excuse des erreurs commises ne sauraient attenuer le DESASTRE que constitue la prestation du juge Burgaud ! Egoistement, je ne puis m’empêcher d’etre quasi terrorisé à l’idée qu’à la suite d’un enchainement incongru de circonstances, je puisse être présenté à un individu aussi dangereux ! Les accusés nous ont présenté un personnage dur, déterminé, limite tortionnaire, et nous regardons un gamin qui bafouille, une lavette qui dégouline en face du rapporteur là où l’on s’attendrait à voir quelqu’un de ferme dans ses convictions !

                  Toutes les professions sont constituées de représentants d’inégale valeur, mais voir l’appareil hiérarchique ne pas se démarquer d’un exemplaire aussi humainement nul de sa corporation ne peut que discréditer totalement l’institution.

                  Je comprends maintenant l’humour des politiques mis en cause dans telle ou telle affaire, adressant aux journalistes la sempiternelle phrase :

                  « J’ai confiance dans la justice de mon pays ! »


                  • Daniel Milan (---.---.162.211) 18 juin 2006 13:22

                    L’Institution judiciaire, ou moins élégemment, mais plus justement, l’appareil judiciaire, vise seulement à noyer le poisson par de pseudo-réformes !!

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