• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Actualités > Société > Les suicides à France télécom : réparer ou reconstruire des relations (...)

Les suicides à France télécom : réparer ou reconstruire des relations sociales de qualité ?

Vingt trois salariés de France Télécom se sont donnés la mort depuis février 2008 selon l’observatoire du stress mis en place par SUD et la CGC-Unsa ! Certes une nécessaire prudence s’impose toujours dans l’appréciation du rôle du travail comme cause de suicide. Et l’on est légitimement en droit de s’interroger pour savoir si la situation de travail est un « co-facteur » d’une situation extraprofessionnelle vécue, elle aussi, comme difficile ou l’élément prépondérant dans le déclenchement de ce geste. Certes ! Mais certains de ces suicides ont été réalisés sur le lieu même du travail, ce qui représente qu’on le veuille ou non, une ultime « mise en scène » conçue tragiquement pour adresser un dernier message.
 
 Il aura donc fallu la succession d’autant de vies humaines que ces hommes et ces femmes ont décidé d’interrompre, pour, qu’un peu stupéfaits, les uns et les autres, redécouvrions quelques vérités premières.
 
 D’abord, comme l’écrivait déjà Emile Durkheim[1], que des causes sociales peuvent expliquer une « disposition collective d’un groupe qui se traduit sous forme de suicides multiples ». Nous redécouvrons ainsi tragiquement que l’Homme est un être social dont la qualité de sa vie est dépendante de la qualité des relations sociales dans lesquelles une part importante de sa vie se déroule ; qu’il n’est pas cet individu dont rêve, pourtant, la sophistique managériale : cet être totalement responsable de sa réussite ou de son bonheur, un être capable de tout « gérer » et de tout contrôler, cet « acteur autonome et responsable » de son travail et des performances de l’entreprise… Nous redécouvrons que le monde social donne ce qu’il y a de plus rare : de la reconnaissance, de la considération. C’est-à-dire, tout simplement, une raison d’être. Et qu’il arrive qu’un « monde social » (comme celui d’une collectivité de travail) soit dans un état tel qu’il ne puisse plus proposer ni reconnaissance, ni considération.
 
 Nous redécouvrons aussi que la qualités des relations sociales dans le monde du travail se sont incroyablement dégradées, pour atteindre, semble-t-il, un niveau critique chez France Télécom. Certaines causes de cette dégradation sont aujourd’hui bien connues, identifiées et analysées. Citons, sans prétendre à l’exhaustivité, l’augmentation de la part substantielle des relations dans l’activité de travail ; la transformation de la « nature » du travail qui ne peut plus se penser sous le registre mécanique de l’effort, de la dépense énergétique sous l’effet des tendances à l’automatisation, à la tertiarisation et à l’abstraction croissante du travail ; l’intensification du travail lui-même, dans un contexte d’exacerbation de la concurrence et du chômage de masse ; l’effritement de la solidarité entre salariés sous l’effet notamment de la crainte des suppressions d’emplois et de la diversification des situations et des statuts à l’intérieur d’un même lieu de travail, etc.
 
 Autant d’évolutions récentes qui ont mis à mal les organisations dans lesquelles les salariés évoluent chaque jour, des organisations où le « collectif » (le groupe intermédiaire qui, par des effets de solidarité professionnelle, produisait pour chacun une certaine protection), se délite. Des évolutions qui ont vu également se développer une topique managériale de la performance individuelle qui laisse sous-entendre au salarié qu’on attend tout ( !) de lui et qu’il n’a pas droit à l’erreur, le genre de message qui engendre, presque inévitablement, la crainte de ne « pas pouvoir être à la hauteur ».
 
 Mais la stupéfaction passée, il faut bien avouer que le travail nécessaire à reconstruire des conditions permettant de renouer avec des relations sociales au travail qui soient de qualité, ne sera pas une mince affaire, à France Télécom comme ailleurs. Et l’embauche de responsables des Ressources Humaines de proximité et de médecin du travail (comme au Technocentre de Renault Guyancourt dernièrement) n’y suffiront pas. Une des conditions nécessaires (mais sans doute loin d’être suffisante) pour que cette reconstruction soit possible serait que s’engage durablement des négociations, entre représentants du personnel et direction, qui porteraient à la fois sur les conditions dans lesquelles les salariés travaillent, les objectifs de productivité souvent irréalistes qui leur sont fixés à chacun et la remise en cause du modèle de management centré sur la performance individuelle (pour lui substituer un modèle de management plus collectif). Autant dire des négociations qui porteraient sur la remise en cause du modèle d’entreprise actuel ! Il n’est pas certain, dans le contexte d’évolutions que j’ai rapidement esquissé, que de telles négociations puissent être simplement envisageables. Plus vraisemblablement, y sera préféré, une nouvelle fois, un dispositif chargé de réparer les désastres psychologiques provoqués, au fond, par la carence des responsables de l’entreprise à organiser des relations sociales qui soient simplement… vivables.


[1] Le suicide. Etude de sociologie.

Moyenne des avis sur cet article :  3.29/5   (7 votes)




Réagissez à l'article

15 réactions à cet article    


  • manusan 16 septembre 2009 10:33

    travailler plus pour mourir plus.


    • Gazi BORAT 16 septembre 2009 11:08

      @ CALMOS

      C’est, dit avec plus de formes, le même discours que celui tenu par Didier Lombard hier au JT.

      La difficulté à s’adapter au « changement de culture » au « contexte concurrentiel », au « défi des nouvelles technologies », etc, etc...

      Il a même évoqué, à propos de ces suicides, une « mode ».

      C’est simple : le struggle for life«  : seuls les plus forts survivent...

      Les »encore fonctionnaires« de la police, eux non plus ne se sont pas adaptés au changement.

      Certains continuent parfois de jouer à la roulette russe dans leurs vestiaires, comme au temps de la dotation en revolvers Manurhin :

      http://asbrtir.free.fr/images/MR73.jpg

      .. sans s’être rendu compte qu’avec les nouveaux pistolets automatiques, on gagnait à tous les coups !

      Et on nous parle du »mal-être« des »forces de l’ordre" : problème d’adaptation, c’est tout..

      gAZi bORAt


    • Fergus Fergus 16 septembre 2009 13:04

      Eh oui, pas grave ce phénomène, ce n’est qu’une « mode » !


    • Fergus Fergus 16 septembre 2009 13:13

      A ce détail près, Calmos, que certaines de ces entreprises ont déjà un statut de SA (Air France, GDF, EDF). Quant aux autres, elles ont conservé le statut d’EPIC (Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial), un statut de droit... privé, toutefois différencié du droit commun.
      Avec des avantages (notamment la garantie de l’emploi, mais de moins en moins pour toutes les catégories de personnel), mais aussi des inconvénients. Entre autres (en référence à un récent débat) de ne bénéficier, pour les femmes, que d’un an par enfant contre deux dans le privé !


    • titi titi 16 septembre 2009 19:15

      « notamment la garantie de l’emploi, »
      Bah voilà LA différence


    • Senatus populusque (Courouve) Claude Courouve 16 septembre 2009 14:46

      Le taux annuel de suicides en France est de 21 pour 100 000 habitants ;

      Pour France Télécom France, 106 000 salariés, c’est 23 sur 18 mois, soit 15 pour 100 000 de taux annuel.

      Faut-il que le niveau d’arithmértique des Français ait baissé pour que l’on entretienne un tel battage autour d’un pseudo-phénomène !

      Et pour une fois, Internet alimente la désinformation.

      La mauvaise foi syndicale n’aura jamais été aussi évidente ; et dire que ces connards reçoivent des fonds publics !


      • Gazi BORAT 16 septembre 2009 14:51

        « PSEUDO-PHENOMENE ? »

        Le cas de FT est particulier puisqu’ont été comptabilisé des suicides où directement a été établi un lien indéniable avec le travail : suicides sur le lieu de travail, courriers d’adieux et avertissements au médecin du travail...

        Mettre en corrélation ces cas avec la moyenne nationale où sont inclus les suicides d’adolescents ?

        Un peu maladroit, non ?

        gAZi bORAt


      • Polemikvictor Polemikvictor 16 septembre 2009 16:00

        Enfin un peu de lucidité !
        Les suicides à france télécom sont inférieur à la moyenne française pour la tranche d’age considérée, un coup de Google et l’info est facile à trouver.
        A force de chercher à communiquer et à polemiquer sur n’importe qu’el sujet, la presse oublie sa raison d’etre qui est d’informer.


      • Gazi BORAT 16 septembre 2009 16:12

        Curieux, ce déni..

        qui omet la question de la motivation du suicide et du lien avec le travail !

        Mezalors, qu’en est-il pour des entreprises de taille similaire ? On s’y jette tout autant par la fenètre ?

        Et comment expliquer alors l’attitude de la direction de Renault, qui s’est pourtant mobilisée pour un taux de suicide moindre ?

        Ne me parlez pas d’attitude commerciale.. L’acheteur moyen de Mégane se fiche tout autant du taux de suicide chez le fabricant que l’amateur de Nike ses conditions de travail des ouvriers qui les ont cousues..

        gAZi bORAt


      • Polemikvictor Polemikvictor 16 septembre 2009 19:25

        C’est curieux d’assimiler la verité des chiffres à un déni ! Etre dominé par son émotion n’est pas le role d’un individu instruit et responsable.
        L’émotion lié a ces drames humains ne doit pas empécher ceux qui sont capables de prendre la réalité avec un peu de recul de le faire.
        Sinon, si vous voulez faire de polemique, interessez vous aux suicides dans les maisons de retraite : à priori ils sont 5 fois plus nombreux que chez France Télécom.


      • Francis, agnotologue JL 17 septembre 2009 09:20

        Dans Le Monde Diplomatique de ce mois on peut lire ceci :

        « Dans le privé on incite les salariés à faire preuve des valeurs du service public et parallèlement, dans le service public ont impose des méthodes de management issues du privé ». (je cite de mémoire).

        Je trouve que cette réflexion est excellente : c’est la délmonsrtration que se met en place en nivellement par le bas entre privé et public au détriment des salariés.

        L’autre jour, Jean Michel Aphatie avec sa gouaille trompeuse disait, je cite : France Télécom en France c’est 100 000 salariés, dont 60 000 fonctionnaires et 40 000 commerciaux".

        Il illustre parfaitement la confusion qui existe dans l’esprit de ces gens qui font l’opinion entre les deux secteurs. Aphatie mélange les genres : on peut très bien être fonctionnaire et commercial ! Il n’y a pas à FT, des fonctionnaires et des commerciaux, mais des fonctionnaires et des contractuels. Nuance !


        • savouret 17 septembre 2009 10:05

          il me semble que certains commentaires se caractérisent par une volonté d ’aveuglement par rapport aux méfaits d ’un management qui tend à déshumaniser les salariés.plus globalement, comme le fait remarquer judicieusement tomimarus 45 , il y a incontestablement un affaiblissement des solidarités dans le monde du travail en raison notamment de l’enracinement des dogmes néolibéraux .

          ceci ne peut que contribuer à l’essor des suicides , car les salariés sont donc de plus en plus vulnérables face aux injonctions de l’entreprise .les solutions à ce problème réel, qui n ’est pas qu’une construction médiatique, doivent donc etre trouvées en amont.

          il s ’agit alors de réhabiliter les notion d ’interet collectif,de service public,de solidarité , et donc en définitive de rompre réellement et non pas seulement dans les discours avec les postulats du néolibéralisme, dont la faillite est patente comme le démontre la crise polymorphe à laquelle nous sommes confrontés.


          • Serge Serge 17 septembre 2009 11:46

            Combien est révélatrice la déclaration du PDG Lombard ( « un point d’arrêt à cette MODE DU SUICIDE !!! » ) sur la négation de l’humain dans une économie libérale...sans parler du cynisme !
            Mais combien est encore plus révélatrice sa lamentable et laborieuse explication face aux multiples protestations...Il s’est excusé ( sic... ) en affirmant avoir...« par erreur utilisé le mot mode qui était la traduction du mot mood en anglais. »

            Ainsi donc le PDG de « France-Telecom » pense d’abord en Angais...cela en dit long sur le « management » à l’anglo-saxonne ( avec tout son mépris pour l’humain et les yeux fixés sur la courbe des profits !!! ) qui envahit nos entreprises.

            Petite précision...« mood » signifie « humeur »...quel rapport avec mode ? Sinon que ses « excuses » sont encore plus cyniques que sa déclaration première !


            • MKL 17 septembre 2009 15:45

              Notre société se désintègre sous nos yeux, et la cause en est connue de tous : le CHOMAGE et la PRECARITE DE MASSE.

              Dans une situation comme la nôtre avec plus de 5 millions de chômeurs/rmistes et des millions de précaires à 700€/mois, ceux qui ont encore la chance d’avoir un « bon » job correctement rémunéré, s’y accrochent jusqu’à ce qu’à l’extrême limite mort s’en suive...

              Ils n’ont plus vraiment la liberté qu’avaient les actifs des années 60/70 de démissionner en cas de pression trop pesante.

              La solution consisterait donc à « casser » le chômage et la précarité pour rééquilibrer le rapport de force employeur/salarié.

              Et c’est possible !

              La semaine de 4 jours est un concept expérimenté depuis 12 ans dans 400 PME (Mamie Nova, Fleury Michon, Monique Ranou, petits commerces, auto-écoles, restaurants, entreprises artisanales, labos de recherche, petites SSII informatiques...).
              Sa généralisation créerait au minimum 1.6 millions d’emplois CDI/temps plein sans ruiner les entreprises, ni l’état, ni les salariés (études INSEE - Caisse des Dépôts et Consignations).

              Témoignage d’un collaborateur :
              « Je travaille comme freelance pour une entreprise, dont le personnel est à la semaine de quatre jours. Je peux vous dire que c’est très agréable, on sent des gens heureux de vivre ! Bon, parfois il faut attendre un peu pour avoir certaines réponses, mais il n’y a pas mort d’homme ! »

              Cette solution a même été soutenue il y a quelques années par des membres du gouvernement actuel !

              http://www.nouvellegauche.fr/vaincre-chomage/


              • iris 17 septembre 2009 17:49

                dans les pme et pme les conditions de travail sont bcp + dures que les grandes stes comme FT ou autres ont connues par le passé-cela n’excuse pas les harcèlement moraux -inadmissibles-
                et qui ont commencé dans les pme il ya longtemps-environ 15ans -j’en ai subit un-
                les dirigenant sont coupables
                mais dans le privé-pme+pte on est obligé de passer sur bcp de chose pour ne pas se faire virer-on en prend l’habitude et pas de syndicats pour vous défendre !!

                et pendant la crise du textile qui a vu pleins de femmes sur le carreau combien auraient pu se suicider !
                combien de suicides ont eu lieu par désespoir ??dans des pme et pte-
                autant qu’a FT mais c’est plus dispersé et les médias ne s’y interesse pas-c’esp - frappant pour les infos-

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès