Les trois loulous
Je vous ai déjà parlé de mon métier. Il réserve bien des surprises, comme celle qui m’est arrrivée hier. Récit d’ Une journée d’Ivan Denissovitch, alias Morice, l’informaticien aux nombreuses casquettes inattendues. L’informatique je vous rassure, n’est pas un goulag, surtout la mienne. Mais la vie en est déjà un, à 17 ans, pour certains gamins, rencontrés par hasard aujourd’hui. Récit de ma rencontre du troisième type avec trois loulous à côté de leurs pompes.
Hier donc, avant que je ne me jette sur l’actualité pour vous pondre tardivement un article sur les sous-marins, j’étais une nouvelle fois parti en mission. Façon Blues Brothers, l’i-Pod aux oreilles en train de découvrir un duo de guitaristes assez phénoménaux dont je vous parlerai une autre fois, promis. Mission du jour, installer trois Imac et des softs, un de 24 et deux de 19 pouces et un MacBook, le tout en Mac et Windows (déjà, je me bouche le nez là). Arrivé chez le client, petit café sympa, mon pote Pierre, 66 balais, ancien commando de l’armée (et pas du genre frimeur !) et fringuant comme un jeune pape est là : c’est le dieu de la compta, et celui des histoires du passé de son quartier, à raconter encore et encore. J’adore. Il a toujours l’anecdote savoureuse et le verbe enjoué. Bref, un vrai régal de bosser avec : en prime c’est un fin gourmet, ce baroudeur, qui vous mijote lui-même des confitures à se taper le derrière par terre : confiture au potiron, un délice, confiture au tomates vertes, un régal... et le midi osso bucco, avec un os a moëlle de dinosaure ou presque tout droit sorti de la boucherie de son pote arabe, la meilleure du quartier de Tourcoing bien entendu. Bref, tout s’annonce parfaitement : le patron de l’entreprise est un homme de cœur, une vrai self-made man qui a commencé à quatorze ans sous une cardeuse et est aujourd’hui à la tête d’une entreprise internationale d’export de machines textiles. Rompu aux palm-tops : après avoir épuisé un Palm, qu’il n’a pas trop apprécié, le voilà féru d’iPhone Sans oublier sa charmante fille qui m’accueille avec un "ha,vous allez être content, je suis enceinte " ’(elle élève un petit bout de chou de 7ans qui est adorable, mais qui se sentait seul sans doute ! ).Tout va bien. A 11 heures , coup de fil du pote du patron, prof de formation commerciale, lui annonçant que trois stagiaires vont passer pour se renseigner sur les prochains stages chez lui. OK. A 12H30, alors que je suis en train de finir le Mac portable, Patrick, c’est le prénom du patron, m’invite à déjeûner chez lui, à la bonne franquette bien entendu. Ça ne se refuse pas, on va réinventer le monde une nouvelle fois devant une Afflighem. Cool. On part, non sans avoir veillé à fermer soigneusement à clé le bureau.
13H45 : on revient, on entre dans le bureau : les trois Imacs sont là, plutôt imposants, et à la place du portable, il y a... son chargeur. Envolé, disparu, a plus d’Ibook. On se précipite dehors, pour demander à un couvreur sur zinc qui était en train de réparer le toit d’à côté. L’homme confirme avoir vu trois jeunes, dont un à cagoule resté à l’extérieur et deux qui semblent bien être rentré dans l’entreprise. Pour cela, il faut connaître : il y a effectivement une porte dérobée, dans un accès connu que des initiés de la maison. Notre couvreur confirme, "trois, que je saurais reconnaître". Une idée nous vient alors : un rapide coup de fil au professeur des stagiaires nous informe que cette après midi il y a un absent sur les trois censés venir démarcher l’entreprise. Le prof ne se fait pas prier pour nous amener un trombinoscope des ses classes, apporté à peine vingt minutes après. On le soumet à notre couvreur observateur, qui très vite pointe trois visages, sans aucune hésitation. C’est bon, direction le commissariat. La fille du patron y va, son père part voir son assureur, et je reste seul dans l’entreprise (Pierre étant parti faire de la compta ailleurs). Et voilà qu’arrivent deux jeunes, dont un encagoulé. Qui frappent poliment à la porte, et qui demandent sans rire comment se passent les stages ici : ce sont deux des trois loustics soupçonnés du vol, leur photo traîne encore sur le bureau et je n’ai que quelques secondes pour la dissimuler !!
Des petits malins, ou de parfaits inconscients ? Je penche pour la deuxième solution, à les entendre répondre aux questions que je leur pose. Je les reçois donc, étant seul dans l’entreprise, leur expliquant que cette dernière est munie de caméras enregistreuses que je viens d’installer, et qui ont fonctionné ce midi. J’avoue que c’est faux, une caméra sur IP a bien été commandée mais je ne l’ai pas encore reçue ! L’un des deux blémit. J’insiste, voyant que ça mord. L’un des deux jeunes, aussitôt, fond sur son voisin "je te l’avais dit que ce n’était pas une bonne idée". Le gars, en deux minutes, a tout avoué. Me voilà maintenant à jouer les commissaires de police : "alors, comme ça, c’est l’un d’entre vous qui l’a chouravé ? "Oui, m’sieur, mais c’est pas nous, c’est le troisième". Je passe alors curé au confessionnal : "ah, tu sais ça sert à rien de dire que celui qui a fait le garde pendant que l’autre volait n’a rien fait et ne sera pas condamné : le tarif, pour un juge, est le même, ça s’appelle complicité de vol". "Ouais, mais bon, puisque je vous dis que je n’ai rien fait, moi !". "Ben si, puisque l’ordinateur n’est plus là". La confession continue sur le même ton, celui de l’irresponsabilité, je passe alors au tempo milicien : "bon, si je comprends bien, à moins d’une expédition punitive chez le troisième, on ne va pas revoir la machine ?" Ah, tiens, le propos porte : "ah, mais on peut le rapporter, l’ordinateur, M’sieu". J’enfile alors mon costume d’assistante sociale : "bon, et bien voilà, vous rapportez le bidule avant 17 heures, et je téléphone aussitôt au commissariat pour effacer la main courante". Costard de prof de droit dans les secondes qui suivent : explication de textes sur le mot "main-courante". Tous les deux savent à quoi ça ressemble, visiblement, mais ne savent pas pourquoi ça s’appelle comme ça ! Je mets ensuite ma casquette de standardiste, le téléphone sonne : c’est la fille du patron, qui explique qu’au commissariat, ils ont des cahiers de 48 pages pleins sur au moins deux des loulous. Délinquance depuis l’âge de...12 ans, vols divers, dont plusieurs à l’étalage, déprédations, tabassages, menaces, tapages nocturnes, la totale. Je me retourne vers mes deux loulous, déguisé cette fois en père fouettard : "bon, vous avez entendu ? 17 heures, l’ordi ici, là, et on n’en parle plus".
Et c’est ainsi qu’à 17 heures, à mon grand étonnement, à vrai dire, la machine est ressortie intacte d’un sac à dos marqué RipCurl. Pas une marque dessus, à part des traces d’empeintes à faire défaillir un enquêteur stagiaire de NCIS. Mes deux loulous repartent, la queue entre les jambes, l’un d’entre eux ose bien un "et on n’a même pas de merci"... décoché entre les lêvres serrées, qui lui vaut un "parce qu’il faut dire merci, maintenant, aux voleurs ?" qu’il n’apprécie que moyennement. Au commissariat, on efface la plainte. Les trois loulous sont de toute manière convoqués le lendemain dans leur école à la suite d’un conseil de classe extraordinaire demandant leur exclusion. Demain, ils auront encore plus de temps devant eux pour se promener, et entrer dans les entreprises. Mais cette fois sans pouvoir demander de stage. Le prochain, pour eux, est déjà tout tracé : ce sera la centrale de Loos ou celle de Longuenesse. Et peut être même bien que demain, j’ouvrirai mon journal et apprendrai qu’un de mes loustics s’est pendu. La vie en entonnoir, ça s’appelle, pour eux. Pauvres gamins. Perdus, irresponsables, prêts à dénoncer n’importe qui, prêts à tout, sans vouloir en accepter les conséquences. Comment en sont-ils (déjà) arrivés là ? Venus pour obtenir un stage, ils sont repartis avec l’ordinateur du patron !
Bref, ce jour là, j’ai à nouveau connu les joies du métier. En à peine une journée, j’ai fait informaticien, prof, curé, commissaire de police et coach d’ados. Le soir je rentre, et je tombe sur ça sur Agoravox. "Notre Morice doit bouder......quelques vacances ?....ou il recherche des infos sur la NASA ? ?" dit un post. Même pas, je n’ai même pas enfilé le costume de cosmonaute, aujourd’hui. Je n’avais pas ça dans ma garde robe ce matin. De mon temps, ça faisait rêver, pour mes trois loulous, qui ne savent plus rêver depuis longtemps ou n’ont jamais appris à le faire, voler, c’est pas comme ça qu’on fait.
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