La loi pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005 a été l’occasion d’impulser un
changement important d’état d’esprit et de point de vue. Mais de vieux réflexes
ressurgissent, les tentations de ralentir, de retourner en arrière ne manquent
pas. L’anniversaire de cette loi doit donner l’occasion d’impulser un nouveau
souffle et de traduire encore plus dans les faits cette révolution des
mentalités. Interview du député Jean-François Chossy.
11 février 2005 - 11 février 2010 : cela fait cinq ans que la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a été adoptée. Quel bilan peut-on dresser ? Contrairement à la loi de 1975, on peut d’emblée affirmer que la plupart de ses textes d’application ont été publiés même si un certain nombre restent encore à paraître. Autre matière à satisfaction, le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) souligne ainsi la participation des personnes handicapées et de leur famille aux instances de décision des Maisons départementales du handicap (MDPH) et de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Enfin, la réforme a beaucoup contribué au changement du regard porté par la société française sur le handicap. Les principes de la loi continuent donc de se diffuser : à l’inadaptation de la cité, la loi répond par « l’accès à tout pour tous » ; aux conséquences des déficiences de la personne, elle répond par la reconnaissance d’un droit à compensation des conséquences du handicap par la solidarité nationale. Sans doute est-ce dans la mise en pratique de ces principes qu’il faut chercher les défauts. Mais c’est justement là que les personnes handicapées, leur famille, leurs représentants, les associations sont les plus immédiatement concernés.
Retour en arrière
Ainsi, un certain nombre de décisions prises par les pouvoirs publics donnent la sensation que l’on s’assied sur les principes édictés par cette loi : l’Éducation nationale n’est-elle pas depuis 4 ans exonérée de sa contribution au fonds pour l’insertion des personnes handicapées ? Le gouvernement n’a-t-il pas fait voter en décembre un article (heureusement supprimé par le Conseil constitutionnel) qui autorisait des dérogations aux règles d’accessibilité des bâtiments neufs pour les personnes handicapées ? Et dernièrement, le durcissement des sanctions financières pour les entreprises n’embauchant aucun travailleur handicapé, initialement prévu au 1er janvier, n’a-t-il pas été reporté de quelques mois pour les PME, en raison de la crise ? Alors que le taux de chômage des personnes handicapées reste deux fois supérieur à celui des travailleurs valides ?
Évolutions et sur-place
La crise actuelle fait planer le doute sur l’amélioration de la situation. On sent dans la façon d’appréhender le handicap, un changement important des mentalités tant dans le secteur public que dans le secteur privé, mais cette évolution, 5 ans après, ne s’est toujours pas traduite en termes d’emploi pour les travail -leurs handicapés. Même crainte du côté de l’accessibilité. Le CNCPH souligne que les objectifs de la loi risquent de ne pas être tenus d’ici au 1er janvier 2015. En ce qui concerne les nouvelles MDPH, beaucoup s’accordent à dénoncer les inégalités de traitement qui prévalent désormais d’un département à l’autre sans compter que de nombreux dysfonctionnements touchent ces établissements : les MDPH sont, aujourd’hui encore, confrontées à de sérieuses difficultés, qu’il s’agisse de leurs moyens humains ou de leurs moyens financiers. Les engagements initiaux ne sont pas toujours respectés, et de nouvelles missions - donc de nouvelles charges - leur ont été confiées. D’une manière générale, les membres du CNCPH pensent qu’il existe un décalage entre les dispositifs mis en œuvre et les réalités difficiles que vivent les personnes handicapées sur le terrain. De plus, la réforme des collectivités qui s’annonce, amène à s’interroger sur le devenir des MDPH dans leur système de fonctionnement actuel. Les acteurs politiques partagent-ils cette analyse ?
INTERVIEW
« Oui, il y a des dispositions qui ont été retardées ! »
Jean-François Chossy, député UMP de la Loire, a été le rapporteur de la loi sur le handicap de 2005.
Vous avez joué un rôle majeur dans l’adoption de cette loi. Quel bilan en tirez-vous ?
J e a n - F r a n ç o i s Chossy : Cette loi a suscité beaucoup d’espoir pour les personnes concernées, les associations, les personnes handicapées, leur entourage. Sa mise en œuvre a pris un certain temps, même si ses décrets sont sortis dans les meilleurs temps, comme le texte de loi l’exigeait ! Ce n’est pas juste une question de volonté, c’est surtout une question de moyens. Sur ce plan, je suis moins sûr que nous obtenions tous ceux dont nous avons besoin. Tout ne fonctionne pas de façon optimum, on a pu le constater au niveau des MDPH qui ne sont pas toutes performantes. Chacun est bien conscient de ces difficultés et chacun de vos adhérents le sait.
L’esprit de la loi vous paraît-il tout le temps respecté ?
J.-F.C. : Il existe un décalage entre l’esprit de la loi et la réalité sur le terrain. Oui, il y a des dispositions qui ont été retardées. Concernant le renforcement de la contribution Agefiph pour les PME, je peux le comprendre : avec la crise, des entreprises font face à des problèmes de trésorerie. On n’a pas annulé cette disposition, on l’a reportée. Là où je reste amer, c’est sur les exonérations dont a profité l’Éducation nationale sous le prétexte qu’elle s’occupe déjà d’enfants handicapés. On ne peut pas l’admettre. Je ferai le bruit qu’il faudra pour le faire savoir et obtenir de modifier cette situation anormale. Sur l’emploi, j’en appelle à la patience, on n’a pas perdu l’objectif de la loi. Même si on a la sensation d’avoir fait
un pas en arrière. Il faut cependant rester vigilants, car je ne vous cache pas qu’ici ou là certains pourraient être tentés d’en profiter pour détricoter le projet en estimant que l’on a fait assez pour les personnes atteintes de handicap.
Vous semble-t-il nécessaire de donner un second souffle à l’application de cette loi ?
J.-F.C. : Nous sommes dans une situation de montée en puissance. On a fait beaucoup de chemin notamment sur la scolarisation. La PCH est rentrée dans les mœurs locales. La loi a surtout modifié les comportements ; pas seulement ceux des personnes handicapées mais aussi de tous les autres. Désormais, on parle, selon moi, sans peur du handicap. Même si notre situation n’est pas idéale, l’état d’esprit général a évolué. Selon moi, le point le plus compliqué, c’est l’accessibilité. On connaît la date butoir de 2015. C’est dans cinq ans, mais l’on se rend bien compte qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
Les démarches des personnes handicapées sont elles réellement devenues plus simples et les réponses apportées plus adaptées ?
J.-F.C. : Notre principal problème c’est, comme toujours, un manque de moyens humains et financiers. Il faudrait former beaucoup plus tous les intervenants, médecins, AVS... Il faudrait faire des auxiliaires de vie une profession avec un statut et une rémunération digne. Enfin, il faut soigner l’accompagnement individuel des personnes handicapées, soigner tout particulièrement le projet de vie et l’accueil dans les MDPH. Ça c’est le chantier de demain.
Pierre LUTON
Article paru dans le journal de la FNATH, "A part entière" (janvier 2010). Pour en savoir plus :
www.fnath.org