Masdar City, les enjeux politiques d’une cité écologique
Les grandes puissances pétrolières veulent désormais être considérées comme des leaders du développement durable, à travers des projets comme Masdar City, une cité écologique des Émirats arabes unis. Mais quels sont les véritables enjeux politiques de ce programme ?
Le directeur général de Total, Christophe de Margerie, est reconnu comme l’un des grands patrons français les plus engagés en géopolitique. Lors d’une interview parue dans Le Figaro, le 16 septembre 2008, il affirme : « En tant qu’énergéticien, nous devons apporter notre contribution à l’équation globale énergie-environnement-réchauffement climatique. Cela passe par un gros effort de recherche dans les énergies nouvelles. […] À Abu Dhabi, nous participons, comme énergéticien, à un vaste projet de ville nouvelle verte, appelée Masdar. »
Le film de présentation du projet affiche clairement les ambitions de ce dernier, puisqu’il affirme qu’un jour, toutes les cités seront construites comme Masdar. Si les enjeux écologiques de cette ville nouvelle ont été évoqués par un certain nombre de médias, ceux-ci ne se sont pour l’instant guère intéressés à ses enjeux politiques.
Ces derniers ne sont pourtant pas anodins. D’une part, bien sûr, parce qu’il est de notoriété publique que les Émirats arabes unis, comme les autres monarchies du golfe Persique, ont fondé leur richesse sur les énergies fossiles. Et cette richesse accumulée est aujourd’hui immense : à l’échelle mondiale, les fonds souverains de ces pays détiendraient 1 500 milliards de dollars d’investissements. Prise avec du recul, leur ambition soudaine de se présenter en tant que leaders du développement durable peut surprendre, et il est difficile de ne pas voir dans Masdar une opération marketing de haut niveau.
Pourquoi les médias, si prompts à attaquer les politiques lorsque leurs décisions présentent un aspect démagogique, sont-ils si peu critiques face aux grandes opérations publicitaires des Émirats arabes unis ? Il ne s’agit pas là de dénigrer le projet dans son aspect technique, car celui-ci offrira sans doute des renseignements précieux en matière d’écologie. Mais si l’enjeu environnemental de Masdar est important, son enjeu politique et idéologique est peut-être plus crucial encore.
Les puissances pétrolières, reconverties (en façade du moins) dans les énergies renouvelables, tiennent un discours qui pourrait se révéler à double tranchant. En effet, elles ne sont pas loin d’affirmer que leurs projets sont, de fait, l’unique moyen pour répondre aux défis du futur. Un jour, toutes les cités seront construites comme Masdar, car Masdar est la seule solution. Les citoyens du monde devraient-il attendre patiemment que quelques grands groupes technologiques et industriels, liés à l’argent du pétrole, fondent pour eux les conditions de vie du futur ?
Adhérer à ce discours reviendrait à remettre les pleins pouvoirs, en termes de développement durable, à ceux qui ont tiré le plus de bénéfices de l’ère des énergies fossiles : on admettra que cela est, au mieux, gênant. Il est donc remarquable que ce type d’ambitions latentes n’ait pas été davantage critiqué par les médias. D’autant plus que, si Masdar est un prototype intéressant de cité écologique, il est faux de prétendre que sa construction ou ses modes de fonctionnement pourraient être généralisés.
Les villes où nous vivons ne sont pas des déserts : il serait difficile de démonter Paris, Londres ou Berlin, pour les reconstruire selon un plan plus respectueux de la nature. Pour les défenseurs de l’urbanisme écologique, les véritables solutions pour le développement durable seront forcément celles qui, pragmatiques, tiendront compte de la forme actuelle de nos cités et de notre tissu urbain. De plus, le coût élevé de Masdar (15 milliards de dollars pour 50 000 habitants, soit 300 000 dollars par habitant), et les compétences de pointe (donc rares) que sa construction exige, rendent difficile la généralisation de ce modèle à l’échelle mondiale.
Ce débat mériterait d’être poursuivi, car, face aux grands acteurs de l’énergie, il est sans doute nécessaire de tenir un discours équilibré. La société civile ne peut se permettre de donner aux grandes puissances pétrolières l’exclusivité du futur, ni admettre que celles-ci détiennent, seules, les clés du développement durable.
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