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Masdar City, les enjeux politiques d’une cité écologique

Les grandes puissances pétrolières veulent désormais être considérées comme des leaders du développement durable, à travers des projets comme Masdar City, une cité écologique des Émirats arabes unis. Mais quels sont les véritables enjeux politiques de ce programme ?

Le directeur général de Total, Christophe de Margerie, est reconnu comme l’un des grands patrons français les plus engagés en géopolitique. Lors d’une interview parue dans Le Figaro, le 16 septembre 2008, il affirme : « En tant qu’énergéticien, nous devons apporter notre contribution à l’équation globale énergie-environnement-réchauffement climatique. Cela passe par un gros effort de recherche dans les énergies nouvelles. […] À Abu Dhabi, nous participons, comme énergéticien, à un vaste projet de ville nouvelle verte, appelée Masdar. »

Parlons davantage de cette « ville nouvelle verte » et de ses enjeux, à l’heure où le développement durable est reconnu comme une nécessité par une grande partie des politiques.

Le projet Masdar City prévoit la construction complète, dans l’émirat d’Abu Dhabi, d’une cité écologique capable de fonctionner sans émission de gaz carbonique et sans production de déchets. Prévue pour accueillir environ 50 000 habitants d’ici 2016, la ville sera construite selon un plan compact afin de faciliter les déplacements, et conçue de manière à tirer parti du vent et de l’ensoleillement du désert. Les panneaux solaires, les éoliennes et le recyclage seront de rigueur, et bénéficieront des technologies les plus avancées en la matière. Cette cité modèle doit également devenir un pôle économique pouvant accueillir 1 500 entreprises, et disposera d’une université spécialisée dans les énergies renouvelables.

Le film de présentation du projet affiche clairement les ambitions de ce dernier, puisqu’il affirme qu’un jour, toutes les cités seront construites comme Masdar. Si les enjeux écologiques de cette ville nouvelle ont été évoqués par un certain nombre de médias, ceux-ci ne se sont pour l’instant guère intéressés à ses enjeux politiques.

Ces derniers ne sont pourtant pas anodins. D’une part, bien sûr, parce qu’il est de notoriété publique que les Émirats arabes unis, comme les autres monarchies du golfe Persique, ont fondé leur richesse sur les énergies fossiles. Et cette richesse accumulée est aujourd’hui immense : à l’échelle mondiale, les fonds souverains de ces pays détiendraient 1 500 milliards de dollars d’investissements. Prise avec du recul, leur ambition soudaine de se présenter en tant que leaders du développement durable peut surprendre, et il est difficile de ne pas voir dans Masdar une opération marketing de haut niveau.

Pourquoi les médias, si prompts à attaquer les politiques lorsque leurs décisions présentent un aspect démagogique, sont-ils si peu critiques face aux grandes opérations publicitaires des Émirats arabes unis ? Il ne s’agit pas là de dénigrer le projet dans son aspect technique, car celui-ci offrira sans doute des renseignements précieux en matière d’écologie. Mais si l’enjeu environnemental de Masdar est important, son enjeu politique et idéologique est peut-être plus crucial encore.

Les puissances pétrolières, reconverties (en façade du moins) dans les énergies renouvelables, tiennent un discours qui pourrait se révéler à double tranchant. En effet, elles ne sont pas loin d’affirmer que leurs projets sont, de fait, l’unique moyen pour répondre aux défis du futur. Un jour, toutes les cités seront construites comme Masdar, car Masdar est la seule solution. Les citoyens du monde devraient-il attendre patiemment que quelques grands groupes technologiques et industriels, liés à l’argent du pétrole, fondent pour eux les conditions de vie du futur ?

Adhérer à ce discours reviendrait à remettre les pleins pouvoirs, en termes de développement durable, à ceux qui ont tiré le plus de bénéfices de l’ère des énergies fossiles : on admettra que cela est, au mieux, gênant. Il est donc remarquable que ce type d’ambitions latentes n’ait pas été davantage critiqué par les médias. D’autant plus que, si Masdar est un prototype intéressant de cité écologique, il est faux de prétendre que sa construction ou ses modes de fonctionnement pourraient être généralisés.

Les villes où nous vivons ne sont pas des déserts : il serait difficile de démonter Paris, Londres ou Berlin, pour les reconstruire selon un plan plus respectueux de la nature. Pour les défenseurs de l’urbanisme écologique, les véritables solutions pour le développement durable seront forcément celles qui, pragmatiques, tiendront compte de la forme actuelle de nos cités et de notre tissu urbain. De plus, le coût élevé de Masdar (15 milliards de dollars pour 50 000 habitants, soit 300 000 dollars par habitant), et les compétences de pointe (donc rares) que sa construction exige, rendent difficile la généralisation de ce modèle à l’échelle mondiale.

Ce débat mériterait d’être poursuivi, car, face aux grands acteurs de l’énergie, il est sans doute nécessaire de tenir un discours équilibré. La société civile ne peut se permettre de donner aux grandes puissances pétrolières l’exclusivité du futur, ni admettre que celles-ci détiennent, seules, les clés du développement durable. 


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3 réactions à cet article    



    • Maël Donoso Maël Donoso 16 octobre 2008 16:57

      Merci d’avoir pris la peine d’écrire ce long commentaire, et de signaler des points qui n’ont, sans doute, pas été suffisamment développés dans mon article.

      Je vais donc tenter de préciser mon analyse. D’une part, les sommes immenses mises en jeu dans le projet Masdar impliquent que toutes les étapes de ce programme, de sa conception technique jusqu’à son marketing, aient été très précisément calculées au mieux des intérêts de ses promoteurs (par puissances pétrolières, j’entends non seulement les pays exportateurs de pétrole, mais tous les lobby et entreprises, occidentaux ou non, qui y sont rattachés). Il est donc difficile de voir dans le film de présentation du projet une simple "publicité savante", selon vos propres termes, et plus difficile encore de la croire sans arrière-pensée politique.

      Mon raisonnement central, sur lequel l’ellipse était certes importante, est le suivant. Le développement durable était, jusqu’à il y a quelques années, l’apanage de groupes écologiques et souvent altermondialistes, dont le principal message était qu’il fallait, pour protéger la planète, changer notre mode de vie producteur de déchets et de pollution. Plus récemment, les enjeux écologiques ont pris toute leur place dans la politique et les débats de société généraux. Aujourd’hui, il semble que le débat sur le développement durable soit, au contraire, sur le point d’être accaparé par les grands groupes industriels qui ont les moyens de créer des projets technologiques sophistiqués comme Masdar.

      Oubliée, donc, la possibilité de protéger l’environnement en adoptant des habitudes moins coûteuses en énergie. Masdar est, je le repète, un laboratoire extrêmement intéressant pour les énergies nouvelles, mais il ne peut pas servir de modèle à l’échelle planétaire. Lorsque ses promoteurs affirment qu’"un jour, toutes les cités seront construites comme Masdar", ils ne peuvent croire eux-même ce message. Très vraisemblablement, leur but est plutôt de séduire des acheteurs potentiels de haute technologie "verte", et pas de proposer un modèle de société valable pour tous.

      C’est cette confusion que je trouve potentiellement dangereuse. Vendre à ceux qui pourront les acheter des équipements high-tech propres, très bien. Mais cela ne doit pas nous détourner d’une autre nécessité majeure, celle de réduire la consommation d’énergie et la production de déchets au quotidien, avec les infrastructures et les moyens limités qui nous sont disponibles. À trop voir en Masdar le futur de l’écologie, nous risquons d’oublier que l’écologie se joue dans le présent, et que les grands groupes industriels n’en détiennent pas toutes les clés. Voilà ce que j’entends en affirmant que nous ne devons pas remettre aux grandes puissances pétrolières les "pleins pouvoirs" en termes de développement durable.

      Par ailleurs, l’ambition de ces puissances de se présenter en tant que leaders dans le domaine écologique n’est pas une analyse personnelle. C’est un objectif clairement affiché des promoteurs de Masdar, comme je vous invite à le vérifier dans leur film de présentation.

      J’espère avoir en partie répondu à vos remarques, que je vous remercie une fois de plus d’avoir formulées. Je ne relève pas vos derniers conseils d’ordre pédagogique, dont le ton condescendant est sans doute dû à un égarement ponctuel (compréhensible puisque ce sujet semble vous tenir à coeur).


      • selim-108 23 novembre 2008 16:30

        Artice tout a fait vrai, et je tiens a preciser que parallelement a cette ville-ecologique,est construit un immense complexe ,Saadiyat Island, ou 27 milliards de dollars ont ete investis dans le but de favoriser le tourisme et soi disant la culture. Une ile qui,auparavant,etait parfaitement naturelle sans aucune tache humaine sur ses plages,une ile qui va devenir comme la plupart des 200 iles presentes sur les cotes abu-dhabiennes,un refuge pour touristes luxueux au detriment de notre chere Nature...

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