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Accueil du site > Actualités > Société > Paroles d’élèves en difficulté

Paroles d’élèves en difficulté

Pourquoi êtes vous là ?

vidéo : 

Savoir se situer, comprendre pourquoi ils sont là, identifiés comme élèves en difficulté, prendre la parole pour évoquer son parcours scolaire, exprimer ses doutes et ses attentes ; voilà une séance bien ordinaire à laquelle j'ai convié la nouvelle fournée de mes élèves.

La séance fut riche et émouvante, angoissante et j'espère utile. Ils sont passés un à un devant leurs camarades, assis devant l'assemblée attentive. Ils ne savaient que faire de leurs mains, ils se balançaient, se penchaient, regardaient ailleurs. Ils étaient mal à l'aise avec les exigences nouvelles pour eux d'une posture convenable et d'une prise de parole face au groupe.

Il fut nécessaire de leur expliquer quelle attitude est socialement attendue lors de cette situation, qu'on ne se vautre pas sur sa chaise, qu'on ne place pas les mains devant sa bouche, qu'on ne se gratte pas et qu'il faut regarder les gens à qui l'on parle y compris quand c'est un adulte.

Puis il a fallu exiger le respect et l'écoute, demander que personne ne se moque, dire que la parole n'est pas source de moquerie, qu'il faut garder le silence quand un autre parle. Cette première séance a brisé la représentation habituelle de la classe. Le professeur au fond, un élève assis devant le tableau et qui a la parole, des camarades qui commentent et expriment des remarques constructives sur la dernière intervention.

Ainsi, les langues se sont déliées. Ils se sont présentés et beaucoup ont omis de décliner leur patronyme comme s'il n'était qu'un prénom. Une seule a évoqué ses origines, cette richesse que chacun porte en lui et qui lui fut donnerée par une histoire familiale. Personne n'a décrit sa famille, ses parents, ses frères et sœurs. L'école semble fermer la porte à ce qu'ils sont vraiment …

Puis vint la longue litanie des difficultés qui les ont conduits dans l'enseignement spécialisé. Certains se sont qualifiés de nuls, il a fallu m'indigner de cette appellation qui ne peut définir un individu. Je leur ai expliqué qu'il y avait des défauts certes mais aussi beaucoup de richesses en chacun d'entre eux. Que nul n'était rien et que personne ne pouvait mériter pareil verdict !

Alors ils ont parlé d'une langue qu'ils ne maîtrisent pas, de mots qu'ils ne comprennent pas, de formes grammaticales qui leur échappent, d'une orthographe qui est plus qu'aléatoire. Parfois, ils usent de mots que je ne peux accepter, je demande une autre formulation, elle ne vient pas toujours, le vocabulaire manque bien souvent. Pour beaucoup encore le calcul est encore une pierre d'achoppement. La division rebute, elle se dérobe, elle est problème insoluble.

Mais ce sont là les symptômes d'un mal être à l'école. Il faut accepter d'aller plus loin pour expliquer ce passé scolaire douloureux. L'une évoque une maîtresse qui ne l'aimait pas, l'autre avoue timidement un conflit avec un professeur qui a dégénéré en pugilat ! Beaucoup parlent de leur comportement. Il y a l'agitation, le manque de concentration, l'ennui, le peu de goût pour l'école, l'incompréhension, le manque de respect des uns vis à vis des autres.

Au fil des interventions, le silence se fit vraiment, l'écoute était présente, les rires s'évanouirent et les paroles plus fortes. D'autres propos arrivèrent. Beaucoup parlent une ou deux autres langues héritées de familles qui n'ont pas oublié ce merveilleux héritage. Hélas, aucun n'écrit sa langue maternelle. Je devine que l'écrit est bien sûr, cette année encore, ce qui fait mal !

Alors, ils terminent cette séance par la copie soignée d'un texte qui parlent d'eux, des grands moments de leur année à venir, des échéances qui vont se présenter à eux, des choix qu'ils feront bien des années avant leurs camarades qui sont dans le cycle général.

Dans moins de six mois, ils feront un premier choix, une première bifurcation professionnelle, une indication plus qu'une orientation définitive avant de chercher un stage pour découvrir le monde du travail. Ils sont enfants malmenés par l'école et leurs échecs, ils devront vite grandir, devenir adolescents et choisir un secteur professionnel. C'est rapide, c'est prématuré, c'est complexe, c'est si aléatoire si on ne leur ouvre pas les portes de la parole et de la réflexion sur eux-mêmes !

Dialoguement leur.


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18 réactions à cet article    


  • gordon71 gordon71 7 septembre 2012 12:21

    bonjour cenabum

    vous dites 
    décliner leur patronyme comme s’il n’était qu’un prénom. Une seule a évoqué ses origines, cette richesse que chacun porte en lui et qui lui fut donnerée par une histoire familiale. Personne n’a décrit sa famille, ses parents, ses frères et sœurs. L’école semble fermer la porte à ce qu’ils sont vraiment

    des familles transplantées, sans passé, sans racines, des enfants qui ne peuvent se raccrocher à une filiation, des individus errant dans le hall de l’auditorium des droits de l’homme....

    votre description tombe juste

    voilà le programme pour les générations qui viennent des êtres sans passé, issus de famille aux structures et aux valeurs « diverses » comme il se doit 

    je ne suis pas adepte du conspirationnisme donc je ne pense pas qu’il y ait un plan pour détruire les fondements de notre société mais les résultats sont là devant nous bien réels et les prédictions de Richard Millet dans son analyse du cas de Breivik, même si elles ne sont pas une fatalité,, me font réfléchir à ce que notre société du « chacun fait ce qu’il lui plait » , est en train de fabriquer ;

    • gordon71 gordon71 7 septembre 2012 12:34

      résultat en vue :


      le production du citoyen du monde , le « nomade attalien » 

      est ce le seul horizon souhaitable ?


      « défiez vous des cosmopolites 
      qui vont chercher au loin des devoirs qu’ils dédaignent d’accomplir autour d’eux »

      Rousseau





    • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2012 12:45

      Gordon


      Je ne sais si je dis juste, je dis ce que j’observe dans mes classes et en fait part parce que celà me semble significatif d’un malaise profond.

      Prochain travail, leur demander de dire et donc de savoir (ce qui n’est pas le cas encore) les prénoms et les âges de tous les membres de leur famille directe ainsi que leurs activités actuelles. Comment font-ils pour ne pas savoir cela ?

    • Traroth Traroth 7 septembre 2012 14:46

      @gordon71 : ce refus du cosmopolitisme, ce « chacun chez soi », est la matrice de toutes les guerres.


    • gordon71 gordon71 7 septembre 2012 16:02

      et du réchauffement climatique 


      et du 11 septembre 

      et du PV sur votre pare brise 

      pour quoi faire compliqué quand ....

    • Traroth Traroth 10 septembre 2012 10:40

      Et pourquoi répondre quand on peut sortir une vanne ?


    • C'est Nabum C’est Nabum 10 septembre 2012 12:46

      Traroth


      Ouvrez les vannes et usez de plaisanteries si vous voulez mais appelez un chat un chat et pas autrement !

    • voxagora voxagora 7 septembre 2012 14:44

      .

      La situation réelle m’échappe complètement, mais je me saisis des mots que vous employez
      pour en parler : « séance riche, émouvante (pour qui ?), j’espère utile, et angoissante. »
      « Avant », on allait à l’école parce que « c’est comme ça » : les adultes savent, organisent la vie sociale, cadrent les comportements, et les enfants suivent. Au besoin ruent dans les brancards,
      parce qu’il y a des brancards et des limites posées. 
      Aujourd’hui pour beaucoup tout est précaire matériellement, les limites sont floues moralement,
      et la vie psychique manque de repères fermement posés par les adultes (même au sein de l’école, comment savoir si c’est vrai qu’il faille respecter les règles, quand « désobéir » flotte comme un idéal .. ravageur qd on connaît le pouvoir des mots ..)
      Si ds ces conditions c’est à l’élève qu’on demande : « pourquoi êtes-vous là ? » (où exactement, d’ailleurs : en france ? à l’école ? sur l’estrade ?) ça ne peut que le plonger devant un vide vertigineux, avec comme seul élément palpable, tangible, le corps appelé à la rescousse (se gratter .). Alors parler ..
      Votre empathie si repérable envers ces adolescents et leur histoire, votre désir de les aider à se situer (noms, âges et activité des membres de leur famille), à se repérer dans le monde, vous incite à prochainement leur appliquer ..... la question.
      Ils vont se taire, ou se défiler, ou mentir pour vous faire plaisir ..
      Excusez- moi de déborder quelque peu des échanges impersonnels habituels, mais dans cet article vous réduisez vous-même l’habituelle distance.

      • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2012 15:44

         voxagora


        Je ne peux être plus explicite car alors je risque de dévoiler ce qui doit rester confidentiel. Je sais que c’est frustant mais ce billet a été repris par le blog du journal local et allez plus avant dans le détail serait trahir mes éléves.

        Veuillez excuser ce flou qui n’est que de précaution ...

      • Richard Schneider Richard Schneider 7 septembre 2012 16:17

        Nabum,

        J’ai apprécié votre article : il décrit une réalité scolaire qui s’est amplifiée au fil des gouvernements et des réformes depuis plus de trente ans.
        On ne rendra jamais assez hommage aux collègues qui travaillent dans ces classes - classes dans lesquels je n’ai jamais enseigné.
        Bonne fin d’après-midi,
        RS.

        • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2012 19:56

          Richard


          Merci

          N’oubliez pas que pourtant nous sommes considérés comme des sous-enseignants et que nos conditions sont bien moins bonnes que celles de tous nos collègues sans que personne ne s’en soucie !

        • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2012 19:57

          durae.leges.sed.leges


          Mais qu’en savez-vous ?

          La tyrannie de l’ignorance est bien pire encore et espérer un peu mieux pour eux semble vous déranger ...

        • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2012 19:58

          durae.leges.sed.leges


          Et alors, je laisse faire le religieux ?

        • gordon71 gordon71 7 septembre 2012 23:48

          bien sûr qu’on met en péril quelqu’un quand on lui demande de s’exposer et de prendre la parole


          mais comme le dit c’est nabum, celà fait partie de son rôle d’éducateur 

          demander à ses élèves de prendre des risques, de se mettre en danger, tirer le meilleur d’eux mêmes, et ne pas considérer que parcequ’ils sont en échec ou qu’ils l’ont été , il faut se résoudre à les ménager et leur éviter tout désagrément 

          cette expérience faite avec tact leur permet de dépasser les peurs et leur mauvaise image d’eux mêmes continuez ainsi, ils vous seront reconnaissant s de votre exigence qui est un signe d’estime 



        • C'est Nabum C’est Nabum 8 septembre 2012 06:44

          Gordon


          Merci tout simplement !

        • ykpaiha ykpaiha 8 septembre 2012 00:49

          A force de nous vendre a , j’allais dire , dieu sait qui et de faire de la sous culture étanusienne une finalité indétronable on a un peu trop vite oublié l« essentiel.

          Par simplsme ou vertu du pret a appendre on a transformé nos écoles en fast-brain, vite bouffé vite digéré, vite oublié.

          Les experiences menées ces 30 dernieres années en vertu de je ne sais quelle théorie fumeuse, ou la technologie appliquée conduit a un désastre .
          L’école ne se conduisant plus comme un moteur et accompagnateur de l’éleve s’ote aussi sa capacité de refuge surtout dans les pérides troublées a venir.

          Résultat non seulement déja tangible dans les moeurs mais aussi dans la capacité de projection de nos sociétés.
          Effondrement des valeurs, violence, simplsme ne sont plus des caricatures mais bel et bien des postures valorisantes.

          Les derniers rapports alarmants de 1 Europeen sur 7 analphabete le serait suffisament si il n’y avait quelqu »un pour le lire.

          Je partage tout a fait ce commentaire
          « Je pense que les Européens sont tombés dans le même piège que les Américains. L’idée consistait dans une ségrégation scolaire de la population. C’est-à-dire, qu’une partie de la population, appartenant à l’élite, fait ses études dans de bonnes écoles, et les poursuit dans des Universités d’élite et reçoit une instruction brillante, tandis que la plupart fréquente des écoles faibles et appartient à la classe moyenne ou inférieure. Or avec une telle approche les Américains, comme les Européens, se sont confrontés au problème de diminution de la population intellectuelle, ce qui se ressent, notamment, sur la croissance économique. Dans de telles conditions la tension sociale monte ».

          Ainsi que la conclusion
          Mais aujourd’hui, alors que nous sommes au 21e siècle hautement technologique, il difficile d’imaginer que l’Europe jadis des lumières puisse en venir à un tel résultat. Vraiment, il fallait y mettre du zèle.


          • C'est Nabum C’est Nabum 8 septembre 2012 06:59

            ykpaiha


            Faut-il laisser faire ?

            heureusement que de par le pays se dressent ici et là des enseignants qui refusent l’injonctin à la médiocrité, le système qui conduit à la catastrophe. Ils désobéissent pour sauver encore ceux qui peuvent l’être.

          • C'est Nabum C’est Nabum 8 septembre 2012 07:03

            durae.leges.sed.leges


            Le petit couplet xénophobe n’y changera rien, ces mommes sont ici et ils ont le droit à l’éducation et le devoir de ne pas entraver la fonction de l’école.

            C’est les sortir de ce que vous osez appeler troupeau que j’essaie contre vous, vos semblables et les leaders de leurs communautés d’en faire des individus libres et pensant par eux-mêmes !

            Merci pour votre franchise même si pour moi elle est sujet profond d’indignation

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