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Accueil du site > Actualités > Société > Que « voir » après 2007 ? Où est passé le progrès ?

Que « voir » après 2007 ? Où est passé le progrès ?

L’Occident moderne est indissociablement lié au progrès, à l’histoire, à la science, à l’idéologie, à la modernité. Mais la manière de gérer ou de gouverner le progrès a varié selon les lieux et les époques. On sait que précipiter l’avènement d’une société conçue sous l’égide d’une idéologie conduit vers le totalitarisme. La démocratie, si elle ne conduit pas vers un monde parfait, a au moins le mérite de permettre aux citoyens de se débarrasser d’un gouvernement qu’ils jugent indésirable ou incompétent. Dans un ouvrage plutôt audacieux, Le seul et vrai paradis (Climats) l’historien Lasch a voulu nous persuader que l’esprit authentiquement démocratique constitué en Amérique, aux XVIIIe et XIXe siècles, n’a jamais cru à la fascination du progrès, auquel du reste il s’est opposé. Son livre est excellemment documenté mais manque de points de repères et d’architectonique. En dépit de ces faiblesses, on y trouve des portraits édifiants de la société américaine dont on peut reconstituer les bases idéologiques sur lesquelles elle s’est construite et comprise, avec les violentes oppositions entre croyances. Notamment entre d’une part les dévots et autres forçats du progrès, liés à la modernité économique, aux grands groupes, avec l’appui d’universitaires et le libéralisme politique autant que consumériste et d’autre part, une Amérique populaire, profonde, populiste, liée à l’idéal de la propriété, de la terre, des petites structures productives, de la vie vertueuse, civique, ascétique et religieuse, sous l’égide du bon sens pratique et de la conscience des limites.

L’Amérique du XXIe siècle reste encore traversée par ses anciennes croyances, alors que le progressisme s’estompe et que la droite a réussi cette synthèse entre l’esprit populiste, l’aventurisme géopolitique (mené par les faucons) et pour finir le souci des profits, grandes fortunes et multinationales. Le monde est devenu complexe. Une élection se gagne en conciliant des intérêts et espérances divers, y compris en alliant des groupes sociaux censés être antagonistes. Cette synthèse des intérêts de classes et d’antagonismes, on la retrouvera chez Nicolas Sarkozy et dans une moindre mesure chez Ségolène Royal. Le progrès, plus personne n’y croit, mais une France qui avance dans le concert des nations en se délestant du boulet des années Chirac, voilà une idée séduisante à laquelle adhèrent les médias qui façonnent l’opinion dans ce sens.

Dans son épilogue, Lasch affirme que les mouvements populistes posent des bonnes questions sur l’expression des maux contemporains, sans pour autant apporter de solutions, faute de perspectives économiques. On pourrait dire à l’inverse que les économistes apportent des solutions correctes, diversement efficaces et conformes aux attentes de ceux qui souhaitent la croissance dans les rangs politiciens, en satisfaisant les désirs ce ceux qui, pourvus de talents matériels, cherchent à tirer parti du système, à s’enrichir, posséder, dépenser. Mais les économistes ne sont plus progressistes et de plus, apparaissent assez peu soucieux des maux engendrés par les sociétés modernes. Est-ce leur vocation ? Non, sans doute pas, quoiqu’ils puissent apporter quelques solutions pour que les sociétés tendent vers une équité économique. Cela dit, ce n’est pas parce que chacun aura un niveau de vie décent que les maux disparaîtront.

Que les Etats-Unis et la France représentent ou non deux civilisations distinctes nées de l’Occident chrétien, peu importe. Actuellement, elles semblent cheminer en parallèle, avec une extinction du progressisme et un retour du populisme sous une forme modernisée, avec un effondrement des oppositions idéologiques, ce qui ne veut pas dire que la bataille pour 2007 puis 2008 ne sera pas passionnée. Le fait est que l’émotion et la passion enflent, se focalisant sur des personnes plus que des idées. Les dissensions sociales vont dans le même sens. Une sorte de bataille de tous contre tous se déroule, en politique comme en économie. On appelle cela débat démocratique et concurrence.

Le progrès n’étant plus du domaine public, serait-il l’horizon d’une foi privée ? On espère progresser, s’enrichir, changer, s’améliorer, être plus heureux. C’est selon. Chacun son appréciation sur la nature du progrès et sur son existence, devenue du reste aussi douteuse que celle de Dieu.

La philosophe Chiarra Robbiano, qui a fréquenté le prodige des lettres néerlandaises Iljia Leonard Pfeiffer, dit de ce dernier qu’il possède en lui la sagesse naturelle grecque, faite notamment d’équilibre intérieur. Ce ne sont pas les choses qui provoquent le tumulte, mais ce qu’on en fait soi-même (Courrier International, 11/01/07). Autrement dit, l’important est dans notre réaction face au monde, plus que dans les choses qui s’y déroulent. Dans notre manière de voir et d’apprécier, plus que dans le contour des événements, la forme des mouvements sociaux, l’usage des technologies.

Et si les Français étaient quelque peu aveugles, ne « voyant » pas comment les choses ont matériellement progressé depuis des décennies, ni d’ailleurs comment le monde évolue ? Manquerait-il à nos concitoyens un peu de sagesse antique ? Peut-être pas. Disons qu’elle est inégalement répartie. Les uns encaissent, les autres démissionnent, les uns savent apprécier les bienfaits de la vie moderne, les autres sont d’incorrigibles insatisfaits. Les sondeurs ne sondent pas le sujet politique mais sont des capteurs d’opinion, comme il y a des capteurs de pression. Nous ne savons pas grand-chose du devenir intérieur des âmes. Tout au plus connaissons-nous la nôtre, un peu de celle de nos proches, et à travers la littérature et les arts, nous pouvons avoir quelques indices sur le vécu du progrès et le progrès des vécus.

La foi dans le progrès, une vieille histoire en fait, Saint-Simon, Comte, Fourier, Marx, Bloch ; à l’origine, une projection des « esprits mystiques », doublée d’une extrapolation bricolée avec de la théologie et plus tardivement, avec la raison et la croyance en l’homme, et puis, après maintes expériences et désillusions, la fin de la croyance. Celle-ci est servie actuellement à l’occasion des élections, où les partis font semblant d’y croire, mais plus personne n’est dupe. Enfin, disons que la croyance dans la politique relève d’une foi de supporter, pour les militants, d’une position de partisan, pour les plus fébriles sympathisants, et le reste, eh bien, les affaires ordinaires du monde, ceux qui subissent, affrontent, résistent, profitent.

Il est très difficile d’extraire de ce monde des signaux d’espérance et plus aisé de voir les raisons du pessimisme. Pourtant, la sagesse nous incite à composer avec les deux, et à adopter l’attitude de l’espérance pessimiste.

La seule clé réside dans un constat. Le bien public n’est pas de même essence que le bien individuel. Cela, les Anciens le savaient, mais l’Occident a voulu penser différemment (voir, par exemple, les analyses de Léo Strauss). De cette vérité découle une autre vérité. Le progrès social est une illusion si on pense qu’il est l’unique chemin ou moyen vers l’épanouissement et le bonheur. La modernisation est une réalité intangible. La modernisation n’est pas la voie vers le bonheur, ni vers le bien, la vérité, mais la volonté de changement. Le désir de puissance est aussi une cause majeure de la modernisation. La puissance est l’essence de l’Occident. Elle est aussi sa perte. Les citoyens voient-il l’avenir au-delà des limites leur parcours existentiel, ou bien sont-ils des aveugles qui mettent un bulletin dans l’urne ? Le cours de l’histoire suscite la perplexité.

La question sera posée. Faut-il croire au progrès ? En fait, il existe deux formes de progrès, l’un d’ordre technique, et l’autre d’ordre historique. Pierre Rosanvallon sépare l’action politique courante, gestionnaire et régulatrice de la société, et l’institution du social. Autrement dit, le volet technique, et un volet où la société civile crée du bien et un sens commun. C’est un peu le pendant de l’histoire. Il semblerait que les Français ne croient plus en l’histoire et que les partis politiques n’aient plus l’intention de participer à l’histoire, mais simplement de gérer l’espace commun. Peut-on croire en l’histoire ? La réponse est non. L’histoire ne sera jamais achevée, mais l’âge où l’on croyait en l’histoire est révolu. Quel avenir maintenant ? En quoi peut-on croire ? En une seule chose, en l’esprit, en la présence de cette lumière intérieure qui, en chaque sujet, tente de se frayer un chemin pour peu que l’âme se convertisse vers elle-même, au lieu de s’abrutir dans la frénésie des images, des mouvements, des sensations faciles.


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16 réactions à cet article    


  • Marsupilami Marsupilami 19 janvier 2007 09:47

    « Autrement dit, l’important est dans notre réaction face au monde, plus que dans les choses s’y déroulant. Dans notre manière de voir et d’apprécier, plus que dans le contour des événements, la forme des mouvements sociaux, l’usage des technologies ».

    Retour au subjectivisme transcendental pour cause d’impuissance à modifier l’objet ? N’est-ce pas une pure régression ? « Cultiver son jardin » (Voltaire), certes, mais comme repos subjectif du guerrier entre deux combats objectifs. Sinon c’est Carpe diem : pas enthousiasmant... Même s’il est vrai qu’un dépouillement et une sérénité intérieurs sont indispensables... ce qui n’a rien à voir avec un repli subjectiviste et impuissant sur soi, mais plutôt avec une authenticité d’être que l’on ne saurait confondre avec la subjectivité : ce serait là une erreur et une régression spirituelle majeure.


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 19 janvier 2007 09:59

      J’ai dû mal m’exprimer, ou alors ai été compris de travers. Je voulais dire que l’important, c’est la puissance subjective qui offre une résistance, active ou passive, aux événements du monde et de ce fait, ne se laisse pas submerger par le flux des événements et des images. Je n’ai pas plaidé pour un repli, que celui-ci soir carpédiémiesque ou monastique


    • Marie Pierre (---.---.218.252) 19 janvier 2007 10:15

      Bernard, j’avais compris un repli monastique.


    • Bernard Dugué Bernard Dugué 19 janvier 2007 10:24

      Complément d’explication

      L’idée que je voulais développer est qu’il faut prendre en compte la manière dont les gens réagissent face à la situation. On entends souvent parler de sentiment d’insécurité, de déclin, de morosité, ou à l’inverse de frénésie, de dévotion (14 janvier, suivez mon regard), d’angélisme. Les problèmes actuels découlent des réalités sociales autant que des réactivités subjectives. Apprendre à Voir, voilà une idée subversive


    • pingouin perplexe (---.---.56.206) 19 janvier 2007 11:18

      Bonjour, Intéressant, votre débat. La notion de « capacité subjective » serait peut être plus à propos que celles de « subjectivisme » et de « puissance subjective ». A ce niveau, il y a sans doute lieu de considérer des éléments déterminants qui ne sont pas des moindres. Voir, par exemple, l’impact de la connaissance dite par oui-dire, que l’on peut même éventuellement approcher du point de vue spinoziste. L’intérêt des ouvrages de philosophie, n’est-il pas de laisser au moins espérer qu’il soit permis d’entreprendre une juste critique des formations doxastiques ? Des risques qui ne sont pas des moindres surviennent lorsque la connaissance par oui dire devient prépondérante, et préexiste à la possibilité d’appréhender la subjectivité des uns et des autres. On peut même avoir à ce propos, parfois, l’impression de quelque tentative de surimpression. smiley Il semble qu’il y ait un plus grand intérêt humain à concevoir les autres sujets, et même les autres cultures, comme irréductibles aux images produites par la connaissance par oui-dire.

      Evidences, peut être, mais qui éloignent du pessimisme. L’approche philosophique, aussi, peut éventuellement avoir pour intérêt d’entraîner à appréhender des systèmes de pensée et de représentation différents, dès lors que l’on souscrit au pari de l’altérité.

      Coté carpe diem, on pourra peut être revoir le film « Le cercle des poètes disparus », qui ne manque pas d’un caractère aimablement subversif smiley



    • L'ancien L’ancien 19 janvier 2007 11:10

      Comme d’habitude, c’est bien écrit, donc ça passe bien. Mais en relisant, cette condensation politico-philosophique mais fait une sensation un peu bizarre, sans que j’arrive vraiment à définir ce qui me disturbe.

      Je conseille l’ouvrage suivant, dense, mais lisible par les non philosophe il me semble : « Le sens du progrès. Une approche historique et philosophique » Par Pierre-André Taguieff Flammarion, 2004 - 438 pages

      Un résumé : http://www.lexpansion.com/Resumes/3898.36.135324.html

      L’auteur l’as-t-il lu ?


      • Bernard Dugué Bernard Dugué 19 janvier 2007 11:33

        J’aimerais que vous puissez expliciter cette disturbance, qui n’a rien d’étonnant puisque moi-même j’ai éprouvé une perplexité en lisant mon écriture et j’en ai fait état. Le cours du monde actuel laisse perplexe.

        De Taguieff, un texte plus court (je l’ai lu) et pas cher qui peut remplacer celui que vous mentionnez

        http://mollat.fr/livres/pierre-andre-taguieff-progres-biographie-une-utopie-moderne-9782290308646.aspx

        Le progrès est un thème fondamental de la modernité. Pourtant, à l’aube du XXIe siècle, les désillusions sont nombreuses en la matière. Après avoir éclairé sa réflexion par un rappel des textes fondateurs, Taguieff expose les transformations de l’idée de progrès, sur fond des modifications du paysage mondial.


      • pingouin perplexe (---.---.56.206) 19 janvier 2007 13:47

        A mon avis, la disturbance perplexifiante n’est pas nécessairement dénuée d’utilité, en ceci qu’elle peut éventuellement contribuer au fait que l’on ne se trouve pas excessivement enduits avec de l’erreur. Il existe certainement de fortes interdépendances entre les idées de progrès et de démocratie, qui valent la peine d’être défendues, au même titre que la diversité des oeuvres culturelles. Sans oublier la pertinence de quelque carpédiémistique appliquée en matière de disseration sur le bonheur smiley


      • rodofr (---.---.234.25) 19 janvier 2007 12:05

        Une démocratie qui au nom du progrès plonge ses citoyens dans les rouages de sa machinerie complexe pour en corriger les erreurs, les pannes, ou protéger voir améliorer encore ce qui marche, ne donnera jamais aux citoyens, si imminents soit-ils, la clé pour sa survie et une vraie espérance, si le sacré demeure un élément comme un autre, voir rangé aux oubliettes de l’histoire. C’est la défaite cultuelle et religieuse de nos sociétés qui rend la question du citoyen au XXI ème siècle, des plus urgentes et cruciale pour son avenir. Car à lui seul, le citoyen ne pourra rien. Empêtré, dans des problèmes de machinerie incontrôlable et débordé par la complexité de sa création qui le dépasse, le citoyen passera à côté de sa vraie nature universelle, à mi chemin entre le sacré la culture et la raison. Un défi immense pour ce citoyen-là, dont le projet, n’appartient peut-être plus à l’occident ?


        • debase (---.---.215.199) 19 janvier 2007 13:19

          @rodofr

          En fait, vous voulez nous annoncer la défaite finale du rationalisme/matérialisme et de la démocratie qui n’en serait qu’un avatar ? Le retour du spirituel ?

          la concrétisation de cette fameuse intuition de MALRAUX (pas bien originale il faut le dire) « le 21ème siècle sera spirituel ou ne sera pas ! » ?

          Vous avez peut-être raison car il y a bien des signes, dans ce cas il faut s’attendre encore à un grand chambardement planétaire avec beaucoup de drames en perspective !...

          Juste pour se faire peur : imaginons qu’on découvre demain un traitement permettant de vivre 120 ans et coûtant un million de dollars. Que se passerait-il ? (dans une ’démocratie’ et dans une ’théocratie’)


        • L'ancien L’ancien 19 janvier 2007 12:37

          Après macération, c’est la fin qui me dérange « Peut-on croire en l’histoire ? La réponse est non. L’histoire ne sera jamais achevée, mais l’âge où l’on croyait en l’histoire est révolu. Quel avenir maintenant ? En quoi peut-on croire ? »

          J’arrive pas vraiment saisir... il s’agit de l’histoire, du progrès technique, politique, moral ?, tout ceci entretient des confusions il me semble..., ou bien encore il s’agit du cheminement de l’organisation social dans un contexte politique de 2007, de la déprime Franco-française Par exemple, voulez-vous dire : « L’histoire ne sera jamais achevée, mais l’âge où l’on croyait au progrès est révolu » ?

          Dans ce cas, oui je vous rejoins pour la seconde partie. L’histoire se terminera, c’est physique, c’est écrit.

          Pour ma part, paradoxalement peut-être, je continue à croire en l’histoire (politique), je crois en la capacité singulière des hommes de la gérer s’ils s’en donnent la peine. Ainsi, je pense que les Français croient en la politique, le NON au pseudo-traité de la constitution de l’EU le prouve. Pour ce qui est des partis politiques, ils gèrent la survie de leurs castes dans un espace-temps donné...

          Scientifique à mes heures, je considère le progrès technique actuel comme un simple gadget, un peu comme une boite d’allumettes de flammes multicolores pour un homme ayant déjà un briquet, c’est joli, ça distrait. Et cela permet de se focaliser sur chaque flamme nouvelle au bout de l’allumette, pas l’environnement qu’on éclaire autour de nous... encore moins une direction.

          Finalement, j’ai le sentiment que votre article manque certainement d’un seul angle d’attaque clair, il touche à trop de sujets complexes et vastes, si bien que je ne puis en dire simplement l’idée essentielle qui ressort après l’avoir lu et relu plusieurs fois. C’est ça qui est gênant.

          Pour ce qui est de Taguieff, il présente une bibliographie de près de 100 pages ds « le sens du progrès », donc y’a de quoi faire...

          (Désolé pour la forme de mon précédant commentaire, je suis vraiment très mal réveillé ce matin !)


          • ZEN zen 19 janvier 2007 16:43

            @ L’ancien

            « Finalement, j’ai le sentiment que votre article manque certainement d’un seul angle d’attaque clair, il touche à trop de sujets complexes et vastes, si bien que je ne puis en dire simplement l’idée essentielle qui ressort après l’avoir lu et relu plusieurs fois. C’est ça qui est gênant. »

            Je porte le même jugement que vous. Bernard aurait mérité de mieux centrer sa réflexion.Le livre de Taguieff que vous signaliez est effectivement une bonne mise en perspective historique de la notion trés équivoque de « progrés », imprégnée de tant de jugements de valeur, de tant de croyances discutables


          • aquad69 (---.---.100.34) 19 janvier 2007 14:10

            Bonjour Bernard Dugué,

            le Progrès, oui bien sûr, qui ne serait pas d’accord pour que les choses aillent toujours mieux ?

            Mais le progrès dans quel domaine ? Matériel, évidemment, car nous sommes bien impuissants à travailler sur autre chose. Et la question se pose : que cherchons-nous, qu’est-ce qui nous rend heureux et épanouis, qu’est-ce qui nous grandit ? Pas le matériel, évidemment, qui n’est qu’un support.

            A propos de support, et puisque vous parlez de sagesse antique, je vous propose une image :

            Considérez un cinéma ; ça à l’air bête,comme ça, mais c’est un sujet intéressant à méditer...

            Qu’est-ce qu’un cinéma ? C’est d’abord un support, la salle, le projecteur, l’écran, les sièges, mais aussi l’oeil du spectateur qui y participe, enfin bref, tout l’équipement nécessaire.(Je ne parle pas de technique numérique, qui est moins « lisible » que l’ancienne)

            Est-ce suffisant pour que l’on parle de cinéma ? Non, car à ce stade ce n’est qu’une « salle d’attente ».

            Il faut encore y passer une histoire, ce que l’on nomme « le film », assez improprement d’ailleurs car quand nous parlons de la qualité de ce film il s’agit bien de l’histoire et non pas de l’état de la pellicule.

            Qu’est -ce donc qu’un cinéma ? C’est un mariage entre deux choses de natures complètement différentes :

            Le support, indispensable bien sûr, qui est le seul à avoir une réalité matérielle, mais qui ne présente en lui-même aucun intérêt ; une fois que l’appareillage fonctionne, on l’oublie, car on n’est pas venu là pour contempler le siège devant nous !

            Et l’histoire, qui n’a absolument aucune réalité matérielle, mais qui est la seule chose digne d’intérêt, qui donne son nom, son identité et sa raison d’être au cinéma, ce pour quoi nous y allons.

            Et là, ahora la maraviglia, les deux choses, du point de vue qualitatif, sont complètement indépendantes :

            - Vous pouvez avoir la salle de cinéma au luxe le plus époustouflant,équipée de la technique la plus futuriste, et y passer le navet le plus infâme ; c’est bien la situation de notre société occidentale, la plus matérialiste qui soit, qui n’a toujours pensé qu’à améliorer le support sans se douter qu’il y fallait aussi une histoire.

            Que nous propose-t-on en la matière ? La grande et merveilleuse histoire de l’organisation de la production, de l’optimisation de la communication, et de la synergie de la distribution ? La beauté de l’avenir technologique qui s’annonce ? vous avez encore des gens qui y croient...

            Mais aucune histoire qui nous concerne vraiment, nous les gens, les humains ; nulle chose qui puisse nous embellir la vie, nous aider et nous apprendre à vivre avec nous-même et avec les autres, et qui nous donne des raisons d’espérer ; rien d’utile, en somme !

            Cherchez bien, dans cette société : vous verrez qu’il n’y est jamais question de nous ! De nos santés, nos corps physiques, nos psychologies, nos performances, nos techniques, nos droits citoyens, que sais-je, mais jamais réellement de nous, les gens... Rien d’utile, vous dis-je !

            -Ou alors vous pouvez tendre un drap entre deux cocotiers, sur une île, sortir un vieux projecteur essoufflé, et y passer, sur une vieille pellicule toute rayée, un chef- d’oeuvre cinématographique qui vous arrachera des larmes ; c’était le secret des peuples naturels et traditionnels, qui avaient peut-être une vie moins « confortable », plus exposée aux dangers, un support plus simple, mais qui savaient se raconter des existences plus merveilleuses et plus joyeuses que nous !

            Que vous dire, à ce stade ? Que le seul avantage que nous a apporté tout ce « Progrès », c’est d’avoir été plus fort, plus puissant que les autres peuples, et de les avoir écrasé et fait disparaître, consommant par là notre perte et notre propre défaîte en tant qu’humains.

            Car si apparemment nous avons un don extraordinaire pour la technique, nous avons perdu le secret de ce qui fait vivre et grandir l’humain, et nous nous retrouvons aujourd’hui, comme dans le roman de W. Golding, « sa Majesté des mouches », à l’état d’orphelins perdus sur une île déserte.

            Cordialement Thierry


            • Bernard Dugué Bernard Dugué 19 janvier 2007 21:09

              Thierry,

              Le film et le dispositif, c’est une métaphore évoquant la dualité esprit et nature-corps chez Hegel, quant à la question de la puissance, elle renvoie à un vieux dilemme entre Nietzsche et Hegel

              Vous avez semble-t-il capté mon billet, avec l’allusion au progrès spirituel qui est collectif mais moins, l’Histoire épuisée, alors, c’est le Sujet qui grandit


              • aquad69 (---.---.100.34) 23 janvier 2007 10:49

                Sans doute...

                Mais ce qui compte, c’est bien de débattre de l’idée elle-même et de sa réalité, les mots sous lesquels nous l’exprimons n’ont guère d’importance. C’est la Chose elle-même qui est intéressante, et non sa théorie.

                Je craind que cette habitude très moderne de renvoyer à chaque fois telle ou telle notion à tel ou tel auteur, de l’étiqueter en quelque sorte, ne soit plutôt une manière d’évacuer le débat que de le faire avancer : cela me rappelle des joueurs d’échecs tellement « cultivés », quand aux stratégies, qu’ils préfèrent passer leur temps à en discuter, se renvoyant la « tactique de Duponski », réfutée par « celle de Biedermann »...

                Au reste, Nietsche et Hegel n’ont rien inventé en la matière, car ce débat est vieux comme le monde : les anciens parlaient d’« Essence » et de « Substance, ou de  »Materiata signata« et »Materiata signata quantitate" par exemple, ou en les innombrables termes dans toutes les langues du monde, de tous temps, Chinois, Indous, Hébreux, Arabes, pre-Américains, etc, etc. Nous n’avons rien « breveté » en la matière...

                Ce qui compte, c’est que les notions et recherches existentielles étant inhérentes à l’humain, par nature, ce seraient vraiment prendre nos voisins, dans l’espace et dans le temps, pour des imbéciles que de croire qu’ils ne s’en soient pas préoccupé : et de fait, à les écouter ou les lire, on constate au contraire que c’était pour eux l’activité par excellence, seule digne de la qualité d’humain ; quand à la recherche technique matérielle, et sa production, elle était carrément méprisée.

                Ce sont des choses importantes à savoir et à se rappeler aujourd’hui, car cela nous permet de nous situer, nous et le point de vue moderne, et nous comparer à d’autres. Et de prendre conscience que si notre seule supériorité par rapport à eux est d’ordre technique, alors il n’y a pas lieu de nous en enorgueillir : tout celà n’est pas digne de nous.

                Cela permet de prendre du recul par rapport à toutes les théories scientifiques, économiques, et philosophiques actuelles, les pouvoirs et les systèmes mondiaux qui vont avec elles, et autres usines à gaz !

                Et quand on voit la vie des gens aujourd’hui, ou plutôt leur survie, il n’est pas sûr que le Sujet ait grandi...

                cordialement Thierry

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