Subir l’injustice de la justice française à 20 ans
Je suis orpheline. De mère d'abord, de père ensuite.
Cela n'incombe à aucune institution, la suite des événements, un peu plus.
Ma mère s'est faite renversée par une voiture alors qu'elle était cycliste. Elle est décédée, en ayant eu conscience qu'elle était en train de décéder.
Elle a laissé cinq enfants, dont le plus jeune avait alors dix ans.
Je suis sa seule fille, et j'ai par malheur choisi d'étudier le droit, juste après le décès de ma mère.
Ô quel ne fut pas mon étonnement de découvrir peu à peu les dysfonctionnements profonds de la justice alors que la période dans laquelle j'étais était déjà assez compliquée sur tous les plans.
Mon père était vivant mais ne s'occupait plus de nous depuis longtemps. Nous étions donc cinq enfants jetés dans la nature, alors que nous étions pour les aînés à peine majeurs.
Il faut rappeler qu'en matière d'accident de la route, la victime a droit a une indemnisation depuis une loi votée en 1985. Trois ans et demi plus tard, nous n'avons jamais rien touché de la part des assurances du responsable.
Au-delà de cela, nous étions trois mineurs au moment de l'accident. Trois mineurs sans responsable légal puisque notre père était défaillant.
Trois mineurs à qui, s'il arrivait quelque chose, personne n'en était responsable. Drôle de lubie.
Il a fallu attendre trois mois avant qu'un service d'un tribunal ouvre une lettre de désespoir d'un de mes frères.
Nous étions dans une situation jamais connue de la justice, car nous n'étions pas, à proprement parler, des "cas sociaux" que l'on pouvait placer à l'Aide sociale à l'enfance, et notre histoire était tout bonnement gargantuesque. Nous avons eu la "chance" de tomber sur une magistrate très compréhensive, humaine, et conciliante. Je m'étonne toujours de me dire que nous avons eu "la chance", alors qu'il me semble que cela devrait être la norme.
Après avoir réglé ces problématiques de responsabilité, (à laquelle la justice avait répondu par le fait qu'un de mes frères serait le tuteur de ses trois plus jeunes frères et sœur), le plan pénal est apparu.
L'enquête de cet accident au demeurant banal, s'est clôturée après plus d'un an et demi. Un an et demi pendant lequel nous ne savions pas si le responsable de cet homicide involontaire serait soumis ou pas à une justice. Peut-être avec du recul, nous aurions préféré ne pas nous lancer dans ce marathon.
Finalement, le procureur décide de poursuivre le prévenu.
Après la rencontre de deux avocats plutôt portés sur l'argent que sur l'humain, j'ai eu la « chance » de trouver un avocat compétent grâce aux études que je menais.
Nous nous sommes portés partie civile à ce procès pénal, car cela représentait davantage sur le plan symbolique qu'une procédure civile dénuée de toute approche humaine.
Les choses ont commencé à se gâter lors de la première audience, lorsqu'un mois plus tard, la décision nous déboutait de nos demandes en même temps qu'elle relaxait le prévenu qui n'avait pas commis de faute en tuant une cycliste et en laissant cinq enfants orphelins. Quant à nous, aucun préjudice ne pouvait nous être reconnu puisque ce prévenu n'avait pas commis de faute.
Dans notre malheur, quelqu'un a trouvé que cela n'était pas normal.
Un procureur a donc fait appel de cette décision. Sans cela, nous n'aurions pu faire appel, nous aussi.
La place de la victime dans un procès pénal, si elle est reconnue, est en pratique tout de même très ingrate.
Après avoir obtenu une décision écrite trois mois plus tard sur laquelle le déboutement autant que la relaxe n'étaient en rien justifiés, il a fallu de nouveau se concentrer sur l'audience d'appel. Obtenir une date, une convocation, n'a pu se faire qu'après nombre de relances près du procureur général de la Cour d'Appel concernée. Nous avons obtenu une date pour le 27 janvier 2016, soit quasiment trois ans et demi jour pour jour après les faits. J'ai une nouvelle fois très peur de cette justice, qui ne nous a encore jamais reconnu trois ans et demi après un statut de victime, une reconnaissance dont tout à chacun a besoin lorsque ce type d'accident est si violent.
Au-delà de l'injustice profonde que représente la perte aussi violente d'une mère à nos âges, nous avons dû faire face à l'injustice de la justice qui, non seulement aurait pu régler cette affaire en respectant les victimes, mais qui avait le devoir de protéger ces mineurs qui, laissés dans l'espace sombre et froid de l'avenir, n'avaient ni père, ni mère.
De même, la lenteur et l'absence d'humanité à laquelle nous avons fait face tout au long de cette procédure sont patents. Pourtant, personne n'est responsable, aucune institution ne portera jamais le chapeau de ces successions d'erreurs. Les victimes, elles, n'ont qu'à subir et observer avec lassitude que la justice n'apaise rien. Elle n'aide pas dans un deuil douloureux, elle le rend même encore plus difficile.
"Il se passera du temps encore avant que la justice des hommes ait fait sa jonction avec la justice.” Cette phrase d'Hugo dans L'homme qui rit expose tout à fait le sentiment auquel je suis confrontée, et contre lequel je me battrai toujours en voulant travailler pour cette justice.
Aussi contradictoire que cela puisse paraître...
18 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON