This is the end ?
Un entrepreneur chevronné devenu éditeur témoigne en première ligne du glissement de « l’économie réelle » vers une phynance folle (dite « créative »…) entrée dans sa « phase terminale d’autodestruction » car incapable de créer la moindre richesse ou valeur ajoutée de nature à résoudre les problèmes qu’elle a créés – mais qu'elle a allègrement hypertrophiés…
Claude Mineraud a créé sa première société en 1960 – c’était dans le courtage d’assurances. Depuis, le paysage assurantiel n’est plus le même – ainsi que celui d’un « capitalisme » sans boussole, désormais privé de la « moindre intelligence prospective en dehors de celle qu’il lui faut développer pour étendre et approfondir sa domination »…
Devenu directeur des éditions de la Différence après avoir longtemps œuvré dans le conseil patrimonial institutionnel, Claude Mineraud commet, on l’a compris, un réquisitoire contre « l’imposture d’un type de société qui prétend promouvoir le progrès et la liberté alors qu’il étouffe l’humanité dans un irrécupérable engrenage ».
Vers la disparition de toute perspective ?
Précisément, quel avenir peut espérer encore une espèce ayant consenti à « l’emballement d’une technostructure qui a échappé à la volonté et au gouvernement des hommes pour ne plus respecter que la seule loi de son engrenage » ? Quel avenir peuvent espérer, sur fond de déprédation environnementale, des peuples ayant consenti à n’être plus qu’à des rouages de cet engrenage implacable qu’aucun grain de sable d’esprit critique ne doit gripper ? « Une petite voix ne leur murmure-t-elle pas que leur nation, enchaînée à un système de plus en plus technocratique et déconnecté des êtres et des choses de la vie, a dépassé le stade de la décadence pour s’abîmer dans la disparition de toute perspective ? ». Mais non, les humains manifestent pour le moins une suicidaire inconséquence civilisationnelle et consentent à n’être plus que « les auxiliaires d’une spéculation financière qui, n’obéissant qu’à ses propres finalités, a pour seule ambition de satisfaire la voracité de ses engrenages » …
Si le monde est fait pour aboutir à un livre, comme le disait Stéphane Mallarmé (1842-1898), alors celui d’aujourd’hui semble tout juste bon à devenir, au choix, un texto, un SMS, un clip trash, un spot publicitaire – ou une loi votée en catimini, comme celle du 28 mars 2011 qui induit une déconstruction de la fonction d’officier public en assemblant le métier d’avocat et de notaire, « balayant une culture et une organisation sorties du Code civil »…
C’est le livre d’une disparition que signe Claude Mineraud : la disparition de l’homme comme but « au profit » de l’homme envisagé comme moyen ne claironne-t-elle pas l’avènement d’une barbarie sans retour assise sur la « dictature du court terme », « l’idéologie de la déréglementation », le « profit sacralisé » au mépris des peuples soumis aux « détournements légalisés » - et sur l’évasion fiscale ?
Comment ne pas saisir le rapport entre cette dernière et l’absence de « croissance » dans nos économies interconnectées ? « Ce manque de croissance, ou plus exactement encore, d’activité, n’a-t-il pas été provoqué, d’une part, par l’énormité de l’évasion fiscale consentie aux multinationales, aux oligarques, aux organismes financiers qui en sont les actionnaires dominants, aux bureaucrates qui en assurent la direction, d’autre part par l’absurdité de l’austérité infligée par la Commission européenne aux classes moyennes et aux classes ouvrières ? ».
Mais refait-on le match quand le terrain de jeu est devenu un coffre-fort verrouillé comme un tombeau où tout le monde, peuples et « décideurs », se retrouve enfermé, face à un écran dont les « lignes cathodiques » n’en finissent pas de se brouiller et de brouiller toute vision d’avenir, créant ou détruisant des trilliards de richesses ou de « dettes artificielles » ?
Autopsie avant meurtre
Désormais, par la magie dérisoire de la « transparence » (« une autopsie avant meurtre »), « le bourreau convie sa victime à assister sur les écrans de ses ordinateurs aux différentes phases de l’opération chirurgicale qui va la tuer – et la victime participe d’autant plus au jeu qu’on se rapproche de l’estocade »…
La métaphore de Prométhée filée par le serial entrepreneur pour tenter de faire saisir ce mortifère enchaînement d’une dépossession sans recours n’est pas de nature à rassurer quant au retour de cet esprit prométhéen chanté au fil des siècles. Affiché par les « vainqueurs de mai 1945 », le voilà sacrifié « sur l’autel d’une nouvelle divinité jamais rassasiée, idolâtrée et servie, comme hier le nazisme, par une « race supérieure », disposant de la survie ou de la mort de populations innombrables, composées de « sous-hommes » programmés et répartis en diverses catégories selon le coefficient d’utilité économique ou de rentabilité financière que leur attribuent les multinationales qui les réduisent en esclavage ou les assassinent »…
L’auteur estime que la « Troisième Guerre mondiale a commencé » voilà une quarantaine d’années lorsque, « sous l’effet de la mondialisation et de la massification des entreprises, le financier a commencé à opérer un drastique renversement des valeurs en mettant l’industrie sous sa domination, l’asservissant à l’irresponsabilité et à l’irrationalité du transfert déstabilisateur et quotidien de gigantesques flux de capitaux »…
Le praticien des affaires assoit son expertise sur une expérience de plus d’un demi-siècle, disséquant la crise dite des subprimes (l’incorporation au plus niveau des administrations de dirigeants d’une désormais célèbre banque d’affaires et la « sectomanie » des « élites » seraient-elles à l’origine de nos maux ?) - et doute fort que l’espèce puisse progresser « par rapport à son infrapsychisme d’origine » pour engager une « transmutation des valeurs » sur une terre désormais sans promesse : this is the end ? L’extinction du sens dans la mécanisation à tombeau ouvert et la spoliation algorithmique annoncerait-elle la fin inéluctable de l’homme ?
Quand une fraude universelle dégénère en « terrorisme financier » contaminant puis détruisant « les racines, le tronc et les superstructures de la vie », il n’est plus une issue qui ne débouche sur une falaise… Quelle boîte noire après le crash permettra-t-elle de « reconfigurer » une autre « réalité » sur une autre terre ferme que l’on ne pourra plus jamais dilapider ?
Claude Mineraud, La Mort de Prométhée, éditions de la Différence, 160 p., 16 €
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