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Une école sans gang de rue, est-ce possible ?

Le phénomène des gangs de rue n’a rien de nouveau pour le directeur d’une école publique du quartier Villeray. Au début de son mandat à l’école De Roberval, en 1992, Gérard Jeune a du composer avec plusieurs jeunes provenant de ce milieu criminalisé. Avec humilité, il raconte comment il a malgré tout fait le pari de développer chez ses élèves un véritable sentiment d’appartenance et de doter son école d’une meilleure réputation.

Dossier gang de rue, éducation. L’entrevue a été réalisé par Murielle Chatelier pour le magazine Reflet de Société.

En arrivant à l’école secondaire De Roberval, Gérard Jeune savait qu’il y aurait beaucoup de travail à faire. Les actes de violence perpétrés dans cette école publique avaient trouvé écho dans le monde scolaire, et plusieurs membres de gangs de rue se trouvaient parmi ses élèves.

« Ce que j’ai trouvé à De Roberval, ce sont des jeunes issus en majorité de ma communauté (haïtienne) qui avaient besoin d’un modèle, d’une raison de se comporter comme il faut », dit posément Gérard Jeune, le directeur de l’école du quartier Villeray, qui se nomme aujourd’hui Académie De Roberval.

Gang de rue : sous haute surveillance

Quelques mois avant son arrivée à De Roberval, un affrontement sanglant entre deux bandes rivales d’étudiants avait retenu l’attention de tout le personnel de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) et des comités de liaison de la communauté haïtienne. Cinq jeunes avaient été blessés lors de cette violente bagarre, à la machette, orchestrée dans un wagon du métro, entre les stations Fabre et Jean-Talon. L’un d’eux avait même sombré dans le coma.

« On m’a pressenti comme étant l’homme de la situation, se rappelle le directeur. Avec mon poste de directeur adjoint pendant 3 ans à l’Académie Dunton, j’ai fait la preuve que je n’avais pas froid aux yeux et que je n’hésiterais pas à brasser les choses. »

C’est sans baisser la tête qu’il a entrepris sa première action à De Roberval : changer tous les cadenas. « Je savais que certains élèves avaient des armes. Avec un cadenas fourni par l’école, je détenais toutes les combinaisons et je pouvais vérifier le contenu de chaque casier. »

Implacable, il suspendait chaque élève armé. « J’avais des étudiants à l’œil. Je fouillais leurs casiers avant d’aller les chercher en classe pour qu’ils viennent eux-mêmes les ouvrir devant moi. Je ne me suis jamais contenté d’être un directeur présent. Je suis un directeur visible. »

Et il se faisait voir jusque dans le métro Fabre, situé à 2 pas de l’école,
où il suivait ses élèves pour s’assurer qu’ils ne s’attroupaient pas et qu’ils quittaient bien le territoire de l’école. « Je n’avais aucun contrôle sur ce que faisaient mes jeunes en dehors de l’école. Mais tant qu’ils étaient sur mon terri
toire, et le métro en faisait partie en raison de sa proximité avec l’école, je ne tolérais aucun écart de conduite, et chacun le savait. »

Fini aussi les va-et-vient de jeunes qui ne fréquentaient pas l’école. Le mot était passé à l’extérieur. Et personne n’a osé se pointer pour défier l’autorité de ce directeur à la poigne de fer. Un régime de la peur ? « Le fait d’être haïtien a beaucoup joué pour me faire accepter et surtout pour que les jeunes ne me considèrent pas comme leur ennemi. Ils me respectaient, même ceux qui ne fréquentaient pas l’école. Je pense que mon approche humaine a fait toute la différence. »

Un directeur à l’écoute des jeunes

« Si vous saviez le nombre de problèmes personnels que j’ai réglés dans ce bureau », dit M. Jeune, une lueur d’amusement dans les yeux à l’évocation de cet aspect de son rapport avec les jeunes. Toutes les tactiques étaient bonnes pour se tenir proche de ses ouailles.

« Parfois, je convoquais l’ami d’un élève en difficulté pour lui parler. Je sais que certains jeunes sont plus enclins à écouter des jeunes de leur âge. Comme ça, je m’assurais au moins que le message passe de façon efficace. »

Dans cette petite école de 500 âmes, aucun élève n’était un numéro. « L’un d’eux est arrivé ici avec le risque d’être emprisonné pour une accumulation de contraventions. Pour tenter de trouver une solution, je suis allé voir ses parents - en conduisant si vite pour être à l’heure que j’ai moi-même eu une contravention !
Ils étaient dans l’impossibilité de payer cette dette et s’étaient résignés à laisser leur enfant se faire emprisonner. Une chose m’apparaissait évidente : cet élève serait mieux à l’école que derrière les barreaux. Alors, j’ai payé de ma poche pour régler ce problème. »

Ces confidences dans le bureau du directeur n’étaient certainement pas le fruit du hasard. « J’ai été sévère avec les élèves de cette génération, mais je les aimais, et je suis persuadé qu’ils le savaient. Je voulais qu’ils réussissent leur vie, et j’ai été chercher tous les appuis possibles, autant auprès des enseignants que des élèves. Nous avons tous travaillé très fort. »

Contrer les gangs de rue : une vie étudiante bien remplie

Pendant un instant, ses yeux quittent les miens pour fixer un écran derrière moi. Avec un léger sourire, il me dit : « Vous voyez, ces jeunes-là, je vais devoir les faire sortir de l’école pour qu’ils rentrent chez eux. Ils aiment ça être ici. » Je me retourne pour constater que, sur l’écran de surveillance, plus d’une heure et quart après le dernier son de cloche, des élèves se disputent joyeusement une partie de air-hockey dans le « foyer » de l’école. « Si un étudiant n’a pas de sentiment d’appartenance, il n’aura aucune motivation pour venir à l’école. Et c’est pour ça que j’ai instauré une vie étudiante diversifiée au sein de mon école. »

Une table de ping-pong installée en plein cœur du lieu de rencontre des étudiants a servi de premier pont entre ce directeur et ses élèves. Aujourd’hui, les élèves jouissent de cinq tables de jeu, ping-pong, baby-foot et air-hockey, d’une radio étudiante et d’une salle de cinéma qui se transforme en mini auditorium pour les danses du vendredi. Un technicien en loisirs a été embauché à temps partiel pour superviser ces activités.

Il ne se passe presque pas une semaine sans qu’un des anciens élèves de Gérard Jeune ne lui rende visite. Et comme pour lui donner raison, deux étudiants de la promotion 1994-1995 font le pied de grue devant le secrétariat à mon entrée dans
l’école. L’un d’eux, un banquier qui vit à Vancouver, était prêt à attendre M. Jeune des heures s’il le fallait.

Une nouvelle réputation, sans gang de rue

Depuis l’implantation en 1996 d’un projet éducatif qui consiste à sélectionner les meilleurs étudiants en les soumettant à un examen d’entrée, les perceptions envers cette école publique ont changé. « En plus de sélectionner les étudiants, l’Académie De Roberval s’est aussi dotée d’un code vestimentaire. Ces initiatives ont nettement contribué à notre notoriété. »

Dans les classements des écoles publiques, l’académie fait bonne figure et se positionne parmi les établissements les plus performants. « Depuis deux ans, on reçoit tellement de demandes qu’on est obligés de tenir deux soirées de portes ouvertes, et le gymnase se remplit à craquer à chaque fois. Quand c’est le moment des inscriptions, les files d’attente s’étirent jusqu’à l’extérieur du bâtiment. Je dois l’avouer, ça me fait vraiment plaisir ce succès », raconte Gérard Jeune en savourant les efforts qu’il a mis pour redorer son école.


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2 réactions à cet article    


  • Patapom Patapom 24 janvier 2009 13:37

    Sympa, mais on aurait voulu savoir que l’école De Roberval se situait à Montréal au Québec et pas dans le Loir-et-Cher en France, par exemple smiley

    (ceci dit, on s’en doute au vu du profil de l’auteur)


    • Raymond Viger Raymond Viger 24 janvier 2009 13:41

      Vous avez parfaitement raison Patapom. Merci pour la précision. Je vais être plus vigilant sur ce point. Surtout qu’au Québec nous avons plusieurs nom de lieux qui nous ont été légués de la France, cela peut porter à confusion.

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