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Accueil du site > Actualités > Technologies > Nobel 2012 de physique cohérent pour couronner la décohérence

Nobel 2012 de physique cohérent pour couronner la décohérence

 François Hollande ne tardera sans doute pas, à l’heure où j’écris ces lignes, à s’exprimer d’un communiqué sobre pour saluer l’attribution du Nobel de physique à un Français, professeur au Collège de France, Serge Haroche, partageant son prix avec son confrère américain David Wineland. Ce prix couronne des travaux identiques menés par ces deux chercheurs dans leurs laboratoires respectifs. Tous deux sont nés la même année, en 1944, ce qui ajoute à la cohérence de ce prix décerné pour des recherches sur la décohérence, phénomène du domaine quantique que le grand public méconnaît, tout comme il ignorait l’existence de ces deux personnalités avant que le Nobel n’accorde un moment de célébrité à ces chercheurs de l’impossible qui ont réussi à traquer et prendre dans les mailles de leur filet ces fameux phénomènes de décohérence dont l’observation nécessite des appareillages très pointus que seule, la technologie de la fin du 20ème siècle a pu fournir.

 Mais qu’est-ce donc que cette décohérence ? J’avoue être perplexe et assez dérouté par ces recherches portant sur la physique quantique et plus précisément sur la mesure quantique. Contrairement au monde macroscopique que nous percevons, le monde invisible des éléments matériels individués est pour le moins assez étrange. On le sait depuis le début du siècle dernier, notamment avec les interférences de Young montrant le caractère probabiliste des comportements quantiques. On ne sait pas par quelle fente passe le photon ou l’électron. Appliqué à notre monde, ce comportement ferait qu’on verrait une boule de billard passer par deux trous à la fois, ou alors une superposition de balles de golf sur un terrain, image fournie par le physicien Roger Penrose pour expliquer ce qui reste inexplicable dans le monde quantique. Pourquoi les règles de ce monde ne nous affectent pas ? Et heureusement car comment imaginer un match de foot si les joueurs voient plusieurs ballons sur le terrain. Le seul intérêt serait sans doute le loto où plusieurs tirages se superposeraient, ce qui augmenterait les chances de gagner.

 La théorie quantique dont les postulats ont été fixés en 1927 énonce quelques règles précises codifiant notamment la mesure quantique. Avant que la particule ne soit observée, le système doit formellement décrire cette particule sous la forme d’une superposition d’états, chacun étant affecté d’une probabilité. Une fois que la mesure est effectuée, un seul état est observé. Ce qui a permis de concevoir le principe de réduction du vecteur d’état. Cette chose étrange a été exploitée par Schrödinger qui inventa ce fameux chat placé dans une boîte avec une fiole de poison couplée à un détecteur de particule. D’après la description quantique, le chat est à la fois mort et vivant. De là découla la théorie des univers parallèles de Wheeler et Evere pour lesquels au moment de la mesure, deux univers se séparent, l’un où le chat est vivant et l’autre où il est mort. Ce qui est possible mais comme l’expérimentateur reste dans un seul univers, il ne peut pas aller vérifier si le chat vivant est mort dans l’autre univers. En fait, l’énigme de la mesure nous met face à l’interrogation sur la réalité. Et c’est ce questionnement auquel les expériences et le formalisme de la décohérence ont tenté de répondre.

 En fait, il existe deux cadres épistémologiques distincts, celui de la réduction de la fonction d’onde et celui de l’observation des phénomènes de décohérence. Dans le premier cas, la superposition des états est une construction formelle. Un état réel ne peut pas être affecté d’une probabilité. La mesure quantique permet alors de « réifier » en quelque sorte la construction formelle qui prend une phénoménalité définie, celle de l’observation d’un seul état. Il y a donc une séparation idéalité réalité d’où découle une scission temporelle entre l’avant et l’après de l’expérience. Mais pour les spécialistes de la décohérence, il est possible de transgresser ce principe et d’observer très finement, dans ces conditions expérimentales extrêmes, la transition entre des états superposés et l’état obtenu lors de la mesure. L’idée de base étant qu’un système quantique ne peut être isolé et que c’est parce qu’il interagit avec un environnement que la superposition des états est détruite et que le phénomène de décohérence se produit. Pour le dire autrement, c’est le champ d’expression des phénomènes qui impose aux processus microphysiques de se présenter à nous de manière singulière et non pas comme une superposition d’objets. L’environnement force les particules à détruire leur état superposé pour apparaître dans une seule forme. Dans l’expérience des fentes de Young on peut savoir par où passe la particule mais pour cela on doit placer un détecteur et échanger de l’information avec la particule. C’est parce qu’elle apparaît dans notre monde que la particule a une trajectoire. Si on ne l’observe pas, on se sait pas quelle est sa trajectoire et on peut supposer qu’elle en a deux. Et par la même occasion, on supprime les interférences.

 Il y a donc une frontière quasiment ontologique, pour ne pas dire métaphysique, entre l’univers quantique et le monde que nous percevons et dans lequel nous pouvons faire des expériences. C’est cette frontière qui a été explorée par les deux lauréats du Nobel physique de 2012 après des décennies de savantes discussions sur la mesure quantique. C’est simultanément, en 1996, que Wineland et Haroche ont publié pour la première fois l’observation de la décohérence. Et comme on s’y attend, c’est une question d’interférence qui en principe, ne peut pas être détectée, sauf avec les dispositifs spéciaux élaborés dans les laboratoires de Wineland et Haroche qui lui, a pu observer non seulement les interférences mais aussi le moment où elles disparaissent. Il faut pour cela utiliser des atomes très particuliers qu’on désigne comme atomes de Rydberg parce l’état d’excitation est tel qu’ils ont un nombre quantique très élevé, ce qui leur confère une taille mille fois plus importante qu’un atome ordinaire, et leur permet aussi d’interagir avec des micro-ondes. Et finalement c’est très cohérent car ces atomes interviennent dans le principe de correspondance censé établir une rustine « ontologique » entre les mondes classique et quantique. Tout se joue dans une micro cavité et dès qu’un photon s’échappe, alors la superposition, extrêmement fragile, est détruite. On retrouve bien l’idée fondamentale que c’est l’environnement qui détruit la superposition et force le monde quantique à se présenter à nous comme classique. Et donc, en règle générale, l’interprétation classique de Copenhague est validée et l’observation ne donne qu’une mesure car les conditions pour observer les interférences sont exceptionnelles. Et plus la taille du système d’observation augmente, plus le temps de décohérence est infiniment réduit pour ne pas dire nul. C’est en se plaçant dans les conditions où ce temps n’est pas nul que Haroche et ses collaborateurs ont pu observer les interférences.

 Ces expériences n’ont aucun intérêt du point de vue pratique et même montrent que la réalisation d’un ordinateur quantique est impossible, comme d’ailleurs le voyage dans le temps. Néanmoins, ces travaux sont d’une portée épistémologique et ontologique très importante et c’est une bonne nouvelle que de voir le Nobel couronner des recherches fondamentales permettant non pas d’agir sur le monde mais de le comprendre dans ses ultimes énigmes. Se confirme à cette occasion la bonne santé de la physique française, contrairement à la recherche médicale qui sombre lentement. 


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18 réactions à cet article    


  • travelworld travelworld 9 octobre 2012 15:43

    Quantique ? Pour la plupart des gens, le mot même n’existe pas, il faudrait une télévision scolaire comme autrefois pour sortir du « pain et des jeux » Je propose Arte éducation !


    • insomnia 9 octobre 2012 22:52

      Que fait le CERN ? Dès collège pour notre futur !


    • L'enfoiré L’enfoiré 9 octobre 2012 17:02

      Cette fois, nous étions aussi en compétition avec le Boson de Higgs


      • Xtf17 Xtf17 9 octobre 2012 20:37

        Sauf qu’il reste à valider le spin de la « particule » découverte avant d’être certain qu’il s’agit du Boson de Higgs. L’an prochain peut-être (j’espère).


      • L'enfoiré L’enfoiré 9 octobre 2012 17:22

        «  la recherche médicale qui sombre lentement. »

        Là, je ne suis pas tout à fait d’accord.
        Les cellules souches qui sont à l’honneur, leur régénérescence donne beaucoup d’espoir à la médecine.
        Mais c’est vrai ce n’est pas très visible. Un vaccin contre Alzheimer, contre le cancer serait bien plus intéressant. 

        • Bernard Dugué Bernard Dugué 9 octobre 2012 17:43

          Je parlais évidemment de la recherche médicale française qui décline faute d’esprits aventureux

          Quant aux cellules souches, je ne nourris aucun espoir, ça ne marchera pas plus que les thérapies géniques. Le seul espoir, c’est la médecine biomagnétique et qui sait si ces recherches sur les atomes de Rydberg n’auraient pas une application dans la compréhension du vivant ? Je n’en sais rien. Il faudrait une sacrée tronche pour en décider


        • foufouille foufouille 9 octobre 2012 18:07

          pour que ca marches, faut que ce soit tres rentable


        • cassandre4 cassandre4 10 octobre 2012 15:39

          L’enfoiré

          Mais c’est vrai ce n’est pas très visible. Un vaccin contre Alzheimer, contre le cancer serait bien plus intéressant.

           Mais serait une véritable catastrophe pour l’industrie pharmaceutique ! (qui a intérêt à maintenir le statu quo !)


        • curieux curieux 9 octobre 2012 21:41

          Et aujourd’hui, Hollande est le champion de l’incohérence. Bientôt, il sera plus bas que Sarkozy et c’est pas peu dire. Il récupère l’électorat UMP en perdant son électorat, c’est ce qu’on appelle un sot quantique


          • insomnia 9 octobre 2012 22:59

            Il est le « sot quantique » ou la continuité du NOW ? Je dirai que « nous » le peuple sommes..... les sots.
            Rien n’est fait au hasard !


          • curieux curieux 9 octobre 2012 23:22

            Tu as raison mais peut-etre n’y a-t-il aucun hasard dans la physique quantique ?


          • SamAgora95 SamAgora95 10 octobre 2012 11:05
            « ..Ces expériences n’ont aucun intérêt du point de vue pratique  ».

            Bien sûr que si,puisque leur travail à permis la mise au point d’une horloge ultra rapide, c’est une grande avancée qui permettra des mesures prises dans bien des domaines.

            « ...et même montrent que la réalisation d’un ordinateur quantique est impossible, comme d’ailleurs le voyage dans le temps »

            A chaque fois que la science pense que quelque chose est impossible, il fini par le devenir.

            Des société dépensent des milliards pour la mise au point d’un tel ordinateur, vous pensez que ce sont des rigolos ? la nature à réussit à le faire (photosynthèse, cerveau(probablement)), alors rien n’est impossible.


            • Bernard Dugué Bernard Dugué 10 octobre 2012 11:13

              Par pratique, j’entendais des applications grand public. Les journalistes n’ont pas hésité à faire l’amalgame entre les travaux de Haroche et la technologie des ordis et des iphones. C’est assez différent du précédent Nobel français dont les travaux ont changé la donne en matière de disques durs

              L’ordinateur quantique est impossible, et Haroche l’explique très bien dans l’article dont j’ai mis le lien. Mais les journalistes aiment rêver. L’ordinateur quantique basé sur des états superposés est impossible à réaliser, en dépit de l’unanimité des journalistes sur ce point !


            • Lancelot du Lac 14 octobre 2012 16:47

              @Dugue

              Haroche vous a si bien expliqué ce pourquoi un ordinateur quantique ne peut pas être réalisé que vous n’êtes pas capable de restituer l’esquisse d’un début de cette explication et procédez par affirmations péremptoires. Les mécanismes quantiques basés sur l’intrication (mécanisme de base pour un éventuel calcul quantique) existent certainement dans la nature et sont de manière fort probable mis en oeuvre par dans la photosynthèse pour donner un exemple. Je pense que vous devriez donc nuancer votre propos pour ne pas caricaturer le discours de la science.


            • lesdiguières lesdiguières 10 octobre 2012 14:34

              Il y a la physique quantique et la musique cantique, celle de Bach est tout à fait cohérente. Quand à l’ordinateur quantique la Nature l’a déjà inventé : Le cerveau humain, mais il reste beaucoup d’incohérence !


              • Ruut Ruut 11 octobre 2012 08:04

                En gros le quantique c’est ce que notre technologie ne sait pas voir en temps réel.


                • jjwaDal jjwaDal 14 octobre 2012 18:11

                  Suis toujours heureux de voir la science faire des progrès en microphysique. Quelques réflexions de ma part : il nous a fallu un peu de temps pour comprendre que les objets macroscopiques sont en réalité un vide immense dans lequel des entités (pas franchement « matérielles ») occupant très peu de place structurent leur environnement grâce à des champs de force. Je ne pense pas que la physique moderne considère les particules (électron par ex) comme des objets tridimensionnels (permanents ou statistiques) (ils pourraient n’être qu’un fonctionnement tridimensionnel en étant tout autre par ex) et donc leur comportement paradoxal à petite échelle n’a a priori aucune raison de se plier au comportement d’une boule de billard s’approchant de deux trous espacés au bout d’une rampe de lancement.
                  De la même façon que le caractère « solide » d’un objet n’est qu’un (empilement de ) fonctionnements spatialement délimité, la physique quantique ne nous parle-t’elle pas d’un autre monde (une histoire d’échelle encore) où l’espace et le temps auraient des propriétés inédites à plus grande échelle, la rendant pour le moment peu compréhensible, faute d’avoir trouvé la grille de lecture ?
                  Il me souvient d’Etienne Klein parlant de pistes de recherches où l’espace et le temps seraient eux-mêmes des conséquences du « fonctionnement » d’entités primordiales (matérielles/énergétiques). Y aurait-il des indices d’une telle physique au niveau où commence à s’exprimer les phénomènes quantiques ? Un monde passionnant à explorer même si les progrès sont bien lents pour notre espérance de vie individuelle...


                  • oj 15 octobre 2012 01:26

                    mais si enfin, il est possible de remonter dans le temps !

                    simplement quand vous revenez de nouveau c’est dans une réalité parallele et donc différente de celle du départ.

                    voila tout !

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