Relativité générale, darwinisme, homme neuronal : il faut briser les chaînes du modernisme !
La science moderne s’achève avec des édifices théoriques opérationnellement valides mais faux si l’on se place du point de vue de la connaissance intégrale de la matière, du cosmos, de l’évolution et de l’homme. La science ne décrit pas la Nature mais ce qu’elle parvient à mesurer et manipuler en utilisant des interfaces technologiques et expérimentales permettant d’avoir une prise sur cette Nature. Au final, après quatre siècles de développement scientifique moderne, la compréhension des choses et du monde est incomplète. Et ce n’est pas en perfectionnant les mesures et les expériences, ni en usant de calculs informatiques, que l’on accédera à la connaissance des choses. La science moderne ne permet pas d’établir un rapport de vérité avec les choses qu’elle étudie. Si le lecteur m’accorde une confiance critique, alors il pourra continuer la lecture de cet exposé dont le but est d’évoquer comment une communauté de scientifiques maintient un ensemble de théories fausses mais efficaces. Si le lecteur ne me fait pas confiance, qu’il s’en remette au clergé de l’Université qui assure l’intendance des savoirs avec professionnalisme.
Que l’on ne se méprenne pas. Si je compare l’Université avec un clergé, c’est avec bienveillance, autant pour les universitaires que les ecclésiastes sans lesquels nous n’aurions aucun repère pour nous orienter dans le monde et la société. Je préfère largement m’instruire avec un professeur avec une chaire ou un cardinal docteur en théologie qu’accorder quelque crédit à des faux savants jouant les Bouvard et Pécuchet, souvent dans les commentaires et forums du Net. Pour tout vous dire, je suis autodidacte dans la plupart des disciplines et aussi savant que les professeurs, mais savant instruit par une nouvelle science. On sait depuis des siècles que les institutions dépositaires d’un savoir ne sont pas disposées à le modifier, voire le changer, mais que les circonstances imposent parfois des changements plus ou moins radicaux. C’est comme cela que la science fonctionne, ainsi que la philosophie, et même la théologie. Ainsi, l’Eglise catholique a-t-elle instruit deux conciles déterminants, Vatican I et II. Mais elle n’a pas encore accompli l’ultime saut vers l’universel. Le congrès Solvay de 1927 sur la mécanique quantique fut une sorte de concile entre physiciens. Mais difficile de réconcilier Bohr, Einstein et Schrödinger !
A dire vrai, la conservation des doctrines et théories s’avère légitime car il faut maintenir les points d’ancrage permettant au système technique et au psychisme de fonctionner avec des méthodes éprouvées et des repères censés guider nos existences et leur conférer un minimum de sens ainsi que des outils efficaces. Les savoirs sont aussi une source de profit, d’intérêts personnels, manifestés par des personnes faisant carrière en revendiquant une autonomie et un individualisme mais en s’appuyant sur une communauté ou une institution avec sa hiérarchie, ses systèmes d’avancement, de coteries et ses financements. C’est pour toutes ses raisons que l’Université n’est pas disposée à étudier les théories alternatives. La situation évoluera lorsqu’un nombre critique de scientifiques porteront une attention à ces options alternatives pour en faire une connaissance légitime et partagée par une communauté de savants disposé à la développer et la diffuser à des étudiants ainsi qu’au public lettré.
Le cas du darwinisme est assez édifiant. Les évolutionnistes veillent au grain, fustigeant les « abominables créationnistes » mais au final, cela ressemble à un jeu de dupes, une sorte de mésentente cordiale entre opposés, comme au temps du pacte germano-soviétique. Les créationnistes se nourrissent des failles du darwinisme pour maintenir leur « théologie pourrie » alors que les darwinistes se servent du créationnisme pour éviter de s’interroger sur cette théorie matérialiste de l’évolution qui est fausse dans ses fondements. Les savoirs scientifiques sont encadrés puissamment par des hiérarchies aussi organisées qu’une armée ou une Eglise. Cette hiérarchie encadre les modifications mineures du darwinisme, comme du reste les innovations en cosmologie, sans prendre le risque de bousculer le big bang et la relativité (voir à la fin de propos sur Lakatos). Les neurosciences ont tellement de ressources technologiques et expérimentales qu’elles peuvent très bien se passer d’une compréhension de la conscience et d’une ontologie du psychisme. Si une hirondelle ne fait pas le printemps, une électrode produit des nouveaux faits expérimentaux.
Un prêtre peut administrer les cultes et les sacrements toute une vie sans connaître la théologie ni la grâce. C’est pareil pour un scientifique qui peut faire carrière pendant 40 ans dans une institution sans rien comprendre à la nature, la vie ou le psychisme humain. Mais on trouvera toujours des scientifiques ouverts, curieux, fascinés par l’étrangeté des objets qu’ils étudient et disposés à jouer aux résolutions des énigmes théoriques et ontologiques. Les gens de savoirs s’accrochent à des conceptions fausses parce qu’elles sont efficaces, qu’entre ne rien faire et faire, on choisit d’agir et de perfectionner les moyens techniques et aussi parce que mieux vaut des conceptions partielles mais certifiées par l’expérience que des billevesées fantaisistes émanant de touristes en ésotériste ou de prédicateurs dévoyées.
Et puis dans notre monde actuel de craintes et peurs diffuses, il est bon pour les gens de s’accrocher à quelques onces d’espérances que représente cette science avec ses promesses d’efficacité. Le changement de civilisation depuis 1960 a changé l’appréhension de l’existence. Les gens n’acceptent plus les contraintes, d’autant moins qu’elles peuvent en « théorie » être solutionnées par la science mais c’est bien connu, on rêve de vivre dans la « théorie » parce qu’en théorie, tout est parfait. Il y a une chose qui n’est plus du tout acceptée, c’est la mort. Alors quelques uns se plaisent à gloser sur les promesses d’immortalité rendues accessibles par la science qui, on le comprend maintenant, s’est habilement substituée aux religions. Cela dit, un théologien averti osera un clin d’œil en arguant que l’immortalité n’est pas la même chose que l’éternité.
Pourquoi raconter toutes ces choses ? Je ne voudrais pas déranger votre confort. Juste confesser cet étrange sentiment de capter une vérité sans pouvoir la partager car en face, règnent le « mensonge », les grands écarts face à l’ontologie et la téléologie, le déni de vérité, bref, comme si je devais naviguer dans une communauté d’esprits enfermés dans une science très efficace mais aussi très artificielle. C’est une expérience rare, que Galilée, Descartes et Spinoza ont vécue également, pénétrés d’une docte solitude avec un « savoir d’avenir » dont personne ne voulait entendre les résonances venues des horizons futurs. La position d’un Descartes ou d’un Galilée au 21ème siècle n’est pas plus aisée. Il n’y a plus la censure des autorités mais il y a pire, c’est la censure de l’indifférence.
La dynamique des savoirs s’est modifiée après le tournant des années 70 et la montée de l’individualisme. C’est encore plus général. Le rapport de l’individu à la société, à la nature et aux valeurs, s’est considérablement transformé. La valeur suprême, c’est le moi, le corps, l’ego et son histoire personnelle qui ne peut être accomplie qu’en sortant de l’individualisme, d’où le paradoxe de l’individu qui croit être au centre de la réussite et du mérite mais qui a besoin d’une communauté, d’un réseau ou d’une institution pour réaliser son histoire personnelle. Et c’est le cas en science, des chercheurs, des universitaires, des nouveaux clercs, des gestionnaires. La société se referme car les gens instruits ne curieux et ouverts ne se renouvellent pas.
Lyotard annonçait la fin des grands Récits collectifs issus de la Modernité. Nous sommes maintenant dans une hypermodernité gagnée par le modernisme. Au grand Récit se sont substitués les storytelling. Les héros et le peuple historiques ont laissé place aux narcissiques dont la gloire se construit à travers non plus les actes mais les écrans médiatiques de masse. Le narcissique est renfermé sur lui-même. La société aussi tend à multiplier les fermetures dans de multiples champs, ce qui est paradoxal à une ère ou tout semble accessible. Mais c’est bien artificiel que ces réseaux sociaux et autres interfaces connectantes.
Si cette fermeture est avérée, alors nous sommes dans une situation assez étrange car c’est l’inverse du schéma de Thomas Kuhn qui explique les changements de paradigme avec le renouvellement des générations, les anciennes quittant la scène et ne soutenant plus les paradigme dépassés alors que les jeunes générations se lancent dans les théories nouvelles et prometteuses. Ce fut le cas des hussards de la mécanique quantique après 1920. Mon opinion, mais j’espère me tromper, est que les jeunes générations s’en remettent au paradigme contemporain devenu maintenant dépassé, autrement dit la modernité scientifique achevée dans le modernisme. La science contemporaine reste bloquée sur ses « matérialismes », mécanismes et objectivismes tout comme la théologie chrétienne est restée pendant des siècles « scotchée » à l’Ecriture et le mystère fermé de la Trinité.
Finalement, on comprend le maintien des descriptions fausses dans la science moderne. Il est difficile de briser les chaînes surtout lorsqu’elles sont sûres et efficaces, promettant des réalisations techniques sans limites. L’Exode hors de la matérialité n’est pas de tout repos. Il permet d’accéder non pas à une terre promise mais un Ciel des idées. Il est plus confortable de rester un esclave heureux dans les certitudes mécanistes et empiriques de la « bonne science moderne » qui répond à l’exigence de sécurité. Le monde de Platon et de la Trinité appartient au audacieux et à ceux qui prennent des risques dans l’ici-bas. Dans l’au-delà, je n’en sais rien, n’y ayant pas séjourné je ne peux rien en dire.
De ces constats, il ne faut pas tirer quelque malentendu. Il n’est pas question de contester la science moderne dans son domaine de validité ainsi que sa légitimité. Cette science est utile autant par les savoirs qu’elle dispense que les réalisations qu’elle permet avec son efficacité dans un nombre considérable de problèmes qui, faut-il le rappeler, ne sont pas « tous les problèmes » ni les plus essentiels à l’homme. La nouvelle connaissance de la nature n’est pas en conflit avec la science moderne mais elle se tient à côté, elle est complémentaire, comme l’était pour Aristote la métaphysique qui étymologiquement, signifie ce qui se tient à côté de la physique. Ou plutôt, englobe la physique car par delà le comment des choses, elle tente d’expliquer le pour quoi et les finalités en œuvre dans le monde. Cette connaissance n’est pas subordonnée à une utilité d’ordre pratique ou particulier. Elle livre un sens à la nature, au cosmos, à ce que nous sommes et pouvons espérer. Les chaînes du modernisme ne sont pas matérielles mais spirituelles. La Modernité est bel et bien ce que les penseurs lucides ont compris. Elle est un Janus, offrant des facilités matérielles colossales tout en induisant une « détresse » morale et spirituelle accompagnée d’une connaissance tronquée des Choses.
Quant au devenir de la nouvelle connaissance à laquelle je tente de contribuer, eh bien il se peut que les thèses de Lakatos se vérifient. Avec les scientifiques qui dans leur domaine, maintiennent un noyau dur ainsi qu’une ceinture protectrice offrant un espace pour les réfutations poppériennes. Tout en appliquant une heuristique négative interdisant d’aller chercher en dehors de certaines limites avec des méthodes non conventionnelles. L’espace-temps gravitation d’Einstein, le darwinisme contemporain, le matérialisme neuroscientifique, voilà trois noyaux durs qui sont en vérité des cavernes modernistes enfermant les connaissances dans un univers limité et tronqué. Cavernes ou bulles, pour reprendre une notion de Peter Sloterdijk. Les hommes hyper modernes cherchent la sécurité dans les bulles. La vérité est offerte à ceux qui prennent des risques. C’est l’un des enseignements du Christ. Mais l’homme étant perfectible, il peut tout aussi bien trouver la connaissance que se perdre. Telle est la règle du jeu existentiel authentique en ce monde. Finalement, le monde moderniste convient bien à notre époque. On ne se perd pas, on ne gagne pas les rivages du Mystère, on ne risque pas de se perdre dans les ténèbres. On se contente des lots de consommation, habile jeu de mot pour signifier les lots de consolation. Qui n’ont aucun rapport avec le Paraclet qui est traduit par consolateur dans les Bibles protestantes. A bon entendeur !
Les connaissances vont basculer (vers la nouvelle MONADOLOGIE) mais cela prendra du temps. Les nouveaux savants devront affronter les réticences pour ne pas dire les barrières placées par les dépositaires des savoirs actuels. Je n’ai pas l’intention de m’étendre sur ce point mais force est de souligner une sorte de trahison des élites, comme cela est raconté par Lasch, une trahison à l’égard des valeurs, des idéaux, de la république des sciences et des enseignements, de la diffusion des innovations par les médias et autres responsables dont l’éthique veut qu’ils se battent pour faire entendre toutes les opinions, y compris celles qui menacent les ordres savants établis.
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