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Nobel de médecine 2006, un grand cru

 

Le prix Nobel de médecine a été attribué à Craig Mello et Andrew Fire pour leurs travaux sur l’interférence ARN ; l’article inaugural fut publié en 1998 dans la revue Nature. Cette distinction n’a rien de surprenant puisque Mello a reçu tout récemment le prix Paul Janssen auquel s’ajoutent le Prix Paul Ehrlich et Ludwig Darmstaedter 2006, le Prix Dr Lewis S. Rosenstiel récompensant le travail le plus important pour les sciences médicales fondamentales, le prix international de la Fondation Gairdner, le Prix de l’Académie nationale des sciences pour la biologie moléculaire, le Prix Wiley de sciences biomédicales, le Prix triennal Warren, et le Prix Massry. Cette découverte a donc eu un retentissement dans la communauté scientifique et fut à l’origine de nouveaux champs d’investigation dans le domaine des régulations géniques. Autant dire que ce prix est amplement mérité.

La presse, essentiellement intéressée par le côté utilitaire, me manquera pas d’insister sur les applications biomédicales espérées. Ce qui s’explique aisément (je parle des applications), car l’interférence ARN est un mécanisme de contrôle de l’expression des gènes et donc, des thérapies peuvent être escomptées dans le domaine du cancer, voire du Sida. Il s’agit d’une technique de plus s’ajoutant aux autres thérapies géniques dont le principe est de modifier l’expression du génome cellulaire de telle manière qu’un mécanisme corrigé puisse participer au fonctionnement normal du tissu concerné.

Si cette découverte mérite un intérêt, c’est aussi parce qu’elle complète les connaissances que l’on a du fonctionnement cellulaire. En ces temps où l’on reproche à la recherche d’être utilitaire et inféodée au profit, il est bon de rappeler qu’une recherche dite fondamentale a encore toute sa raison d’être, alors que ce sujet de société vient de faire l’objet d’une réunion organisée par un collectif de chercheurs où se sont montrés une brochette de présidentiables, excepté les plus en vue dans les sondages... no comment.

Rappelons une autre découverte, celle des rétrovirus. Il était impensable selon le dogme génétique des années 1970 qu’un ARN se transforme en ADN. Les découvertes récentes ont infirmé ce dogme alors qu’un des ces rétrovirus est connu pour avoir fait des millions de morts. L’interférence ARN complète la famille des macromolécules à acide ribonucléique dont ont connaissait trois spécimens. Les ARNm messagers, transcrits à partir des gènes de l’ADN, puis les ARNr ribosomiaux et ANRt de transfert, responsables de la traduction des gènes en protéines. Voilà le nouveau membre de la famille, l’ARNi, la lettre en indice signifiant interférence. Quant à la spécificité de cette ARN, il est bicaténaire, autrement dit à double brin, contrairement à l’ARN de transfert monocaténaire, et par ailleurs, de petite taille. Ainsi, un ARN bicaténaire est capable de bloquer l’expression d’un gène dont la séquence est complémentaire. En fait, il existe deux mécanismes, l’un agissant sur l’ADN et l’autre étant une régulation post-transcriptionnelle, puisque le mécanisme ne se produit pas au niveau de l’ADN mais grâce au guidage d’une protéine qui va détruire l’ARN messager ainsi repéré par la complémentarité de sa séquence. Ce qui a pour effet de supprimer la traduction et de rendre indirectement le gène silencieux.

Cette découverte renforce la complexité des mécanismes cellulaires d’expression génique. Elle présente aussi un intérêt dans le champ de l’évolution puisque ce mécanisme est présent dans les plantes, ce qui le rend antérieur à la divergence entre règnes animal et végétal. Comme si avant de se complexifier en structures pluricellulaires, la vie avait mis en place des mécanismes de régulation et de sauvegarde extrêmement élaborés. En effet, ce mécanisme, entre autres choses, bloque les expressions anarchiques de matériel génétique « déviant », notamment ceux des virus mais aussi des transposons, ces « gènes facétieux » qui se fixent de manière « fantaisiste » sur l’ADN. Soulignons aussi la confirmation du caractère communicationnel de la vie moléculaire, en mentionnant également une des rares découvertes récentes et innovantes dans ce domaine, celle des protéines scafflold, sortes de connecteurs moléculaires à l’instar des dispositifs électroniques présents dans les centraux téléphoniques. La vie repose sur la communication. Tel sera l’un des principes du prochain paradigme en sciences du vivant (à ne pas réduire à son ancêtre bricolé à partir de la théorie de Shannon par Henri Atlan).

La dernière remarque sera d’ordre sociologique. Nos deux Nobel n’ont pas atteint la cinquantaine et lorsque leur article original a paru en 1998, ils avaient 38 et 39 ans, âge où, dans un laboratoire français, le chercheur est souvent considéré comme immature et mis sous la tutelle d’un mandarin prenant en charge ses thématiques et sa carrière. Hormis la jeunesse des lauréats, les dépêches de presse soulignent un étonnement quant aux huit ans séparant la récompense de la découverte. Il n’y a pas à s’étonner si l’on se souvient des Nobel attribués à Dirac, Heisenberg et autres Schrödinger pour leurs contributions à la physique quantique, alors que la double hélice d’ADN découverte en 1953 par Watson et Crick leur a valu le Nobel en 1962. La découverte du prion comme agent infectieux par Prusiner, bien qu’ayant été difficilement acceptée, a justifié également une reconnaissance rapide. Bref, les découvertes scientifiques ne suivent pas le cours des grands crus de Bourgogne ou du Bordelais, ces derniers devant être dégustés après avoir vieilli des décennies, alors qu’une découverte importante se savoure rapidement. Dans le cas contraire, un Nobel attribué de manière « routinière » couronne le plus souvent un biologiste ayant su conduire une équipe, naviguer de congrès en conférences, se mettre en vue auprès du comité d’attribution après publication de centaines d’articles permettant de perfectionner une spécialité avec quelques nouveautés à la clé.


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7 réactions à cet article    


  • Voltaire (---.---.200.194) 3 octobre 2006 11:05

    Je me souviens très bien de cet article paru dans le journal Nature en 1998, tout à fait révolutionnaire. À l’époque on ne pouvait pas encore savoir si ce mécanisme présent chez le nématode C. elegans (genre de minuscule ver) pouvait être applicable dans une cellule de mammifère (et donc chez l’homme), mais l’élégance ( smiley des expériences de Fire et Mello et leur démonstration m’avaient séduit et j’avais fait circulé ce papier à tous mes collègues...

    Quant au problème récurrent de l’absence d’autonomie donnée aux jeunes chercheurs en France, cela demanderait un article à lui seul, mais il faut noter avec plaisir que la future agence européenne de financement de la recherche (l’ERC), après un gros effort de lobbying de l’association Euroscience, soutiendra en priorité les projets émanant de jeunes chercheurs. L’Europe sert bien plus qu’on ne le pense...


    • Fabrice Fabrice Duplaquet 3 octobre 2006 13:12

      La valeur d’un chercheur est inversément proportionnel à son age. Les plus jeunes sont les plus productifs MAIS les plus vieux ont le plus d’expérience et permettent aux jeunes de travailler en équipe avec du bon matériel et de bonnes orientations. Souvent les Nobelisés le sont au nom d’une équipe. Les plus travailleurs sont souvent dans l’ombre. Merci de vous souvenir d’eux.


      • Jojo2 (---.---.158.64) 3 octobre 2006 16:48

        C’est une disgression, mais je me demande si le Nobel en sciences expérimentales a encore un sens. Les travaux sont conduits le plus souvent par des équipes extrèmement nombreuses et il est difficile de distinguer qui est à l’origine de quoi (sans parler des travaux antérieurs qui ont pu stimuler telle ou telle recherche, c’est très clair dans ce cas ci). En physique expérimentale, les cosignataires d’articles peuvent dépasser la centaine... Le mérite en reviendra toujours au chef...


        • Timothée Poisot 3 octobre 2006 19:14

          Des travaux comme ceux de Fire et Mello aboutissent à une conceptualisation de phénomènes (ici, les interferences au niveau de l’ARN) qui est importante pour le développement de théories et de pratiques par la suite : cf les possibles et O combien souhaitées avancées dans la lutte contre le VIH ou les cancers (qui, dans le meilleur des mondes possibles, se feraient en parallèle avec la recherche fondamentale sur ces sujets... soigner n’est pas comprendre, comprendre n’est pas soigner, mais l’un peut aider l’autre).

          A mon sens, on parlera encore longtemps de la découverte de Fire et Mello ( d’ailleurs, quand on l’a vu en cours, la maitre de conf avait marqué face a leur nom : Nobel a prévoir smiley ... savait-elle smiley ? ), qui est deja entrée dans les moeurs. La promesse de ce qu’elle peut apporter a la science et a l’humanité justifie amplement une Nobellisation.


        • Jojo2 (---.---.55.182) 4 octobre 2006 09:34

          Certes, mais ce n’était pas mon propos...

          L’idée d’une contamination par de l’ARN double brin de l’ARN simple brin jusqu’alors utilisé a très bien pu leur être suggéré par un biochimiste dont on n’entendra jamais parler...Le nombre de chercheurs et leurs inter-connexions n’ont rien à voir avec le début du 20 ème siècle...

          Celà n’enlève rien à leur mérite, mais à mon avis on doit relativiser ces piedestals.


          • Bernard Dugué Bernard Dugué 4 octobre 2006 09:49

            bonjour,

            effectivement, il faut replacer chaque Nobel dans son contexte de spécialité et dans l’Histoire. Les Nobel du début du siècle précédent couronnaient d’authentiques savants, doué d’un potentiel visionnaire hors du comment. Voir comment Dirac avait en 1930 élaboré son traité de MQ, qui sert encore aux étudiants. Dans la science actuelle, et notamment celle du Vivant, d’autres paramètres sont en jeu. Le mérite d’un Nobel est comme je l’ai rappelé de diriger une équipe et conduire avec puissance une recherche de point. Cela relève presque du stratège militaire mais parfois, l’idée et la nouveauté prime, comme ici en 2006 ou bien Prusiner et son audace à théoriser le prion ou encore Czech et ses ARN catalytiques.


          • ec (---.---.88.219) 1er novembre 2006 14:02

            Un paradigme est en train de se dégrader. Un autre émerge avec l’importance de la Pensée et du « Verbe »...et surtout de leurs origines.

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