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La course à l’Est (1/2)

La récente remise de la Légion d’honneur à Vladimir Poutine a fait jaser. Cette décoration n’a pourtant rien de surprenant quand on connaît la conception diplomatique du président Chirac. Pour comprendre les raisons de cette attitude, qui a fait fulminer l’atlantiste et présidentiable Nicolas Sarkozy, il nous faut remonter dans le temps.

Cet article retrace près de vingt ans de géopolitique en Europe de l’Est. Il s’agit d’un point de vue sur les luttes d’influence en Europe de l’Est et sur l’effondrement des ambitions européennes.

Les pays d’Europe centrale et orientale (ci-dessous : les PECO) ont créé, lors de la chute du Mur de Berlin, un vaste appel d’air auquel ont répondu plus ou moins rapidement et intensément toutes les grandes puissances occidentales. La région est alors à remodeler et à sécuriser (d’un point de vue militaire, mais aussi juridique et économique). L’Allemagne, la mieux placée en 1989, va griller ses atouts et laisser la zone à la concupiscence des grandes puissances. L’Union européenne (ci-dessous UE) aurait pu profiter de l’occasion pour émerger comme acteur incontournable de la scène diplomatique ; elle va rater le coche, au grand dam des Français, moteurs politiques de celle-ci.

I- Les ambitions allemandes : de l’euphorie des années 1990 aux tergiversations des années 2000

Selon Edouard Husson, c’est une obsession allemande que de vouloir stabiliser la zone telle qu’elle est sortie du bloc soviétique. « Dans l’esprit des dirigeants économiques et politiques allemands, il s’agit pour l’Allemagne de retrouver sa vieille sphère d’influence. Quand on regarde l’extension de l’Union européenne, il s’agit de retrouver la sphère d’influence de la Prusse et de l’Autriche. Ce qui intègre à la fois la Scandinavie (Suède, Finlande), les Pays baltes (Lituanie, Estonie, Lettonie), l’Europe centrale (Pologne, République tchèque, République slovaque, Hongrie) et les Balkans (ex-Yougoslavie, Macédoine) », déclare-t-il dans l’article "Crise allemande, crise européenne", [http://www.diploweb.com/p5husson3.htm/]. L’Allemagne mène sous H. Kohl (1982-1998) une politique ambitieuse, qui se révèlera manifestement présomptueuse dans les années 1994-1995.

A : 1989-1995 : l’euphorie allemande frustrée par une France attentiste

En 1989, l’Allemagne investit énormément à l’Est, tant politiquement qu’économiquement. La Russie bénéficie largement de la « politique du deutchmark », ce qui permet à l’Allemagne de glaner plusieurs concessions. Ainsi Gorbatchev, originellement très réticent à l’adhésion de l’Allemagne de l’Est à l’OTAN, va reculer devant la suite des zéros du chèque. Mitterrand, qui ne s’est pas préparé à une Allemagne unifiée et qui craint de perdre ainsi son ascendant sur son voisin, espère jusqu’au bout que Moscou s’y opposera. Kohl, conscient des métamorphoses qui vont s’opérer pour les PECO, espère influencer à sa faveur leur transition : « Il a eu tendance à étendre les implantations et la puissance allemande en Europe centrale et orientale, aux dépens de la Russie. H. Kohl a régulièrement déclaré à Boris Eltsine que l’Allemagne était la meilleure amie de la Russie. Cela n’empêchait pas, dans le même temps, le ministre des Affaires étrangères allemand Klaus Klinkel de passer son temps à rendre visite aux gouvernements des pays d’Europe centrale et orientale, pour discuter coopération et investissements. Les Balkans ne sont de ce point de vue qu’un des exemples les plus célèbres et les plus ambigus, mais nous pourrions multiplier les exemples. » [Edouard Husson in "Crise allemande, crise européenne" http://www.diploweb.com/p5husson3.htm/]).

L’Allemagne surestime les conséquences positives de la réunification. Elle va même s’enflammer jusqu’à discuter d’égal à égal avec les Etats-Unis. Le maintien de la politique des critères de convergence va forcer ses partenaires arrimés au mark à subir de plein fouet une surchauffe monétaire, la monnaie étant surévaluée. La fuite en avant allemande, encouragée par un Paris suiviste, sera la cause de 600 000 à un million de chômeurs en France.

Indirectement, la France aura financé une partie de la réunification et de la transition, au profit de l’Allemagne qui a maintenu ses investissements à l’Est. L’élargissement aux PECO est endigué par la France, qui craint de perdre sa position centrale en UE. A l’ambiguïté de la France pendant la Guerre froide s’ajoute l’image d’une puissance méfiante, ce qui n’allège pas sa note envers les pays de l’Est.

La crise de Yougoslavie de 1994-1995 est l’occasion de voir les Etats-Unis exaspérés par la prise de position allemande qui ne facilite pas le règlement du conflit.

B : 1995-2003 : le temps du réalisme face aux limites des ambitions allemandes

Le chancelier Schröder arrive au pouvoir en 1998 et aborde la situation avec réalisme : les espoirs que la réunification allemande soit une opportunité sont excessifs. C’est en réalité un gouffre financier, et la réunification a été trop brutale et trop vexatoire. La temporisation française, qui s’est prolongée jusqu’en 1996, a favorisé la Russie qui a su se faire oublier un temps, et dont le nouveau président à poigne (2000, élection de Vladimir Poutine) tente la France en lui proposant une alliance à revers contre l’Allemagne. La diplomatie française ne sait pas résister à cet argument et Poutine prend rapidement le dessus. Par ailleurs, au printemps 2001, après avoir perçu les limites de son influence au Conseil de Nice, Moscou amorce l’activation de ses liens avec les Etats-Unis pour faire jouer la concurrence UE/Etats Unis. Avec ces derniers, la récolte est maigre mais la Russie négocie habilement en face à face, et divise l’UE, tandis que l’Allemagne reste persuadée qu’elle doit impérativement garantir la sécurité de l’Europe en se l’alliant et poursuit la discutable assistance technique. [voir l’article de Massada : "Les dessous de l’aide technique occidentale à la Russie", diffusé sur http://www.diploweb.com/].

Alexeï Arbatov déclare lors d’une conférence de presse tenue le 5 mars 2001 devant la Commission de la Douma à la Défense : « Dans les relations bilatérales la Russie est plus forte que tout autre partenaire. Tous les autres sont plus faibles. En outre la Russie ne trouve pas en face d’elle des fronts unis d’États qui vont à l’encontre des intérêts russes... ». Schröder s’avère diplomate avec les Etats-Unis et trouve en eux un partenaire de choix par sa déclaration de solidarité illimitée qui suit les attentats du 11 septembre 2001. Les Américains sont en concurrence avec l’Allemagne dans les PECO, où ils jouissent de l’image favorable de vainqueurs du communisme, mais acceptent d’intimider la Russie en échange de la promotion de l’adhésion des PECO à l’OTAN.

http://www.diploweb.com/cartes/natotan2004verluise.htm

Copenhague 2002 : sommet de l’UE, qui finalise l’élargissement aux PECO de mai 2004. L’Allemagne va enfin cueillir les fruits de l’hégémonie douce, (un mot de Joseph Fischer). qui a consisté à faciliter la transition des PECO en y établissant des IDE, et en y redorant son blason, en en éloignant la Russie pour y imprimer sa sphère d’influence, et en les englobant dans une zone économique intégrée qui assure la pérennité du modèle rhénan. Mais en 2002 l’Allemagne est en difficulté économique, en partie en raison de la conjecture défavorable qui a suivi le 11 septembre, en partie pour des raisons structurelles, le modèle rhénan étant mis à mal par le dumping social international. Après d’habiles manœuvres qui lui ont permis d’imprimer sa ligne sur la politique européenne et d’imposer l’évidence d’un élargissement comme continuation de la réunification allemande, la voilà forcée de recourir systématiquement à la concertation avec ses partenaires européens, qui doivent lui donner les moyens de conclure sa politique. C’est l’occasion de renouer les liens avec la France, mais l’amitié franco-allemande est indubitablement affectée.

Cet article est une synthèse d’articles tirés de http://www.diploweb.com/

Image Wikipedia

Johan est l’auteur d’un mémoire (2005) : « L’Elargissement de l’UE aux PECO, rigidités juridiques et réalités géopolitiques, économiques et sociales. »


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4 réactions à cet article    


  • T.B. T.B. 22 novembre 2006 10:18

    Poutine n’est pas gentil et vous souhaitez l’isoler sur la scène internationale ? L’isoler afin de l’écarter - indirectement - du pouvoir ? Arrêtez alors de consommer pétrole et gaz naturel (ce dernier provenant principalement de Russie). Envoyez les Nicolas Hul’Oréal, les GoodPlanet et l’ADEME au diable car leurs mesurettes liberticides ne changent aucunement la donne, s’accoquinent avec les acteurs du « développement durable » de Monsanto à Aventis (fusion de Hoechst, Rhône-Poulenc, Sanofi-Synthelabo) en passant par le groupe TOTAL.

    Exigez les énergies propres, renouvelables qui rendent les citoyens autonomes (non reliées au réseau EDF) ET POUR UN MOINDRE COûT (! !!) y compris en matière de locomotion et vous dégommerez Poutine.


    • Johan Johan 22 novembre 2006 14:02

      Je n’ai pas l’intention de juger dans ces 2 articles de l’opportunité des choix diplomatiques des dernières années, mais uniquement de décrire ce qui nous a mené à la construction européenne telle quelle est actuellement.

      Ce qui ne veut pas dire que je ne suis insensible à vos propositions smiley


    • LE CHAT (---.---.75.49) 22 novembre 2006 10:44

      Si le gnome parvient à se hisser sur le trone , ce dont je doute fort, il pourra toujours demander à Poutine ses conseils avisés sur le muselage de la presse , c’est un expert


      • (---.---.9.230) 22 novembre 2006 17:35

        L’éviction de Serge Julie de la direction de Libération aurait donc été décidée par V.V. Poutine ? Il est vraiment très fort, puisque maintenant il réussit même à museler les journalistes en Europe Occidentale...

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