Une administration-voyou, une menace pour la démocratie
On parle d’Etats-voyous. Ne faudrait-il pas aussi parler d’administration-voyou, que même une démocratie peut abriter ? Ce serait une administration qui, certaine de l’impunité de ses membres, s’affranchirait délibérément de la loi, à tous ses échelons hiérarchiques, pour écarter toute opposition à l’arbitraire qu’elle entend faire régner.
Comment appeler autrement l’administration de l’Éducation nationale dont la conduite vient d’être condamnée par un jugement du Tribunal administratif de Nîmes, le 7 décembre 2006 ? Elle avait infligé à un professeur un blâme en toute illégalité et en toute connaissance de cause, sauf à douter de son niveau culturel.
Trois griefs inexistants et une violation de procédure
L’arrêté signé le 12 mai 2004 par le recteur de l’académie de Montpellier formulait trois griefs : 1- un manquement à l’obligation de réserve au cours d’un conseil d’administration en octobre 2003 2- un envoi, le même mois, de deux lettres aux parents d’élèves sans autorisation hiérarchique préalable 3- un manquement au devoir de surveillance, toujours dans le même mois. Or, selon le tribunal administratif, aucun de ces trois griefs n’était fondé et, pour couronner le tout, le recteur avait commis en plus une violation de procédure en se permettant de changer un grief en cours de procédure, portant ainsi atteinte aux droits de la défense. Et, forcément, c’est l’État qui a été condamné à verser une indemnité de 1500 euros à la victime en réparation du préjudice subi, et non ses représentants indignes à qui aucun compte ne sera jamais demandé.
Quatre autorités et sept mois de réflexion
Cette administration a-t-elle au moins pour sa défense une excuse à faire valoir ? Pas la moindre circonstance atténuante pour un détournement prémédité du pouvoir administratif.
- Les quatre autorités hiérarchiques ont agi de conserve en étant parfaitement conscientes de l’illégalité : elles se sont même épaulées l’une l’autre pour inventer de toutes pièces ces griefs et infliger au professeur coûte que coûte cette sanction dans le seul but de lui nuire.
- Elles ont d’ailleurs pris tout leur temps : il leur a fallu pas moins de sept mois de réflexion pour accomplir leur forfait. 1- le principal a demandé la sanction le 21 octobre 2003, en formulant déjà deux des trois griefs farfelus évoqués, qui seront retenus. 2- L’inspecteur d’académie a aussitôt appuyé la demande, en y ajoutant sa propre volée de calomnies pour faire bonne mesure. 3- Le recteur, après tripatouillage de deux griefs, a signé sans broncher l’arrêté de blâme six mois plus tard, le 12 mai 2004. 4- Quant au ministre, avec son service du contentieux, il a rejeté le recours hiérarchique introduit pas la victime dans les semaines suivantes, sans plus de manières.
- Ainsi, il ne s’est pas trouvé une seule autorité hiérarchique pour dire à l’autre qu’elle avait la charge pourtant de contrôler, qu’elle déraisonnait, que l’animosité l’aveuglait, qu’à l’évidence ces griefs étaient imaginaires et qu’une sanction pour de tels motifs discréditerait l’institution. Une administration-voyou est si infatuée d’elle-même qu’elle ne s’en rend même pas compte, quand sa violation de la loi prend la tournure d’une bouffonnerie sinistre.
Une volonté de nuire sans craindre le ridicule
Quelles étaient donc ses fautes de service pittoresques que ces quatre respectables autorités ont bricolées par animosité, et que le tribunal a rejetées comme inexistantes ?
- L’une d’elles était d’abord si peu crédible qu’elle a été, sans plus de façon, remplacée en cours de procédure par une autre tout aussi fantaisiste : les « insultes dans un entretien en tête-à-tête », primitivement alléguées, ont été écartées sans prévenir au profit d’un « manquement à l’obligation de réserve » pendant un conseil d’administration. On voit déjà tout le danger qu’il y a à se présenter seul devant les autorités d’une administration-voyou : elles peuvent imputer n’importe quoi à leurs adversaires, si certaines qu’elles sont que leur parole prévaudra sur la leur ! Seulement, ici, les deux reproches, non seulement n’étaient pas plus fondés l’un que l’autre, mais étaient déraisonnables. Ce choix d’un manquement à l’obligation de réserve lors d’un conseil d’administration est d’autant plus malvenu qu’une jurisprudence constante accorde à un délégué du personnel le droit de défendre les intérêts de sa profession, y compris avec pugnacité et vivacité. Celles-ci peuvent d’autant mieux se comprendre qu’il s’agit, comme c’était le cas, de démasquer les falsifications d’un principal !
- L’envoi de deux lettres aux parents d’élèves sans autorisation hiérarchique préalable était un motif encore plus loufoque. Il s’agissait de deux lettres anodines fixant les modalités de paiement de deux voyages pédagogiques. Et, selon une procédure pratiquée pendant quinze ans, les deux projets de lettre avaient été déposés au secrétariat le matin - sous le nez d’ailleurs du principal qui se trouvait là par hasard - ; puis, en l’absence d’observation de sa part, les lettres avaient été, comme d’habitude, distribuées dans l’après-midi aux élèves. Le principal a été bien incapable de prouver le contraire.
- Quant au manquement au devoir de surveillance, il revenait en boomerang à la figure des quatre autorités comme un manquement au devoir de discernement. Les textes officiels sont prolixes en matière de surveillance : celle-ci dépend, en effet, de la catégorie d’élèves et de la dangerosité des exercices effectués, sans compter que l’encouragement à l’autodiscipline suppose une mise en pratique en l’absence du professeur. Or, il était reproché au professeur de s’être absenté une minute de sa classe tandis que ses huit élèves faisaient une version latine ; le seul danger était de se mettre le doigt dans l’œil en traduction. Il était simplement allé demander que cesse sous ses fenêtres le vacarme d’une classe abandonnée à elle-même par un professeur d’EPS qui, dix minutes après le commencement des cours, avait mieux à faire que de s’en occuper. Ce genre de désordre durait depuis la rentrée, au vu et au su de tous, sans que le principal, ancien prof d’EPS, n’y trouvât à redire.
Une administration-voyou, on le voit, ne connaît pas de borne à son bon plaisir quand il s’agit de nuire à qui s’y oppose : ni la loi, ni l’apparence de la légalité, ni même le ridicule. Pour s’engager l’esprit aussi tranquille dans cette voie délictueuse sans plus se soucier de la dignité de la fonction et de l’institution, il lui faut seulement avoir la certitude de l’impunité de ses membres et n’éprouver qu’indifférence pour une éventuelle sanction juridictionnelle qui, de toute façon, vu les juridictions administratives utilement surchargées, surviendra si tardivement que personne ne se souviendra plus de rien, et ça ne l’empêche surtout pas de violer la loi à nouveau quand ça lui chante. Existe-t-il un seul candidat à la présidence de la République qui se soucie de cette menace qui pèse sur notre démocratie ? Paul Villach
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